IV. 20 – Frankenstein et ses créatures

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L’Afghanistan dans le monde

 

IV. 20 – Frankenstein et ses créatures

Alors que Bachar El Assad venait d’être réélu président de la République Arabe Syrienne, le 3 juin 2014, l’ÉI (État Islamique), qui avait annoncé quelques jours plus tard, le 29 juin, l’instauration d’un Califat sur les territoires contrôlés par lui et s’étendant de l’Irak à la Syrie, poursuivait le recrutement de ses membres combattants sur les réseaux sociaux.

L’ÉI, c’est, en remontant dans le temps jusqu’à ses origines, c’est-à-dire jusqu’à la création, en 1988, d’Al-Qaïda, et, en remontant jusqu’aux raisons de sa création, c’est-à-dire jusqu’à 1978, un produit des États-Unis et de la CIA (Central Intelligence Agency), de l’Arabie saoudite et du Pakistan.

En avril 1978, une révolution, orchestrée par le Parti Démocratique Populaire d’Afghanistan, renversait le prince président, tout acquis à la classe féodale la plus fortunée et la plus conservatrice de la société, et proclamait la RDA (République Démocratique Afghane) : « Nour Mohammad Taraki devenait le 1er président du Conseil Révolutionnaire de la RDA (République Démocratique d’Afghanistan) et le pays renouait des relations qui s’étaient distendues, durant les dernières années précédant la « Grande Révolution Saur » ou « Grande Révolution d’Avril », avec l’URSS : les premières mesures prises, collectivistes et sociales, concernaient l’alphabétisation de la population pauvre, le droit des femmes, et le développement de l’agriculture. Mais ces mesures étant en contradiction avec les coutumes conservatrices de la classe riche de la société afghane, la République Démocratique Populaire, qui dut faire face, en 1979, à une rébellion armée et à une tentative de coup d’État en décembre, lança un appel à l’aide à l’URSS. » [Françoise Petitdemange, La Libye révolutionnaire dans le monde (1969-2011), Éditions Paroles Vives 2014, page 244.] Il s’était agi, très rapidement, de développer le pays en procédant à des réformes agraires qui touchaient nécessairement à la propriété, et de permettre à la population pauvre, notamment aux femmes, d’accéder aux études et de bénéficier de mesures sociales dont elle était privée jusqu’à ce moment. C’était sans compter avec les opposants à la transformation de la société en faveur de l’ensemble de la population, opposants soutenus par les États-Unis avant même l’arrivée de l’Armée rouge sur le sol afghan.

Dès 1979, la jeune République Démocratique Afghane, qui ne parvenait pas à venir à bout de la contestation de ses mesures par les mujahidin, demandait l’aide de l’Armée rouge à une URSS (Union des Républiques Socialistes Soviétiques), déjà en voie de dislocation, pour se défendre des attaques menées contre elle. Contrairement à ce qu’ont raconté de prétendu(e)s spécialistes, dans les médias-menteurs, l’Armée rouge n’a jamais envahi l’Afghanistan ! Malgré ses difficultés, l’URSS a répondu à cet appel émanant des représentants du peuple afghan et son Armée rouge a combattu, aux côtés de l’armée légitime de la République Démocratique Afghane, les mujahidin puis les Talibans soutenus militairement et financièrement par les États-Unis, l’Arabie saoudite, le Pakistan, et les valets des États-Unis

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Les présidents états-uniens criminels

Il n’y a pas eu un président américain qui ne se soit livré
à des guerres et à des assassinats en dehors des frontières américaines.
Cinq de ceux-là, qui sont encore vivants, ont du sang sur les mains
de les avoir trempées dans les guerres des pays
mentionnés ci-dessous.
[Traduction FP]

En 1988, Abdallah Azzam et le richissime Oussama Ben Laden créaient une organisation, Al-Qaïda, soutenue par l’Arabie saoudite, armée par la CIA, pour lutter contre la République Démocratique Afghane et l’Armée rouge mobilisée sur le sol afghan depuis 1979…

« Dix ans plus tard, en février 1989, l’URSS, affaiblie par un Mikhaïl Gorbatchev complètement inféodé aux États-Unis et traître à son pays, décidait, de façon unilatérale, de retirer les troupes soviétiques de soutien à la République Démocratique Populaire d’Afghanistan, laissant ainsi les démocrates populaires afghans face à des mujahidin fermement opposés à tout régime politique et économique appuyé sur une réelle démocratie. » [Idem, page 245.] Ainsi, en 1989, le très occidentalisé Mikhaïl Gorbatsev, par sa décision de retirer l’essentiel du soutien de l’URSS à la République Démocratique Afghane, laissait celle-ci aux prises avec les mujahidin, les Talibans, les combattants d’Al-Qaïda et, derrière eux, avec les États-Unis, l’Arabie saoudite, le Pakistan… Trois ans après la traîtrise de Mikhaïl Gorbatsev, en 1992, les mujahidin faisaient tomber la République Démocratique Afghane et s’emparaient du pouvoir mais, très vite, les diverses factions allaient se déchirer…

En 1996, les mujahidin étaient balayés par les Talibans qui se rendaient maîtres du pays et permettaient à Oussama Ben Laden et aux troupes d’Al-Qaïda d’installer leurs camps d’entraînement sur le sol afghan. L’instauration de la charia, dans son application la plus stricte, faisait perdre à la population afghane tout ce qu’elle avait obtenu durant la trop éphémère République Démocratique Afghane. Les uns et les autres de ces opposants étaient toujours soutenus par les mêmes pays : les États-Unis, l’Arabie saoudite, le Pakistan.

Mais après le 11 septembre 2001, les États-Unis, qui s’étaient crus relativement protégés par les Océans atlantique et pacifique, et par les mesures draconiennes qui ne permettaient pas (et ne permettent toujours pas) facilement d’entrer sur leurs territoires, se découvraient ou s’étaient rendus sciemment vulnérables. Les États-Unis et leurs valets de l’OTAN, qui avaient loué les bienfaits d’Oussama Ben Laden tant que ses troupes s’en étaient pris à l’Armée rouge et à l’URSS, le soupçonnaient depuis 1992 d’être l’instigateur d’attentats contre leurs soldats et leurs intérêts. Après la destruction du World Trade Center, et d’une partie du Pentagone, ils l’accusaient dorénavant ouvertement et se donnaient le droit d’aller une nouvelle fois bombarder l’Afghanistan : le gouvernement des Talibans, naguère soutenu par les troupes états-uniennes, était renversé et le pion états-unien, Hamid Karzaï serait, de décembre 2001 à septembre 2014, président de la République islamique d’Afghanistan. Entre-temps, en 2007, l’Afghanistan avait commencé à ouvrir ses portes à la Chine (mines, chemins de fer, centrales électriques…).

Depuis 2015, les Talibans sont aux prises avec l’ÉI (État Islamique), que certains occidentaux préfèrent appeler Daech, peut-être pour gommer les mots État Islamique qui font trop penser qu’il y a un État juif sur des terres arabes.

La population afghane vit depuis 38 ans (1979-2017) dans les guerres civiles, doublées de guerres impérialistes occidentales appuyées par l’Arabie saoudite, qui ont fait de nombreux morts et de nombreux handicapés, parmi les civils comme parmi les combattants. Tout cela pour passer d’une République Démocratique Afghane à une République Islamique d’Afghanistan qui cherche sa voie.

Pendant ces décennies, le tronc religieux et militaire d’Al-Qaïda (la Base) a donné plusieurs branches : AQI (Al-Qaïda en Irak), AQMI (Al-Qaïda au Maghreb Islamique) qui, en s’étendant sur l’Afrique du Nord, a pu développer ses activités sur la région sahélo-saharienne voire sur tout le continent, AQPA (Al-Qaïda dans la Péninsule Arabique) qui est présente principalement en Arabie saoudite et au Yémen (berceau de la famille Ben Laden), AQSI (Al-Qaïda du Sous-continent Indien) qui couvre l’Afghanisan, le Pakistan, le Bangladesh, l’Inde et la Birmanie. Ces branches se sont divisées en rameaux dont les plus connus sont les Brigades Abdullah Azzam, le Front Al-Nosra, etc. En Syrie, ces groupes ont recruté leurs combattants dans les rangs de l’ASL (Armée syrienne libre) qui n’était pas composée que de rebelles laïcs. Le 9 avril 2013, l’ÉII devenait l’ÉIIL (État Islamique d’Irak et du Levant) ; un an plus tard, l’ÉIIL devenait l’ÉI (État Islamique) sans plus se donner aucune limite.

Après cette annonce de l’instauration du Califat, les États-Unis, l’Arabie saoudite, le Qatar, le Bahrein, les Émirats Arabes Unis, la Jordanie, la France bombardaient les troupes de l’ÉI, le 8 août 2014, en Irak et, les mêmes – sauf la France – frappaient, à partir du 23 septembre, les troupes de l’ÉI en Syrie. Les « troupes de l’ÉI ». Rien que les « troupes de l’ÉI » ? Les raffineries de pétrole, aussi. Bien sûr, il s’agissait, dans l’immédiat, de tarir les sources de financement de l’ÉI, mais aussi, dans les perspectives de l’après-guerre, de mettre à mal, comme cela a été fait en Irak, les ressources de l’économie syrienne. Les guerres états-uniennes sont faites, peut-être d’abord et avant tout, pour détruire les pays et punir les populations en anéantissant leur travail, renverser les gouvernements et assassiner les chefs d’État qui ne suivent pas les schémas idéologiques que le rapport de forces états-unien tente d’imposer pour s’emparer des ressources énergétiques de ces pays et entraver leur développement.

Et, que ce soit Al-Qaïda ou l’ÉI ou leurs filiales, ce sont des créatures qui finissent toujours, à un moment ou à un autre, par décevoir leurs créateurs… Utiles à leurs débuts, ces créatures finissent par être assimilées à des monstres. Abandonnées ou persécutées, elles se retournent contre leurs créateurs… C’est l’histoire de Frankenstein.

Suite : IV. 21 – Sergueï Lavrov, à la tribune de l’Assemblée Générale de l’ONU, 27 septembre 2014 

Françoise Petitdemange
11 février 2017


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