Avec Vladimir Poutine, nous allons nous replonger dans l’une des heures les plus graves de sa vie d’officier du KGB. La présentation de ce qui s’était d’abord produit dans la capitale de la République Démocratique d’Allemagne nous est faite par Masha Gessen :
« Le 15 janvier 1990, une foule se rassemble devant le siège de la Stasi à Berlin pour protester contre la destruction des dossiers de la police secrète dont la rumeur faisait état. Les contestataires réussirent à déborder les forces de sécurité et à pénétrer à l’intérieur de l’édifice. » (Gessen, page 79)
La Stasi ! Pour tous les Occidentaux bien formés à la lutte idéologique contre l’ensemble et le détail de ce qui pourrait leur rappeler l’État ouvrier et paysan mieux connu sous le nom d’URSS, il ne pouvait s’agir que de quelque chose qui ressemblait beaucoup à la Gestapo…
Ainsi, la partie du propos de Masha Gessen qui se rapporte à l’autre ville d’Allemagne de l’Est où Vladimir Poutine exerçait ses fonctions de membre des services secrets ne les étonnera guère :
« Poutine a raconté à ses biographes qu’il se trouvait au milieu de la foule et avait vu les manifestants s’en prendre à l’immeuble de la Stasi à Dresde. « Une des femmes criait : « Il faut chercher l’entrée du tunnel sous l’Elbe ! Ils ont des détenus là-dedans, dans l’eau jusqu’aux genoux. » De quels détenus parlait-elle ? Pourquoi pensait-elle qu’ils étaient sous l’Elbe ? Il y avait des cellules de détention, effectivement, mais elles n’étaient évidemment pas sous l’Elbe. » (Gessen, page 79)
La question que pose Vladimir Poutine est parfaitement incongrue… Sachant tout ce que les Occidentaux savent (croient savoir) de Staline et du reste, c’était bien la moindre des choses, pour les cellules de la Stasi, d’offrir des modalités de torture parfaitement exotiques !…
De même n’aura-t-il pas vu qu’il était entouré de monstres plus ou moins sanguinaires. Pour lui, ainsi que le rapporte cette même biographe toujours très critique, par ailleurs, quant à sa personne :
« C’étaient ses amis et ses voisins que l’on attaquait, les gens avec qui il vivait et qu’il fréquentait – exclusivement – depuis quatre ans, et il ne pouvait imaginer qu’ils fussent aussi malfaisants que le prétendait la foule : ce n’étaient que des bureaucrates ordinaires, comme lui-même. » (Gessen, page 79)
Or, ce que la prétendue morale occidentale devait exiger n’allait pas tarder à frapper ces gens-là d’avance convaincus d’avoir plus ou moins maltraité les droits de l’homme :
« Tous les voisins de Poutine perdirent leur emploi et se virent interdire de travailler dans la police, le gouvernement ou l’enseignement. » (Gessen, page 80)
Reportons-nous maintenant au récit laissé par Vladimir Poutine de ces événements-là, et de ce qui les avait précédés. Je les reprends dans la version que Tania Rakhmanova en a donnée :
« Les gens firent irruption dans les locaux de la direction du MGB (ministère de la Sécurité d’État), ils étaient agressifs. Je téléphonai au commandement de nos troupes en Allemagne de l’Est pour exposer la situation. On m’a répondu : « Nous ne pouvons rien faire sans l’accord de Moscou. Et Moscou se tait. » J’ai alors eu l’impression que mon pays n’existait plus. C’était une paralysie totale… Du coup, nous avons tout détruit : liaisons, contacts, réseaux. Nous avons tout brûlé, à en faire exploser le poêle… Tout ce qui avait de la valeur a été envoyé à Moscou, mais ça n’avait plus de sens : tous les contacts étaient interrompus, le travail avec les sources d’information arrêté pour des raisons de sécurité. » (Rakhmanova, page 83)
Que s’était-il donc passé à Moscou ? À peu près rien en vérité. L’Allemagne d’avant la Seconde Guerre mondiale allait bientôt se trouver réunifiée, sans que cela paraisse véritablement surprendre l’équipe d’un Mikhaïl Gorbatchev…
Le désarroi de Vladimir Poutine s’exprime avec toute la netteté possible, même si lui-même ne semble pas se douter encore de la puissance de l’implosion en cours, non seulement à la périphérie de l’Union soviétique, mais dans les républiques associées à la République Socialiste Fédérative Soviétique de Russie, et même en plein cœur de celle-ci…
Il en convient :
« À vrai dire, je regrettais seulement la perte des positions de l’URSS en Europe, mais je savais qu’une position fondée sur des murs et sur des lignes de partage ne peut durer éternellement. Mais j’aurais voulu que quelque chose d’autre vienne à la place, et rien ne venait. C’est cela qui était choquant. Nous avons simplement tout abandonné et nous sommes partis. » (Rakhmanova, page 83)
Ainsi, bien longtemps après, Vladimir Poutine n’en sera-t-il toujours pas revenu. Et c’est auprès de l’ancien conseiller spécial de Richard Nixon qu’il se sera rassuré sur le fait qu’il n’avait pas souffert de la berlue :
« Lors d’une conversation avec Henry Kissinger, celui-ci m’a confié qu’il ne comprenait pas lui-même pourquoi Gorbatchev avait fait cela. L’ex-secrétaire d’État américain avait raison, nous aurions évité beaucoup de problèmes si nous n’avions pas fui aussi brutalement. » (Rakhmanova, page 83)
Faudrait-il évoquer une trahison ?
Mais quelle était donc la nature profonde de la politique menée par Mikhaïl Gorbatchev ? Que signifiaient réellement la perestroïka et la glasnost au pays de l’Etat ouvrier et paysan ? Mieux encore : au pays de la dictature du prolétariat ?
Et qui s’en soucie encore ?
Au moment où nous sommes, le futur président de la Fédération de Russie ne peut plus être qu’une sorte de fantôme pour lui-même… La maison prestigieuse qui avait abrité les plus beaux rêves de sa jeunesse n’existe plus que comme un très lointain souvenir. Lieutenant-colonel d’un KGB qui n’est presque plus rien, Vladimir Poutine n’a pourtant que trente-huit ans. Son premier réflexe est presque celui d’un enfant. Lui-même en convient :
« Je me suis réfugié dans le giron de l’université de Leningrad. Et, en 1990, je suis devenu vice-recteur de l’université chargé des relations internationales. Un de mes amis, un professeur, me proposa de travailler pour Anatoli Sobtchak, qui était devenu président du soviet de Leningrad. » (Rakhmanova, page 83)
Or, dixit Masha Gessen, c’est cet homme-là – Anatoli Sobtchak – qui le surnommera bientôt… « le nouveau Staline ».
Ici, un ange passe…
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Michel J. Cuny
A reblogué ceci sur josephhokayem.
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