Dans les PECO comme ailleurs, plus les résistances de l’ancienne économie socialiste diminuent, plus la pénétration des capitaux privés étrangers au détriment des financements publics locaux s‘accroît, et plus facilement l’avancée occidentale – et principalement allemande – peut se transformer en une progression de type capillaire moins immédiatement visible…
Dans son mémoire de maîtrise (2007), Julie Lécuyer écrit :
« Les grands groupes allemands cherchent aussi à créer des implantations en de nombreux points complémentaires, ce qui rend les investissements moins onéreux et tend à diminuer les coûts de transaction avec les partenaires industriels locaux. Allianz cite ainsi la présence de Deutsche Telekom qui installe majoritairement des produits Siemens comme un élément favorable à la présence du groupe dans cette région. » (Idem, page 115)
Mais il paraît que les banques allemandes ne sont pas en reste dans ce type de manœuvre qui ne peut manquer d’aider au ramassage des informations en tout genre…
« C’est ce que l’on appelle un « effet-cascade » ou d’entraînement que l’on retrouve particulièrement dans le domaine des services : les firmes allemandes de services accompagnent leurs partenaires industriels dans les PECO, par exemple les banques, telles que la Westdeutsche Landesbank, la Bayerische Hypobank et la Dresdner Bank. » (Idem, page 115)
Ceci est évidemment la moindre des choses… Passons maintenant – après ceux qui concernaient l’appropriation privée des instruments de production des PECO par l’impérialisme allemand tout spécialement – aux bénéfices à tirer de la localisation des entreprises sur cette ancienne terre d’obédience soviétique, c’est-à-dire à ce que Julie Lécuyer nous présente comme étant cet…
« avantage de localisation du pays d’accueil, qui inclut les coûts des facteurs aussi bien que la proximité des marchés, la structure économique et l’environnement légal, social et politique et plus spécialement, les barrières au commerce international. » (Idem, page 113)
C’est ce que les commerçants et les investisseurs allemands auront pu trouver plus facilement dans les PECO du fait de la grande proximité géographique de l’essentiel de ceux-ci… L’éventail est en effet large et extrêmement significatif, d’autant plus qu’il s’est d’abord ouvert sur cette autre partie d’elle-même qu’était – pour la République fédérale allemande – la RDA voisine :
« Les relations liant l’ex-RDA à l’ancien bloc, l’allemand comme langue occidentale la plus couramment parlée dans les PECO, l’effet de polarisation exercé par l’Allemagne avec sa réunification, font notamment partie des facteurs historiques et culturels qui ont permis de conserver un tissu relationnel avec les PECO. Ces relations ont joué un rôle essentiel dans la minimisation des coûts de transaction des FMN [firmes multinationales] allemandes c’est-à-dire, de moindres coûts d’identification des partenaires, de mise en œuvre des contrats plus rapide et des connaissances tacites de l’ancien système. » (Idem, page 116)
À quoi il faut ajouter ce qui peut, cette fois, attirer aussi bien tel ou tel autre membre ancien de l’Union européenne que la si proche et si bien organisée Allemagne…
« la présence de matières premières, une main-d’œuvre qualifiée, une disparité salariale intéressante, la flexibilité des législations locales sur le travail et l’ environnement, la diminution progressive des risques-pays, des incitations fiscales, un traitement préférentiel en matière de droits de douane, et la prise en compte d’autres coûts tels que l’énergie, l’eau, l’environnement, etc. » (Idem, pages 116-117)
On peut le constater : les PECO ont absolument tout lâché… pour se plier aux critères (allemands) de la concurrence qu’exigent aussi bien l’ordolibéralisme que l’économie sociale de marché… sans du tout avoir pu réclamer – en tant que main-d’œuvre – ce qui fait l’ordinaire des jours d’une vie vécue en Allemagne tout particulièrement.
Pire même, selon ce que Julie Lécuyer nous en dit :
« Les PECO ont été un marché sur lequel les entreprises allemandes ont pu renforcer leur avantage concurrentiel, en ce sens où, en s’implantant en Hongrie, en Pologne et en République tchèque, ses trois pays limitrophes, elles ont considéré ces pays comme étant une tête de pont vers le reste de l’Europe de l’Est. » (Idem, page 117)
Les mieux servis auront donc aidé à pénétrer chez les autres… et, certainement, en se servant un tout petit peu, au passage, sur les bénéfices recueillis à partir de cette conduite plutôt cavalière, quelle qu’en ait été la forme…, mais c’était pour se ranger sous ce qui paraît signaler tout particulièrement cette Allemagne qui aime déployer…
« une stratégie globale de présence sur les marchés internationaux, en bénéficiant d’un avantage décisif de first mover, premier investisseur. » (Idem, page 117)
À cet endroit précis, Julie Lécuyer place une de ces notes qui sont un des charmes de son mémoire…
« Cet avantage est réalisé en barrant l’accès du marché et en forçant les FMN à engager des activités à forte intensité capitalistique et technologique, comme l’ont fait Siemens et la DBP Telekom. » (Idem, note du bas de la page 117)
Voilà bien l’effet « rouleau compresseur ». La place est prise, et par un mastodonte… allemand : celui qui connaît tout par avance !… Ensuite, on peut décidément faire comme chez soi… Et, d’ailleurs, on le doit !….
« Les FMN sont d’ailleurs dans l’obligation de rentabiliser des produits pour lesquels les coûts d’entrée irréversibles, soient les investissements initiaux, sont importants et les rendements de prestation croissants. Ainsi, l’ implantation de l’une de ces entreprises sur un marché national lui est acquis d’avance, elle lui permet de capturer la rente du marché, de bénéficier de positions dominantes par des barrières à l’entrée et bloque quasiment toute possibilité d’accès à ses concurrentes, puisque le marché est trop étroit pour un trop grand nombre d’entreprises.. » (Idem, note, page 117)
C’est beau, la concurrence… en régime d’économie sociale de marché… pour les pays qui sont attelés au char de l’Allemagne réunifiée… et qui subissent, en plus, les morsures de second rang de la meute que ce pays traîne derrière lui au sein de l’Union européenne…
Ainsi, déjà la pente était rude… Mais, ici, Julie Lécuyer nous fait atteindre des sommets qui en sont à nous couper, plus ou moins, le souffle. Prenons un bon bol d’air, et allons-y bravement :
« Si on fait exception de General Electrics (États-Unis). qui fut longtemps considéré comme étant le plus important investisseur en Europe centrale et orientale (Hongrie 550 millions de $US), la part de l’Allemagne dans ces IDE est significativement supérieure à tout autre pays, par exemple, en rachetant Skoda, Volkswagen a fermé l’entrée du marché de 1’automobile tchèque. » (Idem, page 117)
Et voici que nous attend le troisième bénéfice que les PECO auront offert à l’Allemagne – en tout bien tout honneur sans doute, et pour s’excuser d’avoir été trop « bolcheviques » pendant presque un demi-siècle alors que l’URSS les avaient si courageusement soustraits à la solution hitlérienne radicale…
« Un avantage de l’internalisation, qui fait que la firme est plus efficace dans l’ utilisation de son avantage compétitif dans une structure interne plutôt que sur le marché. » (Idem, page 114)
Autrement dit : en dévorant tout crus une partie des meilleurs morceaux… Nous nous réjouissons, bien sûr, de voir cela !…
Michel J. Cuny
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