Le retour, à travers Vladimir Poutine, des structures de force de l’ex-État soviétique

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Nous avons vu qu’en suivant Tania Rachmanova, nous ne parvenions pas à comprendre pourquoi Boris Eltsine aurait pris la peine de recourir, de son propre élan, aux services de Vladimir Poutine, alors qu’éclatait la seconde guerre de Tchétchénie.

Pour sa part, Vladimir Fédorovski nous offre un autre scénario qui ne diffère que très partiellement de celui que nous venons de considérer, mais qui le fait sur un point essentiel…

Ici apparaît une manœuvre qui aurait visé le général Lebed, un militaire qui devait sa récente carrière politique au prince des oligarques, Boris Berezovski. Elle nécessitait le déclenchement d’une guerre à faire entrer dans un cadre précisément défini… s’il faut en croire cet autre biographe de Vladimir Poutine :
« Ce fut pour Berezovski l’occasion de pousser le gouverneur de Krasnoïarsk, le général Lebed (dont il finança la campagne en vue de l’élection à ce poste en 1997), à jouer le rôle de « sauveur de la Russie ». » (Fédorovski, page 114)

Sauveur … en face d’une attaque tchétchène dûment orchestrée par ailleurs, à travers un personnage qui jouait déjà le même rôle dans le scénario proposé par Tania Rachmanova, mais dans un contexte qui maintenant se dessine autrement puisqu’il comporte le comparse de Boris Berezovski qu’était le général Lebed :
« Depuis plusieurs mois déjà, dans l’entourage de Berezovski, circulait l’idée d’aller chercher le chef de guerre tchétchène Chamil Bassaïev, figure de proue des indépendantistes, qui avait été en 1996-1997 un partenaire d’affaires de l’oligarque. » (Fédorovski, page 113)

Les informations que nous allons recueillir de la plume de Vladimir Fédorovski ont d’ailleurs reçu l’authentification du principal promoteur de cette affaire d’une gravité extrême puisque une note de bas de page précise que tout cela est parfaitement authentique :
« Comme le confirma Berezovski lui-même. » (page 113)

Voyons cela :
« L’affaire fut conclue sur la côte d’Azur à la mi-juillet 1999, dans la villa d’un riche marchand d’armes saoudien, par trois hommes : Anton Sourikov, ancien officier du GRU (renseignement militaire) qui avait chapeauté le bataillon des frères Bassaïev durant la guerre d’Abkhazie de 1992-1993, l’islamiste Chamil Bassaïev (arrivé par bateau sous pavillon anglais) et le chef de l’administration présidentielle de l’époque [Alexandre Volochine]. Les comploteurs se mirent d’accord sur le plan d’action suivant ! « Au départ devra se produire un petit accrochage à la frontière avec la Tchétchénie. Puis Bassaïev devra occuper les districts au sud du Daghestan. » » (Fédorovski, page 113)

Nous avions vu, chez Tania Rachmanova, qu’à Berezovski qui s’inquiétait de savoir si le gouvernement alors dirigé par Stepachine ne courait pas le risque de faire du tort au démarrage de la manœuvre projetée, celui-ci avait répondu :
« «Boris, ne t’inquiète pas, nous sommes au courant. Tout va bien, on contrôle la situation. » C’était au printemps 1999. » (Rachmanova, page 97)

Le récit de Vladimir Fédorosvski nous apporte une confirmation suivie de quelques détails d’exécution :
« Un indice allait dans le sens de ces instructions : le ministère de la Défense russe avait retiré ses contingents des régions voisines, afin de persuader les Tchétchènes de lancer une offensive finale. « Ensuite, l’armée russe entrera en action et chassera les hommes de Bassaïev. Elle devra en profiter pour pénétrer en Tchétchénie (…). Tout cela prendra assez de temps et le pays vivra au rythme des communiqués militaires (…). Pendant ce temps se produira la relève du pouvoir grâce à la nomination du « sauveur de la Russie » au poste de Premier ministre. » » (Fédorovski, pages 113-114)

Et bientôt, sans doute, à celui de président, élu au suffrage universel, de la Fédération de Russie en remplacement d’un Boris Eltsine « fatigué »…

Or, c’est à cet endroit que Vladimir Fédorovski nous annonce la présence d’une riposte à cette manœuvre initiée par le milliardaire Boris Berezovski, puisque que, pour finir…
« Apparaissent aussi deux niveaux de manipulation parallèles : l’un, mis en scène par l’oligarque ; l’autre, par les militaires, dont il nous faut parler maintenant en mentionnant le rôle du chef d’état-major Anatoli Kvachnine – à l’époque allié fidèle de Poutine et allergique à Lebed. » (Fédorovski, page 114)

Ainsi, en lien avec l’ex-KGB, voici qu’apparaît le prolongement « soviétique » de la célébrissime Armée rouge…
« Le scénario ne se déroula donc pas conformément aux visées de Berezovski et fut détourné par un nouveau centre du pouvoir secrètement mis en place depuis le printemps, qui reposait sur une alliance entre les services secrets et une faction dure de l’armée, menée par Vladimir Poutine. » (Fédorovski, pages 114-115)

Pour autant que cela fût nécessaire, voilà d’où allait émerger une sorte de « sauveur de la Russie », c’est-à-dire un personnage qui emportait avec lui tous les souvenirs du Parti communiste de l’Union soviétique, du KGB et de l’Armée rouge que les États-Uniens avaient cru pouvoir rayer définitivement d’un trait sur la carte de leurs préoccupations.

Nous pouvons ici nous ne remettre à Tania Rachmanova :
« Quand on a appris la nouvelle, m’a expliqué l’ex-conseiller de [Bill] Clinton Stephen Sestanovich, on s’est dit que la politique russe était vraiment devenue absolument imprévisible. Qu’un homme comme Poutine – qui d’après tous ceux qui avaient eu affaire à lui n’était qu’un petit fonctionnaire – puisse être mis en position de devenir président si quelque chose arrivait à Eltsine, cela semblait tout simplement absurde. »(Rachmanova, pages 101-102)

Quant à celles et ceux qui connaissaient tout de même d’un peu plus près les luttes de classe réelles dans lesquelles le système soviétique se débattait depuis tant de décennies, le verdict de l’histoire dont était porteuse l’arrivée de Vladimir Poutine au sommet de l’État russe ne pouvait laisser place au moindre doute.

C’est encore Tania Rachmanova qui nous permet de le vérifier :
« […] comme me l’a raconté la journaliste Elena Tregoubova, alors accréditée au Kremlin pour le quotidien Kommersant : « Tout le beau monde s’était précipité à Moscou, des centaines de limousines noires des hauts fonctionnaires et les Mercedes des oligarques bloquaient complètement la route. Je me suis installée au téléphone, j’ai appelé tous mes contacts au Kremlin et au Conseil des ministres. J’ai parlé avec des spin doctors et des oligarques. Mes interlocuteurs ne comprenaient rien à cette nomination. Ils se répandaient en insultes et en injures contre ceux qui avaient pris une telle décision. » » (Rachmanova, page 102)

En fait, cette décision émanait du fond même de l’épopée soviétique…

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Michel J. Cuny


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