Nous avons donc pu constater que l’impérialisme économique allemand s’est peu à peu substitué aux anciens États d’obédience soviétique dans le contrôle à exercer sur le système de production des pays de l’Europe centrale et orientale qui ont intégré l’Union européenne en 2004. Il n’était évidemment pas seul, mais, ce qui est clair, c’est que sa part aura été celle du lion… Nous allons maintenant essayer d’évaluer celle-ci, en nous aidant, bien sûr, des travaux de Julie Lécuyer qui ne peut manquer de le souligner aussitôt :
« L’Allemagne est le pays ayant le plus participé à cette croissance d’IDE dans les PECO. » (Idem, page 108)
Ces investissements directs étrangers – qui disent bien ce qu’ils sont en fait de système de pompage des richesses produites… sous contrôle étranger – ne sont pas répartis de façon uniforme, et tout particulièrement, en ce qui concerne ceux qui sont issus d’Allemagne, Julie Lécuyer nous signale que…
« la Pologne fait partie des trois pays qui dominent, pour chacune des années de notre période d’étude, avec la Hongrie et la République tchèque totalisant à eux seuls près de 90 % en moyenne des stocks allemands dans la région. » (Idem, page 109)
Pologne, Hongrie, République tchèque… voici donc, sur ce terrain de l’Est européen, les chouchous du capital allemand… Nous verrons bientôt qu’ils sont certainement plus que cela…
Résumons tout d’abord la ligne suivie par l’impérialisme économique allemand dans ce qui était pratiquement, pour lui, un champ clos :
« Comme nous l’avons vu dans une précédente section, les entreprises allemandes ont d’abord fait appel à la sous-traitance de façonnage avec TPP [qui, rappelons-le, est un tarif douanier préférentiel] comme stratégie d’implantation. Puis, les relations industrielles ont dépassé ce stade en mettant en place des réseaux de production plus complexes à l’échelle de l’UE qui se fondent sur des structures de spécialisation complémentaire et intègrent davantage de compétences et d’apports technologiques locaux. » (Idem, pages 112-113)
Puisque la République tchèque fait partie du trio de tête de la localisation des intérêts industriels allemands dans les ex-pays de l’Est, autant lui fournir une illustration à sa mesure. C’est ce que fait Julie Lécuyer :
« L’accord Skoda-Volkswagen dans le secteur automobile, est un bon exemple de ce type de réorganisation de la chaîne de création de valeur impliquant la sous-traitance d’activités fondées sur la technologie et les connaissances à des pays candidats. » (Idem, page 113)
Nous le voyons, l’Allemagne n’hésite pas à pousser ses « amis » étrangers vers le haut de la pyramide au sommet de laquelle il y a ses propres spécialistes qui doivent se le tenir pour dit… quand bien même il serait nécessaire de le leur faire savoir… ce dont on peut douter.
Il ne semble pas que ce procédé porteur des intérêts bien compris d’un grand pays industriel soit réservé ni à l’industrie automobile, ni à la République tchèque…
« De même, l’industrie du textile et de l’habillement, au sein de laquelle les échanges de TPP se sont progressivement combinés avec la sous-traitance de processus de production plus sophistiqués, constitue un autre exemple de cette tendance. » (Idem, page 113)
Tout en s’appuyant sur les travaux de John Dunning, dont elle nous dit qu’il les a d’abord produits dans les années 1960, Julie Lécuyer choisit d’entrer dans plus de détails en indiquant les trois pistes qui seraient plus particulièrement privilégiées par les sociétés multinationales pour s’implanter sur un marché étranger. Il s’agit, pour les nouveaux arrivants, de profiter de leur propre avantage d’organisation, de l’avantage de localisation du pays d’accueil, et du bénéfice qu’il est possible de tirer de l’internalisation de ce qui est pris de l’extérieur plutôt que d’y demeurer à l’air libre…
Quant au premier de ces avantages, voici ce que Julie Lécuyer choisit de nous en dire… Il s’agit d’un
« avantage compétitif ou stratégique sur un concurrent local qui résulte du droit de propriété et de la capacité à générer de nouveaux actifs, soit la connaissance ». (Idem, page 113)
Sitôt que l’IDE est réalisé, avec les caractéristiques de contrôle et de durée qui le caractérise, le capital étranger reçoit les privilèges du propriétaire, et peut faire venir sur place les procédés nouveaux et plus raffinés qui dépassent les compétences locales… Ces procédés vont dès lors s’appliquer à une main-d’œuvre qui ne pourra en aucun cas atteindre les rémunérations et les avantages sociaux qui ont été obtenus par les travailleurs d’Allemagne à travers une histoire déjà terriblement longue et d’un dévouement qu’on peut dire sans bornes…
Le produit lui-même, porté au-delà de ce que la réalité du pays d’accueil aurait su en faire – même après un temps certain -, repart en Allemagne où il rencontrera des critères de qualité qui, seuls, autoriseront de l’incorporer dans du made in Germany… On imagine les effets de rétroaction de tout ceci sur la conscience professionnelle et sur l’impression de dignité personnelle des intervenants du pays ainsi hissé au plus haut de lui-même… même si cela signifie, à la fois, une exploitation maximale de la main-d’œuvre, et un arrachage de la richesse produite dans des pays désormais passés sous la domination économique occidentale, et allemande tout spécialement.
Comme nous l’avons vu, ce processus peut exiger une double condition : entrer dans le système de propriété des entreprises du pays visé, et y faire transiter les connaissances adéquates, sans courir de risques immesurés ni d’un côté ni de l’autre de ces deux dimensions…
De fait, si l’État soviétique – même par procuration – n’y est plus du tout, c’est que l’État allemand, lui, y est… Ce que, grâce à Julie Lécuyer, nous allons pouvoir très vite comprendre…
« Les pouvoirs publics allemands ont en effet rapidement adapté leur système d’aide aux mutations intervenues à l’Est, en ouvrant de nombreuses lignes de crédit, au niveau fédéral et des Länder ou par le biais d’organismes traditionnels comme la « Kreditanstalt für Wiederaufbau ». » (Idem, page 114)
Tout en indiquant, dans une note, qu’elle ne tardera pas à nous en dire plus sur ce sujet, Julie Lécuyer ajoute aussitôt :
« Parallèlement aux aides financières, les actions des pouvoirs publics allemands en matière d’assistance aux entreprises allemandes se sont rapidement développées, en faisant par exemple évoluer très tôt la garantie contre le risque politique proposée aux entreprises. » (Idem, page 114)
Mais il faut également compter avec ceci que…
« L’Allemagne dispose de plus d’ un réseau très dense d’ informations et de conseils dans et sur les PECO, permettant de soutenir les firmes et notamment les PME, dans le domaine des techniques, des moyens et des coûts d’ implantation à l’Est : connaissance des structures juridiques du pays d’accueil, appréciation des risques encourus, recherche de partenaires, établissement de contacts, etc. » (Idem, pages 114-115)
Avec, encore, cette autre petite note :
« Par exemple, lorsque le groupe d’assurances Allianz a commencé son approche du marché est-européen en 1990, il a tout d’abord proposé une coopération technique à la société Hungaria Biztosito à Budapest qui contrôlait alors 44% du marché. Cet engagement s’est traduit par une prise de participation de 49% au capital de la société hongroise. En 1996. la participation a été augmentée pour atteindre 100 %. » (Idem, note du bas de la page 115)
À quoi cela peut-il bien servir ?…
« C’est ce qui permet d’éviter les risques d’entrée sur le marché des PECO dus entre autres à l’instabilité de l’environnement politique et socio-économique, l’incertitude sur les droits de propriété, les lourdeurs administratives, la multitude des interlocuteurs publics ou privés dans le processus de privatisation, la pauvreté des marchés financiers et bancaires, le sous-développement des infrastructures, l’interventionnisme étatique fort dans certains secteurs, etc. » (Idem, page 115)
Ainsi l’Allemagne est-elle désormais dans l’une de ses résidences secondaires sitôt qu’elle se promène… du côté des PECO, et ce n’est certes pas pour ne faire que s’y promener…
Michel J. Cuny
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