[NB. Pour garder un contact direct avec mes différents travaux (économie, géopolitique, histoire, etc.) et avec moi-même, vous pouvez vous inscrire à la page que je viens de créer ici . À bientôt.]
La guerre lancée en janvier 2006 par Boris Berezovski contre Vladimir Poutine, président de la Fédération de Russie, n’aura guère duré qu’un septennat, et ses divers épisodes n’auront été constitués que d’une multitude de coups reçus par l’oligarque au titre tout simplement de la loi russe enfin réveillée de la léthargie que lui avaient imposée les années Eltsine.
Ainsi découvrons-nous, à travers une phrase écrite par Frédéric Pons en 2014, un…
« […] Berezovski, décédé le 23 mars 2013 à Londres dans des circonstances qui ont poussé la justice britannique à ouvrir une enquête encore en cours. » (Pons, page 23)
Enquête… Voyons cela.
Le même biographe nous avait dit que, sous la pression naissante de la justice russe, le brave homme avait dû « se réfugier » au Royaume-Uni dès octobre 2001.
Très vite, le processus s’accélère :
« Une à une, ses entreprises sont vendues, saisies, notamment dans le domaine des médias. » (Pons, page 164)
Tandis que les circuits internationaux de l’ancien KGB sont réactivés… produisant des résultats qui sont bientôt à la hauteur de ce qu’ils avaient été tout au long de la grande histoire soviétique :
« Les services russes le surveillent de près. Ils découvrent que Berezovski voit de temps à autre Alexandre Litvinenko, auprès de qui l’oligarque recueille des informations pour attaquer Poutine et le Kremlin. » (Pons, page 165)
Cependant, il y a dans cette information quelque chose qui ne peut manquer de nous troubler… Qui était Litvinenko ? Et surtout qu’avait-il été auparavant ?
Officier du FSB, ce successeur du KGB !…
Officier dans une « maison » dont Vladimir Poutine aura été le patron pendant un peu plus d’un an…
Ainsi, informé des agissements londoniens de ce sinistre personnage, l’ancien lieutenant-colonel du KGB ne pouvait-il qu’être extrêmement choqué, d’autant que selon le témoignage que Frédéric Pons reprend ici :
« C’est aussi un trait de caractère que résume Vera Gurevitch, son ancien professeur : « Volodya est une bonne personne. Mais il ne pardonne jamais à ceux qui l’ont trahi ou qui se comportent bassement avec lui. » » (Pons, pages 57-58)
Dans ce cas précis, y avait-il de la bassesse chez Litvinenko ?… Agissant pour le compte de Boris Berezovski et donc pour la Russie selon Eltsine, ce transfuge ne représentait-il pas toute une fraction des Russes pro-occidentaux ? Et ceci dans le cadre d’une guerre politique entamée contre le pouvoir central russe ?
Un pouvoir central russe qui, à travers Vladimir Poutine et les anciennes structures de sécurité de l’État soviétique, prenait la défense de l’ensemble de la population qui avait payé le prix fort au temps de la perestroïka, de la glasnost et de leurs suites calamiteuses…
Ici, une question se pose qui ne peut manquer de titiller l’esprit de Vladimir Poutine lui-même : comment l’ancien officier du FSB, Litvinenko, avait-il pu dévier à ce point ? Sans doute n’avait-il pas atteint le même niveau que l’homme qui allait devenir président de la Fédération de Russie en rupture totale avec le duo de faussaires Gorbatchev–Eltsine. Or, celui-ci, nous dit Frédéric Pons, qui remonte loin en arrière…
« Passé officier supérieur, voit enfin le bout du tunnel avec la proposition d’un nouveau stage qu’il doit suivre au prestigieux Institut du Drapeau rouge « Andropov », devenu aujourd’hui l’Académie du renseignement extérieur. » (Pons, pages 61-62)
Que le nom de Iouri Andropov apparaisse ici est – comme nous le verrons par la suite – très significatif d’une histoire qui remonte à la création de la Tcheka, par Lénine, en 1918 :
« « Nous devions être sûrs de chaque candidat, comme nous sommes sûrs de notre main droite », témoigne le général Mikhaïl Frolov, ancien instructeur et évaluateur à l’Institut du Drapeau rouge. » (Pons, page 62)
Ainsi y avait-il, à l’intérieur du FSB, qui est d’abord né de la destruction – ou tout au moins d’une terrible mise au pas – du KGB, des personnages de la dimension d’un Litvinenko, qui n’aura pas hésité, selon Frédéric Pons, « à renseigner Berezovski sur les enquêtes secrètes en cours contre lui, lui permettant de dissimuler des éléments« . (Pons, page 166)
Est-ce là tout ? Non, poursuit le biographe de Vladimir Poutine qui évoque ensuite le témoignage de la veuve de Litvinenko, Marina :
« Elle a assuré […] que son mari était un agent du MI-6, les services de renseignements extérieurs britanniques. Ce qu’a confirmé son avocat, en 2012 : « Au moment de sa mort, M. Litvinenko était depuis plusieurs années membre des effectifs rémunérés du MI-6. » » (Pons, page 165)
Entre-temps, dira-t-on, il avait cessé de n’être que russe… Mais sa trahison ne daterait-elle que de ce moment-là ?… Finirait-elle, ainsi, par ne plus en être véritablement une ?
C’est ce que dément la suite des propos de Frédéric Pons :
« Il recevra la citoyenneté britannique en octobre 2006. Est-il depuis quelque temps déjà au service du MI-6 britannique ? C’est la certitude du quotidien Daily Mail, dans une enquête publiée le 26 octobre 2007 : « Sacha » [= Litvinenko] aurait été recruté à Moscou par Sir John Scarlett, alors en poste en Russie, futur patron du MI-6. » (Pons, page 166)
Si donc, dans la continuité de la rupture avec le soviétisme, non seulement la Russie a perdu, grâce à des Berezovski et Cie, une partie considérable de ses richesses matérielles au profit du camp occidental, il est arrivé que certains de ses ressortissants y viennent pour vendre tout simplement leur âme…
Ce qui dément totalement les principes de base des activités du KGB, dont Vladimir Poutine rappelait, en 2000, devant des journalistes, qu’elles concernaient l’essence même du peuple soviétique :
« Mais savez-vous que 90 % de tout le travail de renseignement était obtenu par les réseaux d’agents constitués de citoyens soviétiques ordinaires ? » (Pons, page 58)
D’où un tri qui chasse nécessairement un Litvinenko hors de toute l’histoire de l’URSS :
« Si c’est basé sur la trahison et un gain matériel, c’est une chose. Si c’est basé sur des principes et un idéal, alors c’est différent. » (Pons, page 58)
Voici ce qui fonde la Russie de Vladimir Poutine.
Quant au sort de ceux qui sortent de ce circuit, nous allons voir de quoi il peut être fait…
NB. Pour atteindre les différents livres actuellement disponibles de Michel J. Cuny – Françoise Petitdemange, vous pouvez cliquer ici.
Michel J. Cuny