Après le putsch d’août 1991, dans lequel son président, Vladimir Krioutchkov, avait été impliqué, et après la dislocation de l’URSS, le KGB avait été démantelé en différents services, et il avait, par ailleurs, perdu ses pouvoirs de mener des instructions, tandis que ses unités d’élite étaient confiées au ministère de l’Intérieur…
Lui ayant échappé, l’ex-direction du renseignement extérieur, à laquelle le jeune Vladimir Poutine avait appartenu, devenait le SVR, tandis que les services chargés de la sécurité intérieure, en particulier tout ce qui concernait la lutte contre le terrorisme et le crime organisé, se trouvaient rassemblés dans le FSK…
Mais c’est précisément le développement inouï de l’insécurité et des crimes de sang durant la belle époque de montée en puissance des oligarques et de destruction accélérée du tissu de la vie soviétique qui allait contraindre, dès 1993, le pouvoir central à rétablir le FSK (ex-KGB) dans toute une part de ses anciennes prérogatives, et tout spécialement ses pouvoirs de mener des instructions et d’organiser des écoutes, tandis que, devenu le FSB (Service fédéral de sécurité) en 1995, il récupérait ses unités d’élite…
Un an avant cette dernière date, c’est-à-dire en 1994, les putschistes d’août 1991 avaient été amnistiés… Les temps changeaient décidément pour paraître revenir, en quelque sorte, à la période précédente… Ce dont Vladimir Fédorovski ne paraît pas spécialement enchanté :
« Dès 1995 néanmoins, en plein conflit tchétchène, le FSK fut rebaptisé FSB, Service fédéral de la sécurité, retrouvant ainsi non seulement une partie de ses compétences, mais aussi les méthodes autrefois utilisées contre les dissidents soviétiques. » (Fédorovski, page 75)
Un autre événement ne paraît pas non plus devoir l’enchanter :
« Le 20 juillet 1998, un énième éphémère Premier ministre d’Eltsine convoqua Poutine de manière impromptue à l’aéroport pour lui annoncer sa nomination au poste de directeur du FSB. » (Fédorovski, page 75)
Cinquante jours plus tard, le 11 septembre 1998, voici qu’Evgueni Primakov devient Premier ministre : il s’agit tout simplement de l’homme qui, le 26 décembre 1991, avait hérité de la direction du Service des renseignements extérieurs de Russie, le SVR, poste qu’il avait occupé jusqu’en 1996, et dont nous avons vu qu’il était un démembrement du… KGB.
Même s’il s’agit d’un ancien proche de Mikhaïl Gorbatchev, c’est-à-dire d’un partisan plutôt enthousiaste de la perestroïka et de la glasnost, il ne semble pas être venu auprès du président de la Fédération de Russie, Boris Eltsine, à la suite d’un choix que celui-ci aurait opéré dans la joie et la bonne humeur… Nous y reviendrons… Ce qui est certain, c’est qu’il ne pouvait guère faire autrement.
Quant à Evgueni Primakov, il n’a jamais caché tout le bien qu’il pensait de Vladimir Poutine, en particulier pour ce qu’il avait pu connaître de sa façon d’assumer ses responsabilités durant toute cette période qui le séparait du moment où il allait lui-même devenir Premier ministre après Primakov (arrivé le 11 septembre 1998 et renvoyé le 12 mai 1999) et par-delà un bref intermède de Sergueï Stepachine (12 mai 1999 – 9 août 1999) :
« Je refusais de croire aux insinuations de certains médias, selon lesquels Poutine était dépendant des oligarques, et je ne doutais pas que ce fût un homme honnête. » (Primakov, page 16)
C’est alors qu’Evgueni Primakov est Premier ministre depuis un peu plus de quatre mois, et que Vladimir Poutine est à la tête du FSB depuis six mois, que se produisit un événement significatif de ce que pouvait être, sous le règne de Boris Eltsine et de sa « Famille », l’argent facile et les trafics en tout genre. Voici en quels termes cela nous est rapporté par Gilles Favarel-Garrigues et Kathy Rousselet :
« 22 janvier 1999 : En perquisitionnant à Lugano l’entreprise de bâtiment Mabetex, la justice révèle un scandale politico-financier qui met directement en cause Boris Eltsine et son entourage dans des opérations de blanchiment et de corruption. » (Favarel-Garrigues et Rousselet, page 470)
Cependant, nous dit-on encore :
« 17 mars 1999 : Le procureur général de la Fédération de Russie, Iouri Skouratov, qui relaie les accusations contre Boris Eltsine et son entourage dans l’affaire Mabetex, est compromis par la retransmission télévisée d’une vidéo pornographique censée le mettre en scène. C’est la fin d’une affaire qui menaçait de déstabiliser le clan présidentiel. » (Favarel-Garrigues et Rousselet, page 470)
Y aurait-il une astuce ? Et qui pourrait en être l’auteur ? La vidéo aurait-elle pu être truquée ? Par qui ? S’agissait-il, en ruinant par tromperie la réputation du procureur général, de mettre à l’abri le Président de la Fédération de Russie et sa petite Cour ?
Tournons-nous vers Tania Rakhamnova qui évoque le rôle tenu par Vladimir Poutine, chef des services secrets, dans cette étrange affaire :
« Le Kremlin sort alors son joker. Le 2 avril 1999, le directeur du FSB donne une interview diffusée pratiquement en direct par la télévision. Le chef des services de renseignements est filmé dans la rue et le reportage ne le montre que très brièvement – apparemment, on ne le prend pas encore vraiment au sérieux. Le journaliste ne lui laisse même pas terminer sa phrase, il couvre sa voix d’un commentaire : « Aujourd’hui, le directeur du FSB, Vladimir Poutine, a informé les journalistes que la fameuse cassette d’un homme ressemblant à Skouratov a été authentifiée : il s’agit bien des images du procureur général. » » (Rakhmanova, page 65)
Curieusement, Tania Rakhmanova, qui a pu mener son enquête auprès du personnage ici mis en cause, s’en remet au commentaire du journaliste… sans se soucier, plus que de raison, des propos réellement tenus par un Vladimir Poutine devenu inaudible… De même, fait-elle crédit au procureur général d’un système de défense qui paraît, à l’examen, très peu crédible…
« Lors de notre entretien, Iouri Skouratov conteste fermement les propos de Vladimir Poutine : « Il a menti, bien sûr, car une telle expertise ne peut être menée que dans le cadre d’une enquête criminelle, par des experts accrédités par le parquet. » » (Rakhmanova, page 66)
Serait-ce oublier délibérément ce que nous avons vu plus haut : depuis 1993, le FSB a récupéré ses pouvoirs de mener des instructions ?
Ainsi, ne sachant pas ce qui a été précisément dit par Vladimir Poutine devant les caméras de télévision, et n’ayant rien à lui reprocher à propos d’un éventuel dépassement de ses droits d’investigation, nous pouvons nous étonner de la façon dont Tania Rakhmanova en use à son égard. Tout dans son comportement aurait erroné, voire illégal…
« Mais la confirmation du chef du FSB se révélera suffisante. Après cette intervention publique, une enquête judiciaire est ouverte sur le procureur. Il est suspendu et contraint d’abandonner l’affaire Mabetex. C’est la fin de la carrière de Iouri Skouratov et le début de l’ascension fulgurante de Vladimir Poutine. Celui-ci a prouvé à la Famille qu’elle pouvait compter sur lui. » (Rakhmanova, page 66)
Rien que cela ! Était-ce vraiment blanchir la « Famille » ? La carrière politique de Boris Eltsine et de son entourage allait-elle s’en trouver remise carrément sur les rails ? De même que celle du complice Berezosvki ?
Mieux : aurait-il suffi à Vladimir Poutine de s’en prendre à la carrière d’un Iouri Skouratov pour obtenir le poste de Premier ministre ?
C’est l’avis affiché par Boris Nemtsov, un de ses adversaires les plus déterminés… qui avait dû quitter la vice-Présidence du gouvernement le 28 août 1998, 14 jours avant que ne devienne Premier ministre un adversaire déterminé des manœuvres…de la « Famille », un certain Evgueni Primakov.
Voici ce que Tania Rakhamova nous dit de sa façon de voir les choses :
« Pour Boris Nemtsov, il s’agit là du moment clé de l’ascension de Vladimir Poutine : « Poutine s’est personnellement impliqué dans l’affaire Skouratov, il a mené lui-même l’enquête pour identifier la cassette. Cela a beaucoup plu à Eltsine et c’est à partir de ce moment-là qu’il a vraiment été pris au sérieux. » » (Rakhmanova, page 66)
Tout ceci ne tient pas une seconde… En effet, que le procureur général Skouratov ait été dessaisi du dossier n’a strictement rien changé à la menace dont Boris Eltsine pouvait s’estimer être la principale cible. Et c’est Tania Rakhmanova qui l’avoue elle-même, nous permettant de retomber à pieds joints sur deux personnages essentiels de l’entourage familial, si l’on peut dire, du président de la Fédération de Russie : Berezovski et Borodine. Citons-la une fois encore :
« […] en Suisse, l’affaire Mabetex reprend, avec une nouvelle perquisition dans les locaux de la firme et au siège d’Andava, une filiale d’Aeroflot détenue majoritairement par Boris Berezovski. Le procureur général du canton de Genève, Bernard Bertossa, a ouvert une enquête sur des soupçons de blanchiment d’argent par des fonctionnaires russes : « Vingt-quatre ressortissants russes sont concernés, parmi lesquels Pavel Borodine, un très proche de Boris Eltsine. » » (Rakhmanova, page 92)
Décidément rétive à comprendre quoi que ce soit – tant la haine qu’elle voue à Vladimir Poutine l’aveugle -, Tania Rakhamanova se jette courageusement dans un vide tout simplement sidéral :
« La Famille décide donc d’accélérer l’opération « candidature de Poutine ». » (Rakhmanova, page 92)
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Michel J. Cuny