À peine le putsch initialement tourné contre Mikhaïl Gorbatchev aura-t-il été étouffé au profit de la légende d’un Boris Eltsine rangé, en apparence, du côté du peuple russe, que le nouveau « héros » prend, par décret du 23 août 1991, la décision de suspendre les activités du parti communiste sur le territoire de la RSFSR, République soviétique fédérative de Russie, qu’il préside.
Boris Eltsine (1931-2007)
Mieux, le 6 novembre 1991, il procédera à son interdiction qu’il croyait définitive. Cependant, assez rapidement, Boris Eltsine en vient à se heurter au Parlement de Russie, qui annule cette décision 15 mois plus tard : le 13 février 1993. Dans un congrès exceptionnel qui se déroule ce jour-là et le lendemain, le Parti communiste de la Fédération de Russie (PCFR), qui n’avait jamais existé durant toute l’histoire de l’Union soviétique pour éviter qu’il n’y exerce une dangereuse suprématie, est créé…
Voilà pour la partie russe…
Mais, en ce qui concerne l’ensemble de l’Union soviétique – qui n’en avait plus que pour quatre mois tout juste de survie -, il avait suffi d’attendre le 29 août 1991, cinq jours après la démission de Mikhaïl Gorbatchev de son poste de secrétaire général du Comité central du Parti communiste de l’Union soviétique (PCUS), pour voir le Soviet suprême d’URSS suspendre les activités du parti sur l’ensemble du territoire, et ceci sans rémission possible…
Or, nous avions vu que, dès le décret pris par Boris Eltsine le 25 août de la même année, tous les biens détenus par le PCUS sur le territoire de la Fédération de Russie et à l’étranger avaient été captés par celle-ci.
Et voici que, cinq ans plus tard et ainsi que Tania Rakhamanova s’en fait l’écho, Vladimir Poutine perd son poste auprès d’Anatoli Sobtchak :
« À l’été 1996, tandis qu’à Moscou les démocrates célèbres la victoire de Boris Eltsine, à Saint-Pétersbourg, Anatoli Sobtchak, le premier maire de la ville élu au suffrage universel et l’un des symboles de la nouvelle Russie postsoviétique, fait ses valises. » (Rakhmanova, page 43)
Conséquemment :
« Poutine se retrouve au chômage » (Rakhmanova, page 44)
Et que fait-il ? Selon la journaliste russe :
« En réalité, c’est Pavel Borodine, l’administrateur des biens de la présidence, qu’il va rencontrer à Moscou, comme me l’a confié ce dernier en mars 2005 : « Poutine est venu de sa propre initiative. C’était quelqu’un de sérieux et honnête, très fort en affaires. Je l’ai embauché. » » (Rakhmanova, page 44)
Avant de voir ce que sont ces « biens de la présidence », tournons-nous vers Masha Gessen qui nous ouvre une autre piste qui n’est peut-être pas celle d’un choix réalisé, à la volée, par le brave Borodine… dont nous découvrirons bientôt qu’il n’était peut-être pas, lui, tout ce qu’il a de plus « sérieux » et de plus « honnête »… Elle écrit ceci :
« Poutine était désormais chef du bureau de gestion immobilière de la présidence, ce qui ressemble fort à un nouvel emploi de « réserve active ». » (Gessen, page 154)
Il faut compléter cette formule quelque peu sibylline… qui nous permet d’abord de comprendre qu’avant celui-ci, il y avait eu un autre emploi du même acabit : celui que Vladimir Poutine a occupé auprès d’Anatoli Sobtchak, et qu’ensuite, dans l’un comme dans l’autre cas, il s’agissait pour lui d’intervenir en qualité de membre de la… réserve active… de l’ex-KGB.
Le voici donc maintenant auprès d’un Pavel Borodine qui n’a pas vraiment le même profil qu’Anatoli Sobtchak… Ainsi pressent-on dès ce propos de Frédéric Pons que sa mission n’est peut être pas destinée à rassurer son nouveau patron :
« Nommé vice-directeur de l’administration présidentielle, Poutine est chargé de veiller à la loyauté et à l’efficacité des gouverneurs des régions et de leurs administrations. » (Pons, page 92)
Encore faut-il y ajouter ceci :
« Son constat sur la faiblesse de l’administration des régions, sur l’abandon des populations aux mains de ces grands féodaux, vaut aussi pour les oligarques. » (Pons, page 93)
Pour sa part, Vladimir Fédorovski, sans doute mieux informé, range l’arrivée de Vladimir Poutine à Moscou sous la responsabilité d’un autre personnage. Il s’agit du vice-Premier ministre Alexei Bolchakov, un ancien, lui aussi, de Saint-Pétersbourg…
« Grâce à cet appui décisif, Poutine fut finalement promu adjoint de Borodine, directeur du « département des affaires générales de l’administration présidentielle » (cabinet de Boris Eltsine), pour traiter des affaires légales et des avoirs russes à l’étranger […]. » (Fédorovski, page 72)
Ainsi, sur quoi, dans cette nouvelle mission de « réserve active », Vladimir Poutine va-t-il devoir veiller, pour le passé comme pour le présent ?
Laissons à Vladimir Fédorovski le loisir de nous en dire plus :
« Le patrimoine géré par cette administration, c’est-à-dire l’héritage des biens de l’ancien parti communiste, était colossal : trois millions de mètres carrés de bureaux (l’ensemble des bâtiments officiels de la capitale russe), deux mille datchas, autant d’appartements, de vastes terrains constructibles, des complexes hôteliers et une multitude de propriétés dans soixante-dix-huit pays, les maisons de repos du gouvernement, le parc automobile officiel, la compagnie aérienne de la présidence et des relais de la télévision nationale. » (Fédorovski, page 72)
Qu’aura-t-il eu à contrôler et à tenter de faire frapper par la vindicte de la loi ?
Vladimir Fédorovski l’écrit pour nous, même si visiblement il ne saisit pas tout le sel de cette situation qui ouvre d’étranges aperçus sur la continuité du contrôle exercé, par les officiers de l’ex-KGB, sur les moyens de travail de l’ex-PCUS, et sur la déviance marquée de certains proches d’Eltsine et tout particulièrement d’un Borodine, très occupé alors à faire la fortune de certains membres rapprochés du nouveau patron du Kremlin.
Drôle d’époque, décidément, pour un Vladimir Poutine qui n’avait toujours pas trouvé le moyen de rendre sa carte de l’ancien parti :
« Pourtant, en ces années-là, il se trouvait au poste stratégique d’adjoint de l’intendant du Kremlin, puis, à partir de mars 1997, de directeur central du contrôle de l’administration présidentielle. Quant aux juges d’instruction helvétiques, ils sont formels : c’est justement entre juin 1996 et juillet 1998 que le supérieur direct de Poutine, Borodine, aurait empoché la modique somme de 25 millions de dollars. » (Fédorovski, pages 72-73)
Il ne serait bientôt plus temps, pour le régime corrompu de Boris Eltsine, de disposer ainsi, jusqu’à plus soif, des fruits du travail soviétique… Viendrait bientôt ce qu’il redoutait le plus : la dictature de la loi. Quant à Vladimir Poutine – en réserve active de l’organisme que nous savons -, il n’était déjà plus, en ce temps terriblement troublé, qu’à deux petits pas de la vraie zone de pouvoir… où il trouverait enfin de quoi faire intervenir… la loi.
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Michel J. Cuny
A reblogué ceci sur josephhokayem.
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