Ayant présenté, dès le départ de l’Introduction, le « judéo-bolchevisme » comme l’élément essentiel développé par Alfred Rosenberg au profit du nazisme, les éditeurs de son Journal (1934-1944), MM. Matthäus et Bajohr – qui travaillent respectivement pour le Musée Mémorial de l’Holocauste à Washington, et pour le Centre des Études sur l’Holocauste de Munich – indiquent bientôt en quoi ce Journal leur paraît défectueux, et de quelle façon ils ont décidé de… l’améliorer, au-delà même de cette Introduction qui compte, avec les notes, tout juste 100 pages :
« Face à la diversité des aspects particuliers évoqués dans le Journal, nous nous sommes concentrés sur quelques aspects prégnants de ces carnets et du contexte historique. Il faut nommer en premier lieu la reconstitution et la réévaluation du rôle joué par Rosenberg dans le régime nazi pendant la phase où celui-ci passa, au cours de l’année 1941, de la persécution des Juifs à leur destruction systématique. » (page 20)
Autrement dit : dans la balance « judéo-bolchevisme », les auteurs ont décidé d’appuyer – un peu ? – du côté juif. Péché avoué est à moitié pardonné… Avant d’aller plus loin, je dirai qu’un péché peut en cacher un autre, et qu’obtenir le demi-pardon du premier permettra, ici, au second de pulvériser la conscience des lectrices et lecteurs sans même qu’ils en ressentent le moindre trouble.
Mais restons-en, pour l’instant, au seul péché véniel :
« C’est pourquoi nous avons ajouté aux carnets eux-mêmes des documents clés (certains inédits), mémorandums, discours et autres, généralement rédigés par Rosenberg lui-même, précisant son rôle dans cette période décisive plus nettement qu’il ne le fait dans ses carnets. Rosenberg avait, dès le début des années 1920, créé les principales bases idéologiques d’une politique antijuive qui se radicalisera. » (page 20)
Cependant, il reste une difficulté que le péché véniel ne peut, à lui tout seul, surmonter. C’est que, chez Alfred Rosenberg, le judéo-bolchevisme ne se laisse pas facilement diviser…
« C’est ainsi, nous l’avons évoqué déjà, que les développements antijuifs de Mein Kampf furent inspirés par Rosenberg, qui avait, dès 1919, qualifié le pouvoir bolchevique en Russie de pure forme du pouvoir juif et, en fusionnant antisémitisme et antibolchevisme, fourni ainsi la justification sans aucun doute la plus efficace de la guerre de destruction menée plus tard contre l’Union soviétique. » (page 20)
D’où le choc très désagréable ressenti par Rosenberg à l’annonce de la signature du pacte de non-agression germano-soviétique du 23 août 1939, et son exaltation sitôt qu’au printemps 1941, Hitler lui eut annoncé qu’à brève échéance ce pacte serait enfin rompu…
Ainsi peut-on prendre les textes de Rosenberg de quelque façon que ce soit… chez lui, le « judéo-bolchevisme » forme un tout indécomposable. Ce dont MM. Matthäus et Bajohr ont eu à faire la rude expérience :
« Comme le montrent ses carnets, Rosenberg s’en tint obstinément à ce principe, à la fois idéologique et de tactique politique consistant à lier au bolchevisme le « peuple parasite juif », c’est-à-dire à fondre bolchevisme et judaïsme en une unité indissociable. » (page 20)
Mais, dorénavant « formatés » comme nous le sommes par l’Holocauste, nous ne pouvons plus que reconnaître dans le bolchevisme d’un Staline – qui n’était, lui, pas même juif – l’égal, ou à peu près… du nazisme d’un Hitler, et peut-être même son modèle… en pire, tandis que, tenus par le Journal qu’ils ont en main, nos deux auteurs ne peuvent toujours que dire, à la fois de Hitler et de Rosenberg :
« Ils souscrivaient certes entièrement tous les deux à la politique de destruction radicale des Juifs et des bolcheviques […]. » (page 23)
Or, par notre silence et par notre oubli, il est certain qu’en notre qualité d’habitant(e)s de l’Europe occidentale, nous contribuons à maintenir les bolcheviks morts sous le couteau nazi, et à Stalingrad en particulier, très loin dans les limbes de l’histoire.
Quand l’Holocauste brille, lui, de tous ses feux.
Mais d’où tire-t-il tant de charmes ? Prenons cela, une fois encore, des travaux de Tony Judt qui aura été longtemps un sioniste passionné…
Ainsi, avant que l’Holocauste médiatique n’éclate au su et au vu du monde entier, il n’était pas grand-chose, explique-t-il :
« Pour la plupart des Européens, la Seconde Guerre mondiale n’avait pas concerné les Juifs (sauf quand on les en blâmait), et toute idée que leurs souffrances méritaient la place d’honneur suscitait une vive réprobation. » (Tony Judt, Après guerre – Une histoire de l’Europe depuis 1945, Armand Colin 2007, page 937)
« Réprobation« … Et « vive« , avec cela !… Incroyable !…
Mais voici comment tout a fini par basculer, en Allemagne, nous dit-on… En Allemagne… Serait-ce un hasard ? Lisons la suite des explications que nous donne Tony Judt :
« La véritable transformation survint au cours de la décennie suivante. Une série d’événements – la guerre israélo-arabe des Six-Jours, en 1967, le chancelier Brandt qui s’agenouilla devant le mémorial du ghetto de Varsovie, le meurtre des athlètes israéliens aux Jeux Olympiques de Munich en 1972 et enfin la diffusion du feuilleton Holocauste en janvier 1979 – contribua à mettre les Juifs et leurs souffrances en tête de l’ordre du jour public allemand. » (page 940)
La formule de « l’ordre du jour public » est assez bien choisie, surtout en ce qu’elle nous souffle quelque chose d’un peu différent, mais qui est sans doute sa vérité profonde : l’ordre public du jour… l’ordre public de l’Allemagne moderne… Enfin, de l’Allemagne telle qu’elle est désormais ordonnée au beau milieu de son Europe à elle.
Alors que tout cela nous vient, mais oui, des États-Unis… Tony Judt fait bien de nous le dire :
« La série télévisée fut de loin le facteur le plus important. Pur produit de la télévision commerciale américaine – avec son histoire simple, ses personnages essentiellement bidimensionnels, la structuration du récit pour un impact émotionnel maximum – Holocauste suscita l’exécration et l’abomination des cinéastes européens, d’Edgar Reitz à Claude Lanzmann, qui l’accusèrent de transformer l’histoire allemande en feuilleton mièvre à l’américaine, et de rendre accessible et compréhensible ce qui devrait toujours rester indicible et impénétrable. » (page 940)
…c’est-à-dire : non digérable.
Dans les années suivantes, l’Allemagne a donc bien digéré, et avec elle toutes celles et tous ceux qui, dans le marché commun et au-delà, n’attendaient que de voir comment tailler des croupières – si l’on peut dire – à la mémoire de Staline, c’est-à-dire : à la seconde part du « judéo-bolchevisme », qui ne serait bientôt plus rien auprès de l’Holocauste venu littéralement « enchanter » la première part…
Car, si mauvaise que fut cette série télévisée pour la conscience morale européenne (la nôtre, aujourd’hui), comme l’écrit Tony Judt :
« Mais ces limites mêmes expliquent l’impact de la diffusion, qui occupa quatre soirées consécutives sur la chaîne nationale ouest-allemande, et réunit devant le petit écran près de vingt millions de téléspectateurs, soit nettement plus de la moitié de la population adulte. » (pages 940-941)
Et puis, plus tard, il y eut Arte, et puis Les Origines du totalitarisme, Le livre noir du communisme, le Journal de Rosenberg, la biographie de Himmler, le Journal de Goebbels, la réédition de Mein Kampf…
Mais, en bout de piste, ce cri de Vladimir Poutine : stop ! Et dans les rues de Moscou ce défilé, le 9 mai 2015, d’un peuple russe portant, haut et fort, à bout de bras, le souvenir de ses martyrs de la Grande guerre patriotique menée par les redoutables judéo-bolcheviks…
Moscou, 9 mai 2015
Et pourquoi l’avenir ne lui appartiendrait-il pas, dans cette Europe sans âme ?
Michel J. Cuny
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