Dans les Documents diplomatiques, ce que l’on appelle l‘ « Accord de Munich » est ainsi formulé :
« Les quatre Puissances, Allemagne, Royaume-Uni, France, Italie, – tenant compte de l’arrangement déjà réalisé en principe pour la cession à l’Allemagne des territoires des Allemands des Sudètes – sont convenues des dispositions et conditions suivantes, réglementant ladite cession et les mesures qu’elle comporte. » (Documents diplomatiques, op. cit., page 11)
Parmi les dispositions et conditions énoncées, nous n’indiquerons ici que celles-ci qui montrent que tout doit être expédié au plus vite… Ni l’avis éventuel de l’Union soviétique, ni celui de la Tchécoslovaquie qui n’ont pas été, l’une ou l’autre, consultées, ne comptent…
« 1° L’évacuation commencera le 1er octobre. […]
4° L’occupation progressive par les troupes du Reich des territoires de prédominance allemande commencera le 1er octobre. » (Idem, page 11)
Quant à la dynamique engagée à l’échelle continentale par un processus qui ne demande manifestement qu’à se répéter, l’annexe numéro 2 ne permet pas de la mettre en doute une seule seconde :
« Les Chefs des Gouvernements des quatre Puissances déclarent que le problème des minorités polonaise et hongroise en Tchécoslovaquie, s’il n’est pas réglé dans les trois mois par un accord entre les Gouvernements intéressés, sera l’objet d’une autre réunion des Chefs des Gouvernements des quatre Puissances aujourd’hui assemblées. » (Idem, page 12)
Autrement dit : une fois la Tchécoslovaquie pulvérisée, l’U.R.S.S. n’aura plus qu’à bien se tenir !…
Dans l’immédiat, la France se lave les mains de ce à quoi elle s’était engagée par le traité de 1924. On ne demande aux Tchèques que de ne pas faire trop de vagues… C’est bien le sens de la recommandation que le Président du Conseil, Ministre de la Défense nationale et de la Guerre, Édouard Daladier, fait à son Ministre des Affaires Étrangères, Georges Bonnet, depuis Munich, le 30 septembre 1938, à 3 heures 30 :
« Veuillez d’extrême urgence effectuer une démarche auprès de M. Benès afin de vous assurer de son acceptation. Je vous prie de lui exprimer toute l’émotion avec laquelle je parviens à l’issue de cette négociation, à laquelle il n’a pas dépendu de moi qu’un représentant de la Tchécoslovaquie fût associé. Je ne doute pas que, quelque pénibles que soient les sacrifices exigés par la situation actuelle, M. Benès ne comprenne comme moi l’intérêt qu’il y a, tout en sauvegardant pour l’avenir les conditions essentielles qui permettent à son pays de garder foi en ses destinées, de soustraire la Nation tchécoslovaque à l’épreuve plus redoutable de la guerre. » (Idem, page 13)
Du côté allemand, aucune erreur d’interprétation de l’attitude française dans toute cette affaire ne peut être commise… Et c’est encore le Bulletin confidentiel publié par le ministère français des Affaires étrangères qui en informe les « initiés »… À la date du 4 octobre 1938, on aura pu y lire que…
« La Berliner Boersen-Zeitung (2 octobre) publie, sous le titre « de Versailles à Munich », l’article suivant de M. Megerle. » (Bulletin du 4 octobre 1938, page 2, colonne 1)
Quant au passage le plus significatif de cet article, le voici :
« La crise tchèque a permis aux hommes d’État français de faire une nouvelle évaluation de leur système d’alliances en Europe centrale et orientale. Le trait d’union entre Paris et Moscou a disparu. Ce n’était pas un appui, c’était une charge et un péril. C’était le grand obstacle entre la France et l’Allemagne. » (Idem, page 3, colonne 1)
Sûr que, désormais, entre ces deux pays… tout ira beaucoup mieux ! C’est du moins ainsi que des personnages de la trempe d’un Daladier et d’un Bonnet voyaient les choses… Certes, Mein Kampf disait autre chose – ainsi que nous l’avons vu -, mais, pour eux deux et pour toute une partie des élites bourgeoises françaises, sans doute l’abandon de l’alliance russe et le fait de céder tant et tant d’armements, d’hommes et de positions stratégiques de plus en plus favorables à Hitler et à ses noirs desseins valait absolution de tous les crimes commis par la France contre l’Allemagne à l’occasion du traité de paix de 1919, signé dans le château de Versailles, là-même où, une petite cinquantaine d’années plus tôt, l’Allemagne était venue proclamée la renaissance du… Reich.
Mais celles et ceux qui avaient tout de même encore des yeux pour lire gardaient la possibilité de prendre quelque souci de ce que le Bulletin rapportait des débats qui avaient alors lieu en Grande-Bretagne, et tout particulièrement de ce qu’avait pu déclarer à la Chambre des Communes le 4 octobre 1938 le député travailliste Herbert Morrison qui commence ainsi sa terrible diatribe :
« Les préjugés internationaux du gouvernement tendent à lui faire favoriser le fascisme, à lui faire refuser de collaborer avec la Russie soviétique et en sont venus maintenant à le disposer à trahir les intérêts de son pays. » (Bulletin du 6 septembre 1938, page 3, colonne 3)
Selon lui, une question liminaire se pose…
« Quels sont les résultats de l’accord de Munich ? Nous sommes réduits à nous fier à la parole de Hitler et de Mussolini, qui ne tiennent pas leurs promesses s’ils ont intérêt à les violer. » (Idem, page 3, colonne 3)
Mais si ce doit être, finalement, au détriment de l’Union soviétique… lui répondraient certains esprits pervers auquel l’Histoire aura fini par donner raison… N’empêche, dans l’immédiat, il est certain que pour entamer la Seconde Guerre mondiale qui se dessine, Adolf Hitler n’a pas vraiment de quoi se plaindre…
« La Tchécoslovaquie perd pour 25 millions de livres de fortifications ; l’armée allemande se trouve renforcée de l’appoint de 400.000 hommes bien entraînés, elle n’aura plus à défendre la frontière tchèque du Reich. » (Idem, page 3, colonne 3 – page 4, colonne 1)
Faudrait-il alors s’étonner de retrouver, même chez un travailliste britannique, la préoccupation qu’avait manifestée, dès le 26 juin 1938, dans un discours à Moscou, le commissaire du peuple aux Affaires étrangères de l’Union soviétique, Maxime Litvinov, inquiet de voir les Allemands préparer la reprise des Sudètes, l’anéantissement de la Tchécoslovaquie, et ceci, sans même dissimuler leurs motivations profondes. Rappelons ce passage essentiel de son propos :
« L’Allemagne rêve publiquement d’étendre sa politique d’agression illimitée à l’Ukraine et même à l’Oural. Nous ne voulons pas que la terre soviétique soit l’objet, ne fût-ce que de tels rêves. » (Bulletin du 28 juin 1938, page 2, colonne 3)
En foi de quoi, Herbert Morrison ne peut lui-même guère s’y tromper… Ainsi le voyons-nous anticiper quelque peu sur la seule politique qu’il resterait bientôt au pays de Joseph Staline dès les lendemains des Accords de Munich :
« L’U.R.S.S. est tenue à l’écart par le gouvernement. Elle a des raisons de se plaindre de l’indifférence et de l’hostilité de l’Occident et peut fort bien laisser les puissances occidentales aller leur chemin. » (Idem, page 4, colonne 1)
Et voici qu’à son tour, et dans le même numéro du Bulletin, la presse allemande confirme les modifications profondes que vient de subir la situation stratégique de l’Union soviétique, et pour s’en réjouir de façon criante… Cela se trouve dans un article du Hamburger Fremdenblatt qui porte ce titre très significatif : « Le nouveau départ ». On y lit ceci :
« Ce qui constitue, en effet, l’importance historique de la Conférence de Munich, c’est que la volonté tenace d’Adolf Hitler et la clairvoyance politique du Duce ont réussi enfin à éliminer l’Union Soviétique du concert des grandes puissances européennes. Dans les négociations diplomatiques de ces dernières semaines, on n’a pour ainsi dire pas entendu la voix du commissaire aux affaires étrangères de l’U.R.S.S. Litvinov-Finkelstein. Ses paroles n’avaient plus aucun poids, parce que les hommes qui, à Paris et à Londres, occupaient les postes de responsabilité n’étaient pas les excitateurs au service d’une idéologie, mais des mandataires des aspirations de leurs peuples vers la paix. » (Idem, page 6, colonne 1)
La paix ! Pour la Pologne ? Pour la France ? Pour la Grande-Bretagne !… Ben voyons…
Quant aux Allemands, ils savaient, eux, ce qu’ils faisaient… Mais c’est une autre histoire dont les bourgeoisies européennes ne sont pas si mécontentes aujourd’hui : on ne fait certes pas d’omelette sans casser d’œufs.
Michel J. Cuny
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