Qui bénéficie des richesses issues du perfectionnement de la force de travail et de l’amélioration de l’outil de production ?

Necker ne s’illusionne pas, lui qui écrit dès avant la Révolution bourgeoise de 1789 :
« L’invention successive des instruments qui ont simplifié tous les arts mécaniques, a […] augmenté les richesses et la fortune des propriétaires ; une partie de ces instruments, en diminuant les frais d’exploitation des fonds de terre, a rendu plus considérable le revenu dont les possesseurs de ces biens peuvent disposer ; et une autre partie des découvertes du génie a tellement facilité les travaux de l’industrie, que les hommes, aux services des dispensateurs des subsistances [c’est-à-dire des entrepreneurs], ont pu dans un espace de temps égal, et pour la même rétribution, fabriquer une plus grande quantité d’ouvrages de toute espèce. »

main-de-charpentier

Quant à l’habileté de l’ouvrier, il arrive bientôt qu’elle ne profite plus, là aussi, qu’au propriétaire des moyens de production. C’est encore Necker qui écrit :
« Car il ne faut point perdre de vue, que les rétributions assignées à tous les métiers qui n’exigent point un talent distingué, sont toujours proportionnées au prix de la subsistance nécessaire à chaque ouvrier ; ainsi la rapidité de l’exécution, quand la science en est devenue commune, ne tourne point à l’avantage des hommes de travail, et il n’en résulte qu’une augmentation des moyens pour satisfaire les goûts et les vanités de ceux qui disposent des productions de la terre. »

On peut donc mettre en doute la véracité de ce qu’avance Carnot le célèbre réorganisateur de l’armée révolutionnaire, quand il affirme dans son « Rapport » du 3 novembre 1793 :
« En forgeant toujours la même pièce, ils [les ouvriers] contracteront l’habileté, et ils inventeront des procédés qui rendront leur travail moins pénible et leurs salaires plus considérables ; en opérant chez eux, ils profiteront du secours de leurs femmes et de leurs enfants (…) ; ils ne perdront pas un temps précieux à aller à leurs ateliers et à en revenir ; ils ne seront pas privés des douceurs de leur ménage (…). »

Vers le travail des femmes et des enfants

Le salaire étant déterminé par les frais de reproduction de la force de travail de l’ouvrier, il doit comporter nécessairement, en plus de ce qui permettra à celui-ci de survivre, une part servant à lui préparer un successeur en la personne de son fils. En bonne logique, ce salaire doit comporter également une autre part : celle qui garantira à la mère de cet enfant la survie. Il s’agit là d’un minimum. A moins qu’une politique du type de celle que prône Carnot ne réussisse. Car dans ce cas, femme et enfant ne recevront plus leur subsistance par l’intermédiaire de l’homme, mais la recueilleront directement en échange de leur travail. A la place d’un ouvrier, en voici trois et pour le même prix.

Or – et c’est un second élément du problème -, les innovations techniques, dont Necker a dit plus haut qu’elles ne pouvaient pas profiter aux ouvriers, permettent de diminuer la force musculaire requise et donc d’employer des femmes et des enfants, dont les caractéristiques physiques (stature plus petite, doigts plus fins, etc.) sont un gage supplémentaire de souplesse et d’habileté.

Au total donc, le développement technique apparu à cette époque, loin de profiter aux ouvriers, joue à leur détriment.

Michel J. Cuny

(Ce texte est extrait de l’ouvrage de Michel J. Cuny – Françoise Petitdemange « Le feu sous la cendre – Enquête sur les silences obtenus par l’enseignement et la psychiatrie » – Editions Paroles Vives 1986, qui est accessible ici.)  


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