Occupé à préparer, par son ouvrage de 1896, la mise en œuvre de L’État des Juifs, Theodor Herzl définit les deux instruments nécessaires et suffisants qu’il propose de créer. Tout d’abord un organisme tendant à prendre place dans le droit public : la Society of Jews, qu’il nous présente comme un « État provisoire ». Ensuite, un organisme de droit privé : la Jewish Company, occupée à mener des transactions financières et commerciales.
Si la Society of Jews pourra trouver ses initiateurs chez les « valeureux Juifs anglais », voici comment Theodor Herzl définit son complément de droit privé :
« La Jewish Company sera créée sous la forme d’une société par actions de droit. Elle jouira de la personnalité juridique en droit anglais. Le siège principal sera à Londres. » (page 47)
En ce temps-là, effectivement, la City était le cœur de la finance mondiale et l’Empire britannique une étendue géographique sur laquelle le soleil ne se couchait jamais. Cependant, un phénomène inquiétant commençait à se manifester : l’économie d’une Allemagne de plus en plus envahissante. On sait ce qu’il devait en advenir une petite vingtaine d’années plus tard.
Curieusement, d’ailleurs, et sans doute aussi parce qu’il vit alors lui-même dans l’Empire austro-hongrois – à Vienne plus précisément –, Theodor Herzl, n’évalue pas le capital de départ de la Jewish Company en livres sterling… Non…
« […] pour donner un chiffre, j’imagine un montant d’un milliard de marks. » (page 47)
À quoi ce capital sera-t-il utilisé ? Réponse de Theodor Herzl :
« La Jewish Company prendra soin de la liquidation des intérêts matériels des Juifs qui émigreront et organisera l’activité économique dans le nouveau pays. » (page 42)
Nous disposons donc, désormais, d’un État provisoire (britannique, un peu), la Society of Jews, et d’un capital que contrôle une société de droit britannique, la Jewish Company, dont la dialectique de fonctionnement se développera selon le schéma suivant dans le territoire cible :
« Le pays garanti à la Society of Jews par le droit international doit évidemment aussi être acquis en droit privé. » (page 49)
Tandis que le droit international garantira à la Society of Jews – État d’abord provisoire – la souveraineté pleine et entière sur le territoire ouvert à la colonisation, et en particulier en ce qui concerne l’usage qui pourra être fait du droit de propriété, la Jewish Company gérera le mouvement des fonds et leur application au départ, en Europe, et à l’arrivée, en Palestine, par exemple, où règne, à ce moment-là, le souverain ottoman – qu’il faudra convaincre de lâcher ce lest.
D’un souverain l’autre… C’est ici la Society of Jews qui s’avance en majesté, ayant, en son sein et dans son instrument majeur, la Jewish Company, un peu de la finance britannique. Écoutons Theodor Herzl :
« Nous sommes en mesure d’offrir au souverain actuel des avantages énormes : nous pouvons prendre à notre compte une partie de la dette publique, construire des routes dont nous avons besoin, et bien d’autres choses encore. D’ailleurs le simple fait de la création de l’État des Juifs ne peut être que bénéfique pour les États voisins, car que ce soit en grand ou en petit, la culture d’une région contribue à accroître la valeur des territoires limitrophes. » (pages 43-44)
N’est-ce pas bien envoyé ? Tout le monde ne va-t-il pas y trouver son compte ?
Soyons plus précis… La City, tu m’entends ?…
« Si Sa Majesté le Sultan consentait à nous donner la Palestine, nous pourrions nous charger de mettre en ordre les finances de la Turquie. Pour l’Europe, nous formerions là-bas un élément du mur contre l’Asie ainsi que l’avant-poste de la civilisation contre la barbarie. » (page 44)
Eh oui, les affaires, c’est bien gentil… La Jewish Company, c’est fort joli… Mais l’État des Juifs, sous l’espèce de la souveraine Society of Jews, ça comporte déjà le droit de… montrer ses muscles, face à la barbarie (qui ça ?). Theodor Herzl l’aura donc affirmé dès le départ :
« Comme État neutre nous aurions des relations avec toute l’Europe qui garantirait notre existence. » (page 44)
Et d’y mettre un peu de religion ne gâtera sans doute pas la sauce :
« Nous formerions une garde d’honneur autour des lieux saints et garantirions par notre existence même l’accomplissement de ce devoir. » (page 44)
D’où le caractère impérieux de cette présence d’un État des Juifs provisoire, d’une Society of Jews reconnue par le droit international très européen de l’époque. C’est que la colonisation y trouvera des dents de crocodiles et même des meutes de crocodiles qui laisseront loin derrière elles les à-peu-près de l’antique pénétration en Palestine aussi bien qu’en Argentine, dont Theodor Herzl ne veut plus entendre parler :
« Des tentatives de colonisation progressive y ont été organisées, mais toujours selon le principe erroné de l’infiltration progressive des Juifs. L’infiltration aboutit toujours à un échec. En effet, régulièrement, sous la pression des populations qui se sentent menacées, le gouvernement est amené à interdire l’immigration des Juifs. » (page 43)
Or, même en Angleterre, cela est devenu source d’inquiétude :
« Les Juifs pauvres colportent maintenant l’antisémitisme en Angleterre. Ils l’ont déjà introduit en Amérique. » (page 22)
C’est que, de façon plus générale, et toujours selon Theodor Herzl :
« La question juive existe là où les Juifs sont en nombre. Là où elle n’existe pas, elle est importée par les immigrants juifs. » (page22)
Alors, la City… Tu bouges ?… Faudra-t-il attendre de voir les Juifs pauvres basculer dans le camp socialiste et y rejoindre l’intelligentsia juive pour la plus grande frayeur des riches, Juifs ou non-Juifs ? C’est que, comme nous l’avons vu, Theodor Herzl a mis en garde son petit monde :
« Vers le bas, nous sommes prolétarisés en révolutionnaires et fournissons ainsi les sous-officiers des partis révolutionnaires, alors qu’en même temps, vers le haut, notre pouvoir financier ne cesse de grandir. » (page 39)
Or, les capitaux… ça s’exporte… n’est-ce pas ?
Mais avec méthode. À suivre ?
Michel J. Cuny
Clic suivant : Les clés de fondation d’un vrai Etat sioniste