Revenons sur le putsch du mois d’août 1991 par lequel les membres « soviétistes » du gouvernement désigné par Mikhaïl Gorbatchev avaient tenté de freiner la dérive pro-occidentale de celui-ci. Ce que nous cherchons à comprendre, c’est la ligne politique qui a alors été suivie par le maire de Saint-Pétersbourg (ex-Leningrad ), Anatoli Sobtchak, dont Vladimir Poutine était devenu l’adjoint, tout en étant resté membre du KGB.
Après avoir fait vérifier, par référendum, que la population de l’ensemble de l’Union soviétique voulait effectivement rester dans le cadre de celle-ci, Mikhaïl Gorbatchev avait proposé une rénovation profonde des modalités de fonctionnement de cette fédération de républiques, ce qui avait produit un émoi certain dans son entourage politique rapproché.
La réaction de celui-ci ne devait pas tarder à se manifester, ainsi que le rapporte Xavier Moreau :
« Pour empêcher la signature du nouveau « traité d’union », une délégation de six hauts dignitaires du parti communiste se rend à la datcha de Mikhaïl Gorbatchev en Crimée où ce dernier est en vacances. Ils tentent de le convaincre de renoncer à l’application du traité, et devant son refus l’assignent à résidence. Les « putschistes » rentrent à Moscou et créent le GKTchP, Comité d’État pour l’état d’urgence. » (Moreau, page 27)
Dans une note du livre « Au cœur du pouvoir russe – Enquête sur l’empire Poutine » de Tania Rakhmanova, nous découvrons les trois composantes qui ont été à l’œuvre dans cette manœuvre :
« Le 19 août 1991, un groupe de hauts dirigeants conservateurs du Parti communiste, du KGB et de l’armée profite de l’absence de Mikhaïl Gorbatchev à Moscou pour prendre le pouvoir. » (Rakhmanova, note, page 191)
Que peut-il en être, à la même heure, à Saint-Pétersbourg, de l’attitude du lieutenant-colonel en réserve du KGB, Vladimir Poutine, et de son patron, Anatoli Sobtchak, maire de la ville, dont nous savons qu’il est alors réputé être l’un des partisans les plus éminents de la fin du soviétisme ? Nous verrons cela bientôt…
À Moscou, l’affaire est grave, et l’armée s’y trouve effectivement impliquée. Xavier Moreau écrit :
« Guennadi Ianaïev, le Vice-Président, prend la direction du pays, tandis que l’état d’urgence est décrété. Dmitri Iazov, le ministre de la Défense, fait rentrer deux divisions blindées à l’intérieur de Moscou. » (Moreau, page 27)
Pour sa part, Masha Gessen nous fournit davantage de détails sur ce qui s’était passé, dès le 19 août 1991, du côté des putschistes :
« À partir de 6 heures du matin, la radio d’État se mit à diffuser une série de décrets et de discours politiques. Une heure plus tard, on put entendre les mêmes textes à la télévision. » (Gessen, pages 121-122)
Elle cite en particulier celui-ci :
« La politique de réforme lancée par M. S. Gorbatchev dans l’intention d’assurer le développement dynamique du pays et la démocratisation de notre société nous a conduits dans l’impasse. » (Gessen, page 122)
Affirmant que Mikhaïl Gorbatchev était malade et inapte à exercer ses fonctions alors qu’il était tout simplement retenu dans sa résidence de vacances à Foros, sur les côtes de la mer Noire, la rébellion rassemblait les sommets de l’État soviétique. En effet, parmi les putschistes présents à Moscou, on comptait en particulier le président du KGB (Vladimir Krioutchkov), le Premier ministre (Valentin Pavlov), le ministre de l’Intérieur (Boris Pougo), le vice-président du Conseil de sécurité (Oleg Baklanov), le ministre de la Défense (Dmitri Iazov), le vice-président (Guennadi Ianaïev), le président du Soviet suprême (Anatoli Loukianov) et les responsables des syndicats du commerce et de l’agriculture.
D’où pouvait provenir cette unanimité parmi de hauts responsables qui avaient tous été précédemment choisis par celui qu’ils déclaraient vouloir désormais plier à leur volonté de sauver le caractère soviétique du régime ?
Vladimir Fédorovski nous fournit un début de réponse en évoquant une anticipation venue à l’esprit de Mikhaïl Gorbatchev lui-même dans les semaines précédentes :
« Au début de l’été [1991], après moult hésitations, ce dernier projeta enfin de limoger le chef du KGB ainsi que plusieurs ministres allergiques aux réformes dès la signature du traité de l’Union, fixée au 20 août, qui devait proclamer la fin de l’URSS. » (Fédorovski, page 53)
Voilà donc qui nous rapproche – même si tout ceci n’est que très indirect – d’un certain lieutenant-colonel en mission auprès d’Anatoli Sobtchak à la mairie de Saint-Pétersbourg…
Mais, dessinons maintenant la situation du camp d’en face…
Auprès de qui Mikhaïl Gorbatchev aura-t-il confessé son intention de remanier l’ensemble du gouvernement soviétique ?
Pour le savoir, tournons-nous vers le recueil de ses Mémoires que lui-même a publié en 1995. À propos de 1991, nous y lisons ceci :
« Fin juillet, juste avant de partir en vacances, je m’étais entretenu avec Eltsine et Nazarbaïev à Novo-Ogarevo. Nous avions parlé des mesures à prendre après la signature du traité. » (Gorbatchev, page 803)
Il s’agit là du traité tendant à faire naître une Union soviétique rénovée…
Et pourquoi ne pas commencer en bousculant un peu le calendrier de mise en application des décisions destinées à prendre naissance après son adoption :
« Précédemment, nous estimions que cet événement devrait être suivi par une période transitoire de six mois au cours de laquelle une nouvelle Constitution serait rédigée. L’approbation par le peuple de ce texte ouvrirait la voie à l’élection de nouveaux organes du pouvoir. On pouvait néanmoins se demander légitimement s’il était bon d’attendre aussi longtemps […]. » (Gorbatchev, page 803)
« On », il paraît que c’était tout juste le couple formé par Noursoultan Nazarbaïev, premier secrétaire du parti communiste kazakh, et Boris Eltsine, président de la République soviétique fédérative socialiste de Russie (RSFSR) depuis le 20 juin précédent. Les voici à l’œuvre, selon Mikhaïl Gorbatchev lui-même :
« Eltsine et Nazarbaïev étaient d’avis de remanier immédiatement les structures étatiques de l’Union […]. » (Gorbatchev, pages 803-804)
« Puis nous passâmes aux problèmes des cadres, en commençant par le choix du candidat au poste de président de l’Union des États souverains. Eltsine proposa ma candidature. Nous nous mîmes aussi d’accord pour recommander Nazarbaïev au poste de chef de gouvernement. » (Gorbatchev, page 804)
Et voilà qui concernait directement les futurs « putschistes » :
« Nous convînmes aussi du besoin de rénover substantiellement les échelons supérieurs du pouvoir exécutif. Nous parlâmes du remplacement de Iazov et de Krioutchkov. » (Gorbatchev, page 804)
Il s’agissait là, à la fois, du ministre de la Défense et du président du KGB…
Ici, les oreilles de Vladimir Poutine auraient pu siffler… Si, pas les siennes, celles de certains de ses collègues. C’est ce que nous ne tarderons pas à aller vérifier…
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Michel J. Cuny
A reblogué ceci sur josephhokayem.
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