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Évaluant le taux de pénétration des structures de sécurité de l’ancien État soviétique dans le Parlement et au sein même de la haute administration de la Russie des années 2000, Marie-Pierre Rey nous rappelait que, selon les travaux d’Olga Kryschtanovskaia, il y aurait…
« […] 25 % des élites russes (conseil de sécurité, gouvernement, gouverneurs régionaux, membres du Parlement) qui viendraient de ces « institutions de force ». » (Rey, page 117)
Quant à Tania Rachmanova, qui nous a habitué(e)s à perdre un peu ses nerfs dès qu’il est question de Vladimir Poutine et du système politique qui s’est déployé autour de lui, elle donne, à partir de la même source, une évaluation complètement différente qui amplifie notre surprise, si nécessaire…
« […] Olga Krychtanovskaïa, qui dirige à Moscou depuis 1989 le Centre d’études des élites [constatait en 2003 que] 78 % des 1016 principaux responsables politiques russes étaient des anciens du KGB ou du FSB. » (Rachmanova, page 190)
Si, maintenant, nous quittons les hautes sphères de l’administration et de la politique, et si nous décidons de mener l’enquête du côté des grandes entreprises, tant publiques que privées, nous pouvons nous en remettre à un article publié par Marie Jégo, correspondante du journal Le Monde à Moscou. Elle y écrit notamment ceci :
« À Gazprom, monopole russe du gaz et instrument de la politique internationale du Kremlin, dix-sept ex-membres du FSB-KGB figurent dans les organes de décision. » (Cité par Rachmanova, page 195)
Quant à son collègue, François Cardona de RFI (Radio-France Internationale), qui évoque la situation de 2007, il est bien plus disert :
« Dans ce petit groupe de proches installé au cœur du Kremlin, se trouve également Sergueï Tchemezov, ancien collègue de Poutine au KGB. Il est président de Rosoboronexport, l’agence d’exportation d’armes d’État dont on sait peu de choses, sauf que le montant de ses ventes en 2006 s’élève à 6 milliards de dollars. Vient ensuite Igor Setchine (ex-agent du KGB) qui est à la tête du conseil de surveillance de l’entreprise pétrolière Rosneft (17,6 milliards de dollars de CA en 2006). Il y a aussi Viktor Ivanov (ex-agent du KGB, où il a connu Poutine) ; il préside le directoire du constructeur aéronautique militaire Almoz Antey et celui de la compagnie aérienne Aeroflot. Enfin, n’oublions pas Alekseï Koudrine (qui est passé par la mairie de Saint-Pétersbourg). Il préside Alrosa, le deuxième producteur mondial de diamants, ainsi que la deuxième banque russe, Vneshtorgbank (22 milliards de dollars d’actifs, selon le quotidien français Les Échos. » (Cité par Rachmanova, page 195)
Lénine !… Ils sont devenus fous !…
Mais d’où est donc venue cette nécessité, pour les structures de sécurité de l’ancien État soviétique, d’envahir non seulement les sommets de l’administration de la Fédération de Russie, mais encore l’essentiel des directions des grandes entreprises publiques et privées ?
En tout cas, s’il faut en croire Tania Rachmanova elle-même, ce serait un phénomène nouveau :
« À l’époque soviétique, le KGB n’était pas représenté aussi directement dans les centres décisionnels, il était toujours un instrument obéissant au comité central du Parti communiste, recevant des ordres du Politburo pour les exécuter avec plus ou moins de succès. » (Rachmanova, page 209)
Ainsi, en un certain sens, le FSB-KGB se serait substitué à un parti communiste devenu défaillant… Non seulement, il garantirait la sécurité de l’État, mais il en modèlerait l’économie générale, pourrait-dire, et ceci pour répondre aux nouveaux défis induits par l’ouverture de la Russie sur le monde extérieur. C’est effectivement ce qui ressort des propos de la même analyste :
« Son rôle est devenu bien différent sous Vladimir Poutine. À la Douma, le FSB participe à l’élaboration de certaines lois, comme celle votée en 2007 qui lui donne le droit d’empêcher l’accès des sociétés étrangères aux secteurs « stratégiques » de l’économie, ou celle qui lui permet de limiter et contrôler l’activité des ONG. » (Rachmanova, page 209)
Marie Jégo développe une thématique comparable :
« Enfin, le FSB délivre les autorisations de circuler dans les lieux très surveillés : zones frontalières, régions au riche sous-sol ou jugées stratégiques. En 2003, il a récupéré le service des gardes-frontières. Le FSB a été chargé d’assurer la « sécurité des systèmes d’information et de télécommunication des secteurs vitaux ». Entre autres : la télévision. » (Cité par Rachmanova, page 210)
Sans doute très contents de ses activités à l’intérieur du pays, les parlementaires – dont certains sont également issus du KGB – ont donné au FSB le moyen de se présenter, à l’extérieur, comme une sorte de bras droit de Vladimir Poutine. C’est du moins ce qu’affirme Tania Rachmanova :
« Le 26 février 2006, la Douma vote une loi qui autorise le FSB à agir « hors du territoire de la Fédération de Russie » sur simple décision du président. La loi ne précise pas dans quelle mesure il devra coopérer avec les renseignements extérieurs (SRV) ou militaires (GRU), seuls autorisés jusqu’alors à intervenir à l’étranger. » (Rachmanova, page 210)
C’est ici qu’il faut citer le nom de Iouri Andropov… qui a été président du KGB du 18 mai 1967 au 26 mai 1982, avant de devenir secrétaire général du Comité central du Parti communiste de l’Union soviétique du 12 novembre 1982 au 9 février 1984, poste qu’il va cumuler avec celui de président du Praesidium du Soviet suprême de l’URSS du 16 juin 1983 au 9 février 1984… date de sa mort.
Avec l’arrivée de Vladimir Poutine au sommet de l’État russe, la population de l’ex-État soviétique s’est soudainement retournée vers son passé, et vers celui – Iouri Andropov, donc – qui avait mis en garde, dès les années soixante-dix, les dirigeants réputés communistes sur les dangers de la dérive dans laquelle ils se laissaient emporter, pour lui vouer une sorte de vénération, dont Andreï Kozovoi rend compte dans les termes suivants :
« Ce miniculte post mortem se lit dans les aventures de la plaque commémorative installée après sa mort sur l’immeuble du KGB, aujourd’hui le FSB : elle disparaît en août 1991, avant de réapparaître pour ses 85 ans, en 1999. » (Kozovoi, page 76)
Souvenons-nous… Août 1991… Il s’agissait du putsch lancé par les responsables du KGB contre l’effondrement plus ou moins programmé de l’URSS. Quant au 15 juin 1999, il nous ramène deux mois avant l’arrivée de Vladimir Poutine à la tête du gouvernement de la Fédération de Russie…
Décidément, l’Union soviétique n’a pas fini de nous étonner… Pourrions-nous la connaître mieux en nous penchant sur l’ensemble de la trajectoire de Iouri Andropov ?…
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Michel J. Cuny