par Issa Diakaridia Koné
Qu’on juge de mon étonnement – moi qui viens tout juste d’avoir vingt-huit ans – quand j’ai découvert que les accords d’Evian signés entre l’Algérie et la France en mars 1962 organisaient, dès le départ, une soumission à peu près complète du schéma institutionnel à mettre en place, sur son propre territoire, par cette ancienne colonie qui avait longtemps reçu les apparences de trois départements… français !
C’est alors que Michel J. Cuny m’a indiqué que, sur Internet, il était possible de se procurer le texte du Programme du Front de Libération Nationale (F.L.N.) adopté à Tripoli par le C.N.R.A. (Conseil National de la Révolution Algérienne) en juin 1962.
Nous sommes alors trois mois après la signature des accords d’Évian… Que pensait le Conseil National de la Révolution Algérienne de ce qui allait venir peser de tout son poids sur l’avenir de l’Algérie indépendante ? Le résultat répondait-il à tous les sacrifices qui avaient été faits, pendant au moins huit ans, par le peuple algérien ?
Autant le dire tout de suite : ce que je devais lire dans ce document m’a bouleversé. Pour moi, qui suis Malien – ainsi que j’ai déjà eu l’occasion de l’écrire -, j’y trouvais un souffle, des intonations et des termes qui m’enthousiasmaient… Je ne suis d’ailleurs pas certain de bien comprendre l’ensemble des enjeux politiques qui y étaient abordés. J’appartiens à une génération qui a perdu tout cela de vue…
Mais je ne devrais pas tarder à pouvoir tout de même en tirer quelques leçons pour le présent et pour l’avenir. En tout cas, les premiers mots que j’ai retenus ne laissent place à aucun doute… La France est aujourd’hui très mal placée pour venir donner des leçons de morale, d’éthique politique, de « démocratie », comme elle dit… dans mon propre pays, et ailleurs…
« Le 19 mars 1962, un cessez-le-feu a été proclamé mettant fin à une longue guerre d’extermination menée par l’impérialisme colonial français contre le peuple algérien. » (page 683)
« Extermination » menée sur trois « départements français »… Cela ne se passait pas dans un lointain moyen-âge… C’était entre 1954 et 1962 pour les années les plus terribles… Et tout cela sous le regard des soldats du contingent (vingt ans et toute la vie devant soi…), avec, quelquefois, leur collaboration nécessaire, et, venant jusqu’à certains d’entre eux, les cris plus ou moins lointains de la torture….
À la page suivante, il y avait tout de même quelque chose de très réconfortant, mais aussi de très inquiétant dans son innocence apparente :
« Les accords d’Evian constituent pour le peuple algérien une victoire politique irréversible qui met fin au régime colonial et à la domination séculaire de l’étranger. » (page 684)
Mais dans quelles conditions ?… Le FLN pouvait-il s’être satisfait des accords d’Évian tels que je commence à les bien connaître ?
Arrivé à cet endroit de ma lecture de son Programme, je me voyais saisi d’un grand doute… Avais-je mal lu le contenu des accords eux-mêmes ? M’étais-je trompé sur les intentions de la France de Charles de Gaulle ? Les Algériens étaient-ils eux-mêmes satisfaits ? La paix n’a-t-elle pas un prix ? Aurait-il fallu, pour atteindre des résultats plus assurés, faire couler le sang davantage encore ?
Il m’aura suffi d’arriver à la page suivante, pour commencer à beaucoup mieux respirer… En tout cas, je ne m’étais pas trompé complètement… Le résultat n’en était que plus choquant !…
« Toutefois, ces accords prévoient, en contrepartie de l’indépendance, une politique de coopération entre l’Algérie et la France. La coopération telle qu’elle ressort des accords implique le maintien de liens de dépendance dans les domaines économique et culturel. » (page 685)
Dépendance de quel ordre ? Quand on y trouve le terme « culturel », on se dit que ce n’est peut-être pas si grave… La France n’est-elle pas un pays de culture ?…
Culture… d’extermination ?…
Pas après Évian, bien sûr… Rassurons-nous… Mais en lisant la phrase suivante j’ai immédiatement mieux compris de quoi il pouvait s’agir « dans les domaines économique et culturel ». La coopération – imposée, comme nous le savons, pour avoir vu précisément ce terme dans les accords d’Évian -, c’est cela, nous dit le CNRA qui ne s’y sera pas trompé une seule seconde :
« Elle donne aussi, entre autres, des garanties précises aux Français d’Algérie pour lesquels elle ménage une place avantageuse dans notre pays. Il est évident que le concept de coopération ainsi établi constitue l’expression la plus typique de la politique néo-colonialiste de la France. Il relève, en effet, du phénomène de reconversion par lequel le néo-colonialisme tente de se substituer au colonialisme classique. » (page 685)
Les accords d’Évian, comme transition du colonialisme classique au néo-colonialisme…
De l’intérieur du Mali, cela résonne curieusement… on peut me croire.
À suivre (16)…
De Gaulle et l’Algérie indépendante : du colonialisme classique au néo-colonialisme !…
Issa Diakaridia Koné
NB. La collection complète des articles d’Issa Diakaridia Koné est accessible ici :
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