Je rappelle que nous scrutons l‘Avertissement que l’éditeur, c’est-à-dire Michel Parfenov, a rédigé pour l’édition française (1995) du Livre noir que Vassili Grossman et Ilya Ehrenbourg avaient consacré, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, à l’extermination des Juifs d’URSS par les nazis…
Nous avions vu qu’un procès avait été intenté par les autorités soviétiques aux dirigeants du CAJ (Comité antifasciste juif) qui étaient à l’origine de ce vaste travail confié à une quarantaine de personnalités…
Michel Parfenov écrit :
« Le Livre noir est au centre de l’instruction et sert à étayer l’accusation de nationalisme juif. » (page 8)
Les quelques lignes qui suivent – je les donne dans leur entièreté – vont nous conduire à prendre connaissance d’un phénomène terriblement inquiétant… dont nous ne pourrons pas mesurer immédiatement toute l’ampleur… mais sur lequel nous aurons à revenir à travers des témoignages accablants…
Sans apporter aucun document, aucun nom, aucune citation, Michel Parfenov affirme tout d’abord ceci :
« Deux experts sont nommés, en 1952, qui, négationnistes avant l’heure, vont jusqu’à mettre en doute la Shoah et contestent la réalité des six millions de victimes juives, se prévalant, sans tout à fait le dire, des vingt millions de morts soviétiques. » (page 8)
Que faut-il comprendre ? Qu’il n’y a pas eu six millions de victimes juives ?…
Les experts auraient osé s’aventurer ainsi ?…
Il semble plutôt qu’ils aient mis en balance ces six millions-là avec d’autres millions de victimes soviétiques qu’on n’évoque toutefois pas – c’est Michel Parfenov lui-même qui nous le dit.
Mais puisque lui ose en parler, allons un peu plus loin que lui…
Parmi les vingt millions de victimes soviétiques, n’y a-t-il pas des Juives et des Juifs ? Certainement. D’ailleurs, l’éditeur nous l’a rappelé dès le début de son Avertissement : il s’agissait, pour Hitler, « d’anéantissement du « judéo-bolchevisme » ».
Y a-t-il quelque chose qui empêche qu’il y ait jusqu’à six millions de victimes juives parmi les vingt millions d’assassinats commis au détriment des Soviétiques dans leur globalité ? Y a-t-il ensuite quelque chose qui puisse s’opposer à ce que l’on ne cherche pas à exalter la mort des uns au détriment de la mort des autres ? Autrement dit : en spécialisant la rédaction du martyrologe sur les seules victimes juives (six millions), s’agit-il de les séparer à tout jamais des autres quatorze millions de victimes, qui ne seraient, elles, que Soviétiques ?…
En effet, que disent les deux experts que Michel Parfenov se permet de tancer si vertement :
« Ils reprochent au livre de ne pas parler des autres victimes de l’hitlérisme et beaucoup trop longuement de l’idéologie nazie et de la collaboration. » (pages 8-9)
Des « autres victimes »… que les victimes juives, bien sûr…
Quant à « la collaboration », il s’agit, ici, de celle de certains nationalistes des pays Baltes, de Biélorussie, d’Ukraine, etc…avec les hommes de Hitler.
Voici la phrase qui suit immédiatement pour expliquer cette collaboration très particulière :
« Sujet tabou s’il en est, ne serait-ce que parce qu’il rappelait l’attente de beaucoup de Soviétiques, convaincus qu’un régime pire que celui instauré par Staline ne pouvait exister, et qui avaient cru que les envahisseurs allaient sauver leur pays. » (page 9)
Cela veut-il dire que, selon Michel Parfenov, l’Union soviétique essayait de masquer aux yeux du monde entier qu’elle constituait un régime pire que l’Allemagne hitlérienne… de sorte que toutes celles et tous ceux qui s’alliaient contre elle avec les nazis avaient de bonnes raisons de le faire…
Au-delà, était-ce là une piste pour les sionistes du calibre de Vassili Grossman et de ses amis du CAJ ? Serait-ce ce qui aurait conditionné certaines des activités de ce Comité qui se retrouve soudain sur la sellette, comme nous le révèle le même Parfenov :
« En 1952, les principaux dirigeants du CAJ, accusés, entre autres, d’avoir voulu, avec l’aide des Américains, faire de la Crimée un nouvel État juif, sont condamnés à mort et exécutés d’une balle dans la nuque. » (page 9)
Serait-il possible, ici, d’avoir quelques noms ?… L’éditeur ne pourrait-il pas nous en fournir, lui qui ne peut méconnaître aucune des pages de ce livre qui en compte plus de mille ?
Remarquons tout d’abord qu’aucune trace de persécution n’apparaît dans 36 des 40 biographies de rédacteurs du Livre noir qui nous sont données, pages 1087 à 1091.
Sur les quatre autres, nous retrouvons :
– Solomon Mikhoels, victime d’un accident de la route dont il nous est dit qu’il a été précédé d’un assassinat par le KGB ;
– Hirch Ocherovitch (né en 1908) qui…
« Après la dissolution du CAJ, fut arrêté en 1949. Libéré en 1956, il émigra en Israël en 1977. » (page 1090)
– Itzik Fefer (1900-1952) :
« Poète et journaliste, vice-président du Comité antifasciste juif. Jouait plus que probablement un rôle d’informateur auprès du KGB. Au procès du CAJ, en 1952, il en fut le principal accusé, avec Lozovski, et le seul à plaider coupable. Condamné à mort et exécuté. » (page 1087)
« Plus que probablement un rôle d’informateur auprès du KGB »… C’est-à-dire ?…. Y avait-il donc des informations à donner au KGB ?… Lesquelles ?… Des informations qui pouvaient valoir la peine de mort, en Union soviétique, aux membres des réseaux qu’elles concernaient ?… Voilà qui nous aurait vivement intéressé(e)s… Et c’est certainement pourquoi l’éditeur ne nous donne pas le contenu de cette culpabilité plaidée par Itzik Fefer… qui n’était de toute façon qu’un « informateur auprès du KGB »…, celui-ci acceptant de se couper un bras pour rien…
– Lev Moisseevitch Kuitko, enfin :
« Emprisonné en 1949 après la dissolution du CAJ, il faut condamné à mort et exécuté le 12 août 1952 avec d’autres écrivains et intellectuels juifs au premier rang desquels le grand poète Peretz Markish [qui n’apparaît pas dans la liste], tant et si bien que les sbires staliniens finirent ce que n’avaient pas achevé les nazis : l’éradication de la culture yiddish. » (page 1089)
Inutile sans doute de nous fournir davantage de noms que celui de Peretz Markish… Par contre, nous retrouvons bien l’éternelle synergie avec Hitler… sans preuve.
Arrivons enfin à la dernière page de l’Avertissement… du Livre noir sur l’extermination des Juifs d’URSS… qui est subrepticement devenu, sous la plume de l’éditeur, un réquisitoire contre cette Union soviétique où, comme il l’écrit pour finir :
« Plus de quatre cent cinquante intellectuels et artistes juifs disparaissent dans tout le pays. » (page 9)
Gageons que la Préface rédigée par Ilya Altman pour l’édition russe nous en dira plus sur le fait de savoir si, décidément, ce curieux Livre noir a été conçu, dès le départ, comme une arme de destruction massive de la réputation mondiale de l’URSS…
Michel J. Cuny
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