Munich (29-30 septembre 1938) et l’Europe d’aujourd’hui : rien que des coïncidences malheureuses ?…

Non sans avoir rappelé, tout d’abord, que ces textes avaient retenu l’attention du ministère français des Affaires étrangères, puisqu’il se donnait la peine de les faire publier dans un Bulletin quotidien de presse étrangère qui n’était cependant diffusé que de façon très confidentielle, nous allons maintenant considérer quelques extraits de la lettre qui avait été adressée le 22 mai 1938 au Sunday Times, par M. Anthony Crossley, député conservateur du Lancashire… à propos des affaires de Tchécoslovaquie… Nous sommes toujours dans le Bulletin du 24 mai…
« La question plus générale devrait être présentée sous la forme suivante : « Êtes-vous disposé à envisager une Allemagne dominant l’Europe et disposant de ses ressources depuis la Mer du Nord jusqu’à la Mer Noire ? » » (page 5, colonne 3)

Accessoirement, pourquoi ne pas reporter cette question jusqu’à ce moment-ci : 2021 ?… Mais, aujourd’hui, l’affaire est faite… Tandis que le député Crossley ne faisait qu’en redouter l’éventuelle réalisation en 1938…

Qu’aurait-il encore à nous dire, qui pourrait réveiller notre attention d’aujourd’hui ? Ceci…
« Cette zone comprend les terres à blé de Hongrie, les ressources pétrolières de Roumanie et les grosses industries de Tchécoslovaquie, et représenterait un accroissement immense des ressources matérielles du Reich. » (page 5, colonne 3)

Tchécoslovaquie… Skoda (propriété désormais de l’Allemande Volkswagen) ?… Le site officiel du Tour de France l’annonçait dès le 6 mars 2019 : « SKODA prolonge son engagement en tant que partenaire majeur et fournisseur des véhicules du Tour de France jusqu’en 2023. Le constructeur automobile et l’organisateur d’événements sportifs jettent ainsi les bases de nouveaux succès conjoints, après 15 ans de partenariat. » (lien)

Décidément, il paraît que le député Crossley sera tombé sur de très curieuses choses qui paraissent conserver une étonnante permanence… Essayons encore un peu, pour voir, ce que lui avait inspiré la visite rendue à Mussolini dans les jours précédents par un Hitler qui voulait s’assurer de la double neutralité de l’Italie et de la Yougoslavie au cas où il aurait à frapper un peu fort en Tchécoslovaquie :
« Sur l’autre flanc se trouve la Russie, vague puissance asiatique qui n’est pas même contiguë à la Tchécoslovaquie et nous pouvons nous demander nous-mêmes ce que M.
Hitler se demande probablement : la Russie interviendrait-elle ? Son intervention serait-elle décisive ? La sécurité de la Russie est-elle vraiment en conflit avec les objectifs du Reich ? Et ce qui est pire que tout, si l’Allemagne réussissait à exercer sa domination sur un bon nombre d’États vassaux en Europe orientale, y compris la Roumanie, ne se pourrait-il pas que M. Hitler en vînt à un modus vivendi  avec les Russes qui seraient alors ses voisins ? »  (page 5, colonne 3 – page 6, colonne 1)

Au moment où le député conservateur britannique rédige ces mots, la France et l’U.R.S.S sont des alliés objectifs de la Tchécoslovaquie qui dispose d’un double traité qui la protège des interventions étrangères – notamment allemandes. Il suffit que la France choisisse d’honorer la part qui lui en revient pour que l’U.R.S.S. vienne la rejoindre dans le secours militaire à accorder à l’État tchécoslovaque sitôt qu’il serait agressé.

Nous le voyons immédiatement, c’est bien le fameux futur traité de non-agression du 23 août 1939 entre l’Allemagne et l’U.R.S.S. qui est ici pressenti par le député Crossley… Nous constatons aussi qu’il suffirait à la France, pour éviter ce terrible basculement, de ne surtout pas aller se couper du pays de Joseph Staline… sans quoi, il est fort imaginable qu’Hitler, libéré de toute pression à l’Est, ne tardera pas à se jeter sur elle… puisqu’il avait pris la peine de l’écrire, entre 1923 et 1924, dans Mein Kampf :
« Car il faut qu’on se rende enfin clairement compte de ce fait : l’ennemi mortel, l’ennemi impitoyable du peuple Allemand est et reste la France. » (Adolf Hitler, Mon Combat, Nouvelles Éditions Latines 2008, page 318)

Plus loin, il ajoutait :
« Autant nous sommes tous aujourd’hui convaincus de la nécessité d’un règlement de comptes avec la France, autant demeurerait-il inefficace pour nous dans son ensemble, si nos buts de politique extérieure se bornaient à cela. » (Idem, pages 336-337)

De quoi pouvait-il s’agir ? Quel était l’autre grand objectif de la politique étrangère hitlérienne ? Voici comment Adolf Hitler le dessinait une quinzaine d’années avant que les Accords de Munich ne lui donnent le moyen de l’atteindre :
« Nous arrêtons l’éternelle marche des Germains vers le sud et vers l’ouest de l’Europe, et nous jetons nos regards sur l’Est. Nous mettons terme à la politique coloniale et commerciale d’avant guerre et nous inaugurons la politique territoriale de l’avenir. Mais si nous parlons aujourd’hui de nouvelles terres en Europe, nous ne saurions penser d’abord qu’à la Russie et aux pays limitrophes qui en dépendent. » (Idem, page 337)

Hitler a même vu un signe tout particulier dans le surgissement du bolchevisme en 1917, et dans son maintien durant les vingt années qui ont suivi :
« Le destin même semble vouloir nous le montrer du doigt : en livrant la Russie au bolchévisme, il a ravi au peuple russe cette couche d’intellectuels, qui fonda et assuma jusqu’à ce jour son existence comme Etat. » (Idem, page 337)

Ainsi la Russie doit-elle être la cible principale d’une…
« …politique de l’Est, au sens d’acquisition de la glèbe nécessaire à notre peuple allemand. Mais comme il faut en avoir la force, et que l’ennemi mortel de notre peuple, la France, nous étrangle impitoyablement, et nous épuise, il faut prendre sur nous de faire tous les sacrifices susceptibles de contribuer à annihiler les tendances de la France à l’hégémonie. » (Idem, page 343)

Pour les lectrices et les lecteurs français(e)s de Mein Kampf, et tout spécialement chez les responsables de la politique et de la diplomatie, la menace ne pouvait être que très criante tout au long des débats qui ont précédé et suivi la signature des Accords de Munich…
« Toute puissance est aujourd’hui notre allié naturel, qui considère avec nous, comme insupportable, la passion d’hégémonie de la France sur le continent. Aucune démarche vis-à-vis d’une de ces puissances ne doit nous paraître trop dure, aucun renoncement ne doit nous paraître impossible, si nous avons finalement la possibilité d’abattre l’ennemi qui nous hait si rageusement. » (Idem, page 343)

Cette politique, annoncée de longue date, avait tout particulièrement mis en alerte Pierre Cot (dont il faut toujours rappeler les liens politiques très étroits qui le liaient au futur martyr de la Résistance, Jean Moulin) qui avait tenté, dès les lendemains de l’arrivée d’Adolf Hitler à la Chancellerie (30 janvier 1933), de développer des liens stratégiques avec l’U.R.S.S. de Staline, l’un et l’autre pays se rendant solidaires dans la défense de l’intégrité du territoire tchécoslovaque… C’est ce que viendrait briser la politique munichoise… qui se trouve, en quelque sorte, annoncée par cet article – repris dans le Bulletin quotidien de la presse étrangère… et qui émane d’un journal de l’Italie fasciste, La Stampa, daté du 27 mai 1938 :
« Tout ce qui arrive est dû à l’ingérence du bolchévisme, qui ne cherche qu’à faire éclater une conflagration générale. Que le conflit se produise pour un incident en Catalogne ou pour un incident en Tchécoslovaquie, peu importe, c’est une chaîne infernale qu’il faudrait briser. Il faut abolir les traités qui lient Paris et Prague au Kremlin. C’est seulement à ce moment que la paix de l’Europe ne sera plus chaque jour à la merci d’un incident de frontière. » (Bulletin du 30 mai 1938, page 2, colonne 1)

La suite de l’Histoire dira exactement le contraire…

Michel J. Cuny

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