Boris Eltsine face à Evguéni Primakov puis à Vladimir Poutine : de Charybde en Sylla !…

Avant même de tenter d’éclaircir la question d’une éventuelle continuité politique entre Boris Eltsine et Vladimir Poutine, nous pouvons nous retourner vers l’un des prédécesseurs rapprochés de celui-ci à la tête du gouvernement de la Fédération de Russie : Evgueni Primakov. Dans quelles conditions ce dernier avait-il été lui-même proposé par Boris Eltsine comme Premier ministre ?

boris-eltsine

Boris Eltsine (1931-2007)

Nous pouvons nous référer ici à Vladimir Fédorovski, qui écrit dans son ouvrage, Poutine, l’itinéraire secret, paru aux Éditions du Rocher en 2014 :
« Le 4 septembre [1998], ce fut un Boris Eltsine décomposé qui vint assister à la table ronde réunissant les principales personnalités de la douma (l’Assemblée nationale russe) et du Conseil de la Fédération (le Sénat). La veille, cédant aux pressions de sa fille Tatiana, il avait placé des détachements Alpha, l’élite de l’ex-KGB, sous son commandement personnel, ce qui était une façon de reconnaître qu’il redoutait un putsch. Les hommes d’affaires en vue avaient également mis en état d’alerte « leurs » départements de sécurité. » (page 97)

Quant à ce que sont ces « départements de sécurité », nous y viendrons plus tard : ils fournissent un éclairage particulièrement cru sur le régime des oligarques…

Mais, ainsi, sept années après que Mikhaïl Gorbatchev ait eu à affronter un putsch (août 1991) dû à l’initiative de membres de son propre gouvernement toujours attachés à l’Union soviétique, celui qui lui avait sauvé la mise tout en le rejetant prestement dans les poubelles de l’histoire, Boris Eltsine affrontait un scénario très comparable… Curieuse persistance des forces d’une sorte de soviétisme occulte…

En 1998, la politique économique menée par Boris Eltsine et les différents gouvernements qui se sont succédé tout au long des dernières années a conduit à une crise financière retentissante qui affole les investisseurs étrangers et la population russe elle-même.

Dans ce moment de panique, c’est d’abord l’avis de l’Assemblée nationale qui importe. Ainsi, comme nous l’indique Vladimir Fédorovski :
« Gregori Yavlinski prit alors la parole. Cet économiste de quarante-six ans, membre de la douma, était l’un des maîtres à penser du libéralisme en Russie. Mais il n’en était pas pour autant eltsinien. Bien au contraire, il estimait que le chef de l’État, par sa « médiocrité » et sa « mégalomanie », était le principal responsable de l’échec des réformes politiques et économiques depuis 1991. » (Fédorovski, page 98)

Ce qui est certain, c’est qu’à ce moment-là, Boris Eltsine ne sait plus lui-même à quel saint se vouer. Et, de toute façon, même s’il lui revient de désigner le futur chef du gouvernement, celui-ci devra obtenir l’adhésion de plus de 300 députés. Autant s’en remettre à l’un des leurs pour définir les caractéristiques que devra posséder l’homme par qui la catastrophe imminente devra être évitée, si cela est encore possible…

Boris Eltsine ne voit donc aucun inconvénient à laisser Gregori Yavlinski en dresser hâtivement le portrait-robot :
« Il doit inspirer confiance au service fédéral de sécurité [l’ex-KGB] et à l’armée. Il faut que le nouveau Premier ministre ait aussi la confiance de la douma, autre expression du peuple russe. Il faut qu’il puisse assurer le prestige de la Russie sur le plan international. » (Fédorovski, page 98)

Nous pouvons immédiatement en faire la remarque : dès ce moment-là, Vladimir Poutine n’était guère éloigné de remplir lui-même l’essentiel des conditions énoncées. Il ne lui restait plus qu’à patienter encore un peu moins d’un an (jusqu’au 16 août 1999) pour occuper le fauteuil de chef du gouvernement. Mais, en ce 4 septembre 1998, il est encore un peu tôt. Et Gregori Yavlinski de déclarer au nom de la Douma :
« J’ai un nom à vous proposer : Evgueni Primakov. » (Fédorovski, page 99)

Primakov, dont Vladimir Fédorovski nous déclare aussitôt qu’il était…
« devenu chef de l’ex-KGB puis, en 1996, ministre des Affaires étrangères […]. » (Fédorovski, page 99)

Ce qu’il faut compléter par cet autre commentaire du même auteur :
« Une chose était certaine : un retour au moins partiel du KGB allait être à l’ordre du jour. » (Fédorovski, page 99)

Certes, une fois obtenu le vote favorable de la Douma, l’arrivée d’Evgueni Primakov à la tête du gouvernement ne mettra pas un terme aux affrontement récurrents entre Boris Eltsine et cette assemblée qui envisage de le destituer… Quant au nouveau Premier ministre, il s’empresse de mettre en application une idée qui lui tient particulièrement à cœur en sa qualité d’ancien chef des services secrets extérieurs. Vladimir Fédorovski s’en fait l’écho auprès de nous :
« Pour Primakov, Berezovski était l’homme à abattre, parce qu’il symbolisait le mal absolu qui détruisait la Russie. » (Fédorovski, page 99)

Sous un terme d’apparence bon enfant, c’est bien l’entourage immédiat de Boris Eltsine qui est visé à travers ce Berezovski dont on peut considérer qu’il est le prince des oligarques :
« Au début de l’année 1998, deux mois après la nomination de Primakov [à la tête du gouvernement de la Fédération de Russie], le procureur général Skouratov lança une enquête pour corruption impliquant plusieurs membres de la « famille ». » (Fédorovski, page 104)

Jugeant bientôt que c’en est trop, le 12 mai 1999 Boris Eltsine limoge Evgueni Primakov. Mais le très puissant oligarque Boris Berezovski ne perd rien pour attendre.

Car, décidément, Vladimir Poutine n’était pas si différent d’Evgueni Primakov… rien que beaucoup plus jeune… et tout aussi acharné à ne rien laisser passer aux oligarques… pour peu que la Russie retrouve quelques forces.

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Michel J. Cuny


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