Les Accords de Munich (29-30 septembre 1938) et l’Union européenne d’aujourd’hui : des rapports plus qu’étroits ?…

En 1983, évoquant l’acquisition, en 1920, par le Français Schneider, des usines Skoda qu’il souhaitait intégrer à l’Union Européenne Industrielle et Financière (U. E. I. F.) qu’il venait de créer, Claude Beaud fait la constatation suivante :
« Les deux plus beaux fleurons sont les dépendances tchèques : les Établissements Skoda et leurs nombreuses filiales, les Établissements Réunis de Constructions mécaniques absorbées par Skoda en 1922, représentent avec Berg und Hütten un ensemble d’éléments complémentaires (mines, métallurgie et construction mécaniques très diverses) comparable à celui de la Société Schneider en France. » (Idem, page 630)

Après avoir observé l’attitude de l’Union Européenne de ce début de XXIème siècle envers la République tchèque qui s’est ralliée à elle en 2004 – et pour des résultats qui font immédiatement songer à une… colonisation à travers les firmes multinationales (FMN) et les investissements directs étrangers (IDE) qu’elles y ont réalisés -, nous allons repartir un peu plus de 80 années en arrière pour reprendre le fil de la réflexion que Claude Beaud se proposait de suivre, il y a une quarantaine d’années, à propos de l’U.E.I.F. d’Eugène Schneider (1868-1942)…, dont nous pouvons dire qu’il a été l’un des grands vainqueurs français de la Première Guerre mondiale en tant qu’elle aura été le grand festival des pays impérialistes :
« Il reste à envisager l’action de l’Union Européenne sur ses filiales, plus particulièrement celles de Tchécoslovaquie, au cours des années 1920. » (Idem, page 635)

Ne perdons pas de vue qu’aujourd’hui, Skoda est allemande par Volkswagen interposée… ni qu’entre-temps, une Seconde Guerre mondiale a été gagnée, et qu’elle est désormais perdue – aux yeux des intérêts impérialistes de la France -, et remontons dans le temps avec Claude Beaud :
« L’examen des documents nous donne l’impression que la stratégie d’ensemble est élaborée à Paris par le Conseil d’administration de l’Union, transmise à Prague ou à Brno par l’administrateur-délégué ou l’agent de liaison, le colonel
Lapebie, appliquée sous le contrôle étroit des délégations installées chez Skoda, puis chez Berg und Hütten. Il semble rester peu d’initiative aux directions générales des deux entreprises. » (Idem, page 635)

Signalons que Brno, tout comme Prague, se trouvent aujourd’hui en République tchèque, et passons à la suite qui concerne, elle, les années 1920 :
« L’importance des pertes éprouvées par Skoda en 1918 et 1919, l’affaissement de la valeur boursière des sociétés contrôlées en 1921, en particulier la perte de 40% sur la valeur d’achat de l’action Berg und Hütten, une situation aussi préoccupante explique la faible participation des dirigeants tchèques à l’élaboration des grandes décisions et le caractère presque dictatorial des mesures de salut qui leur sont imposées. » (Idem, pages 635-636) 

En 1991 et après, il est bien certain qu’il aura fallu faire payer – à la population tchèque – le prix fort de son ancienne inclusion dans les « mauvaises habitudes » soviétiques… Ainsi pourrait-on croire que cette formule de Claude Beaud a été écrite pour les deux époques
« Il est urgent de procéder à une réorganisation des structures et méthodes, en vue d’améliorer la compétitivité des entreprises. » (Idem, page 637)

Aujourd’hui, on dirait : en transférant la propriété des plus beaux fleurons de l’industrie tchèque aux FMN (notamment allemandes) par le biais d’IDE (allemands notamment) et en laissant parfois tomber quelques morceaux porteurs des miraculeux spillovers sur lesquels compte une population tchèque un peu perdue au milieu d’un univers prétendument européen dont elle ne comprend manifestement pas grand-chose…

Nous trouvons ensuite, dans les propos de Claude Béaud, une très intéressante distinction qu’il s’agissait d’opérer… tout juste après le surgissement de la Révolution bolchevique d’octobre-novembre 1917… et même si, comme nous l’avons vu, des personnalités aussi importantes qu’Eugène Schneider considéraient qu’elle n’allait certainement pas tenir au-delà d’une année ou deux… S’il paraissait possible de « bouger » une première catégorie de main-d’œuvre au nom d’une certaine « restructuration »…
« Cette restructuration devait permettre des compressions de personnel des services centraux et des bureaux, jugé beaucoup trop nombreux. » (Idem, page 637)

Par ailleurs, l’affaire se compliquait…
« Il était par contre plus difficile, sinon impossible de remédier à la pléthore des effectifs ouvriers, par suite des résistances syndicales et de l’opposition du gouvernement tchécoslovaque à tout licenciement massif. » (Idem, page 637)

Mais il y a encore autre chose qui « coince », et qui tient à la hiérarchisation nécessaire des priorités géographiques que nous voyons bien se manifester dans l’Union européenne telle qu’elle est aujourd’hui tissée par l’Allemagne à partir d’une « économie sociale de marché » qui ne tient pas le même langage « social » sitôt qu’elle est ici ou ailleurs, le tout dépendant, au fond, de la rentabilité différentielle en général, et de la sanctuarisation du cœur allemand en particulier…

Ainsi, en ce qui concerne l’Est européen du temps où l’épopée d’Eugène Schneider paraissait pouvoir s’y développer selon certains intérêts particuliers de la France, Claude Beaud écrit qu’il y était…
« …d’autant plus indispensable de rétablir la discipline et d’accroître l’occupation des ateliers par l’application du nouveau programme : chez Skoda, il convenait de réduire les fabrications traditionnelles d’artillerie pour développer celles des machines-outils, des machines agricoles (tracteurs-écrémeuses) et surtout des locomotives […]. » (Idem, page 637)

En effet, en ce qui concerne l’artillerie d’après la Première Guerre mondiale…
« La répartition des marchés est très nettement à l’avantage de Schneider : les pays qui lui sont « réservés » sont la France, la Belgique, l’Espagne et l’Amérique latine, à l’exception du Mexique ; Skoda doit se contenter de la Tchécoslovaquie, Autriche, Roumanie et Mexique ; quant aux pays « non réservés », la représentation est répartie entre Schneider et Skoda, mais les commandes sont partagées à raison de 75% du marché à Schneider et 25% seulement à Skoda. » (Idem, page 638)

Et toujours dans cette même ligne de la stratégie géographique et politique d’ensemble…
« Étant donné le rétrécissement du marché de l’artillerie et la part du lion réservée à Schneider pour ses ateliers du Havre, on comprend mieux pourquoi il était si urgent d’appliquer chez Skoda un programme de reconversion dans les fabrications civiles. » (Idem, page 638)

Transportons-nous maintenant dix-huit années plus tard, c’est-à-dire, d’abord, au 12 mars 1938, date à laquelle l’Allemagne hitlérienne se saisit de l’Autriche (Anschluss), ce qui n’allait pas manquer de donner un coup de fouet aux revendications qu’Adolf Hitler avait formulées dès 1933 à propos des souffrances prétendument infligées, en Tchécoslovaquie, à la partie d’origine allemande de la population dite des Sudètes, qu’on trouvait installée sur certains pourtours du pays.

S’agissant des éléments qui vont être évoqués à propos de cette période très particulière et très significative pour comprendre certains des enjeux de l’Union européenne sous domination allemande d’aujourd’hui, nous allons recourir à l’ouvrage publié en 1995 par Sylvain Schirmann sous le titre Les relations économiques et financières franco-allemandes, 1932-1939, et plus particulièrement à ce qui en constitue le Chapitre XVIII : Vers le « Munich économique ». (lien)

Tout en indiquant que le traité du 2 août 1938, qui va être évoqué dans la citation suivante, correspond à un accord à travers lequel la France admettait l’intégration de l’Autriche dans le Reich allemand au prix du réajustement de différentes questions de nature financière, nous allons laisser Sylvain Schirmann lancer un débat qui s’annonce passionnant, et qui va nous fournir un curieux éclairage sur l’Union européenne du temps de la présidence de sa Commission par Ursula von der Leyen :
« L’acceptation de l’Anschluss et l’accord du 2 août 1938 encouragent Hitler à poursuivre ses objectifs. Munich en est une suite logique. L’arrangement sur les Sudètes est-il le prélude à la paix en Europe ? A-t-il été encouragé par des milieux d’affaires qui souhaitent cette voie ? Ou l’accord politique conduit-il nécessairement à un renforcement de la coopération économique ? S’il est certain que divers groupes sont favorables à une entente avec Berlin et ce avant Munich, les difficultés économiques du Reich incitent ses responsables à chercher le rapprochement avec Paris. » (alinéa 1 du PDF donné en lien ci-dessus)

Michel J. Cuny

L’article suivant est ici.

Pour revenir au début de cette série d’articles, c’est ici.


Votre commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Image Twitter

Vous commentez à l’aide de votre compte Twitter. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur la façon dont les données de vos commentaires sont traitées.