Force de travail et instruction

C’est à nouveau Necker qu’il faut citer ici :
« […] dans l’inégalité de la fortune, effet de l’ordre social, l’instruction est interdite à tous les hommes nés sans propriété ; car toutes les subsistances étant entre les mains de la partie de la nation qui possède l’argent ou les terres, et personne ne donnant rien pour rien, l’homme né sans autre réserve que sa force, est obligé de la consacrer au service des propriétaires, dès le premier moment où elle se développe, et de continuer ainsi toute sa vie, depuis l’instant où le soleil se lève jusqu’à celui où cette force abattue a besoin d’être renouvelée par le sommeil. […] Est-il bien sûr enfin que cette inégalité de connaissances ne soit pas devenue nécessaire au maintien de toutes les inégalités sociales qui l’ont fait naître ? »

Voilà qui est clair.

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Du point de vue bourgeois, l’instruction doit donc être d’abord considérée sous un double profil : dangereuse pour l’ordre social si elle risque de dévoiler le mécanisme qui le sous-tend, elle est au contraire profitable pour les propriétaires si, améliorant la capacité de production du travail, elle fait baisser le prix de revient relatif de celui-ci – davantage de produits fabriqués correspondant à un même temps de travail.

Mais l’instruction peut faire mieux encore et devenir un moyen direct du maintien de l’ordre : elle forme alors les esprits au respect et à l’obéissance, la bourgeoisie ayant bien sûr la coquetterie de faire payer aux ouvriers ce service qu’elle se rend à elle-même. C’est ainsi qu’en octobre 1791, un certain Distivaux rédige un Projet d’Education pour les Enfants admis aux Attelliers de filature :
« Deux heures par jour suffiraient pour l’instruction de ces enfants. L’une le matin, l’autre l’après -midi et pour gagner ces deux heures ce serait de les obliger de venir à l’atelier plus matin et quitter plus tard le soir afin que rien ne préjudice au produit de leur journée. Que tous soient très exacts à se rendre sous peine d’une petite punition qui sera retenue sur leur travail journalier, et cette punition engagerait les parents à tenir la main à ce que leurs enfants soient à l’atelier à l’heure fixée. (…) Pour les frais des livres, encre, plumes, papiers, on pourrait retenir sur le fruit du travail de chaque enfant ces petits frais, à moins que la municipalité n’en fasse la fourniture. »

C’est Talleyrand qui produira l’effort de synthèse le plus grand. Dans son « Rapport » à l’Assemblée nationale, il affirme :
« On doit considérer la société comme un vaste atelier. Il ne suffit pas que tous y travaillent, il faut que tous y soient à leur place, sans quoi il y a opposition de forces, au lieu du concours qui les multiplie… La plus grande de toutes les économies, puisque c’est l’économie des hommes, consiste donc à les mettre dans leur véritable position ; or, il est incontestable qu’un bon système d’instruction est le premier des moyens pour y parvenir. »

Jetons un regard autour de nous en ce début de XXIème siècle… Effectivement, ça marche.

Michel J. Cuny

(Ce texte est extrait de l’ouvrage de Michel J. Cuny – Françoise Petitdemange « Le feu sous la cendre – Enquête sur les silences obtenus par l’enseignement et la psychiatrie » – Editions Paroles Vives 1986, qui est accessible ici.)  


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