Un concurrent pour l’économie sociale de marché allemande : le « Consensus de Washington »…

Puisqu’il paraît qu’une partie significative de la population des PECO – laquelle ? – aura été en attente d’une intervention économique allemande significative chez elle, voyons en quoi celle-ci aura d’abord consisté selon ce que Julie Lécuyer a pu en retrouver dans les documents relatifs à cette première époque de mise en œuvre des principes mêlés de l’ordolibéralisme et de l’économie sociale de marché :
« L’Allemagne tend à instaurer ces principes économiques aux PECO afin de solidifier leurs économies par une monnaie forte, un taux d’inflation jugulé et un déficit extérieur contrôlé. Sans ces règles économiques strictes, l’Allemagne et I’UE sont réticentes à fournir des aides financières aux PECO. » (Idem, page 86) 

Autrement dit, les pays occidentaux préparent le terrain à partir duquel il leur sera possible de retirer de la richesse… sans courir plus de risques qu’il ne serait raisonnable.

Julie Lécuyer nous invite alors à distinguer trois périodes : 1989-1993, la rupture ; 1993-1997, la consolidation ; 1997-2004, l’ancrage européen. Le contenu pourrait en être ramené à ceci : couper les ponts avec tout ce qu’avait pu apporter la période d’intégration à l’Union soviétique ; nettoyer la place et établir les fondations nécessaires à l’exploitation capitaliste ; brancher sur le système les vrais vainqueurs, et tout spécialement l’Allemagne…

Voici le bilan de la première époque, selon Julie Lécuyer :
« Les caractéristiques économiques majeures du début des années 90 sont la déstructuration extrêmement rapide des interdépendances systémiques de l’organisation socialiste antérieure, la mise en œuvre de politiques de stabilisation et de libéralisation inspirées du consensus de Washington, le tout suivi d’une forte récession. » (Idem, page 89)
…ce qui nous met dans la délicate situation d’avoir à nous renseigner sur ce que peut bien être le fameux « consensus de Washington »… Aussitôt, nous choisissons de nous transporter jusque dans la thèse de doctorat présentée par
Ivan Kacarevic le 11 octobre 2016 sous le titre Les politiques économiques dans les pays émergents d’Europe… (lien)

Dès le deuxième paragraphe de son Introduction survient cette phrase qui nous met aussitôt l’eau à la bouche :
« Peu de temps après que la sagesse populaire fut unanime à propos de l’idée que la recette de la reprise économique repose sur l’ensemble des mesures classiques (orthodoxes) de la politique économique, symboliquement décrites dans les postulats du Consensus de Washington, la crise économique apparut sur le marché financier américain […]. » (page 4 du document papier) 

À peine abordons-nous le premier sous-chapitre du chapitre 1 de la première partie, que, déjà, nous nous trouvons dans la situation de devoir nous tenir sur nos gardes à propos de ce qui se passait aux environs de 1994 :
« Il y a à peine deux décennies nous étions dans un état euphorique suite à la chute du mur de Berlin symbolisant la fin de la guerre froide et la libération de millions de personnes du régime communiste qui les avait laissées isolées du reste du monde dans plusieurs domaines de la vie sociale, économique et politique. » (Idem, page 10)

Si, avec Julie Lécuyer, nous avons pris connaissance des efforts faits par l’Allemagne pour attirer sur elle l’attention des PECO, Ivan Kacarevic, qui écrit un peu moins de dix ans après elle, ouvre une perspective plus large, et voici ce qu’il en retire :
« L’Union Européenne représentait pour ces pays la seule voie dans la course derrière les anciens pays membres et leur niveau de développement. Dans les années précédant la crise financière de 2008, les pays en transition eurent un taux de croissance rapide dépassant celui de l’économie mondiale. Mais les problèmes accompagnant la transition étaient loin d’être résolus : un niveau élevé de chômage, une pauvreté répandue, une baisse de niveau de vie étaient toujours présents. » (Idem, page 10) 

Ouvrant son angle de vue au-delà des seuls pays qui ont réussi à intégrer l’Union européenne, il écrit encore :
« Dès le début de la transition il était évident que les réformes devaient être mises en œuvre dans plusieurs domaines et que cela exigeait plusieurs phases temporelles. Cependant, aucun économiste n’avait prévu que ces pays enregistreraient une contraction du PIB de 20 pour cent (la Pologne) à 60 pour cent (l’Ukraine) ou que la récession durerait deux décennies dans certains pays. » (Idem, page 11)

Revenant sur l’idéologie qui avait fini par se développer aussi bien en Occident que dans l’ensemble de l’ex-sphère soviétique, Ivan Kacarevic rappelle ceci en 2016 :
« L’opinion générale dominant à l’époque était que la libéralisation des prix et du commerce, suivie par la transformation de la propriété de l’Etat vers le secteur privé, conduirait à une allocation plus efficace des ressources dans les plus brefs délais et à une reprise de la croissance économique. » (Idem, page 11)

Mais c’est pour enchaîner immédiatement sur ceci qui nous laisse un peu sans voix :
« Malheureusement, il y a plusieurs raisons pour lesquelles cela a échoué. Il s’est avéré que personne ne s’attendait à ce que les changements systématiques soient si pénibles et durables. Tous les pays en transition ont connu une forte contraction du PIB et une croissance excessive de la pauvreté et des inégalités, une détérioration de plusieurs indicateurs sociaux comme l’espérance de vie et le taux d’inscription dans les écoles. » (Idem, page 11)

Voilà qui est tout de même plutôt terrible !… D’autant que nous apprenons qu’une institution internationale telle que la Banque mondiale n’aura pas hésité à appuyer sur l’utilisation de certains outils économiques censés réaliser des… miracles ! Ainsi Ivan Kacarevic peut-il écrire :
« Même la Banque mondiale, qui était un des porteurs principaux du concept du Consensus de Washington, après avoir recommandé pendant 15 ans certaines « meilleures pratiques » destinées tant aux pays en développement qu’à ceux en transition, a reconnu qu’il n’existe pas de recette universelle. » (Idem, page 18)

Décidément, il paraît que Julie Lécuyer nous aura donné la bonne clé d’interprétation : ce fameux Consensus de Washington. Mais quels sont les rapports qu’il entretient avec les doctrines plus typiquement allemandes que sont l’ordolibéralisme et l’économie sociale de marché ?

Ce qui est sûr, selon Ivan Kacarevic, c’est que, au départ du processus imposé aux pays en transition…
« La théorie économique donnait dans la première décennie de la transition, un concept de mise en œuvre de réformes économiques basé sur le modèle néoclassique des économies de marché. Ce concept reposait sur les politiques du Consensus de Washington promulguant une réforme rapide dans tous les domaines où cela était possible. » (Idem, page 19) 

Quels en étaient les contenus ? S’assimilaient-ils à ceux qui avaient si bien réussi à la République fédérale d’Allemagne des lendemains immédiats de la Seconde Guerre mondiale et des décennies suivantes jusqu’à l’époque actuelle ? Ivan Kacarevic nous donne une réponse qui – pour autant qu’elle concerne le seul Consensus de Washington – finit plutôt mal :
« La stabilisation, la privatisation et la libéralisation sont devenues une sorte de mantra enraciné dans le concept de la mise en œuvre des réformes économiques. Aujourd’hui nous savons que ces politiques n’ont pas eu l’effet désiré. Les pays en transition ont montré des résultats au-dessous de toutes attentes. » (Idem, pages 19-20)

Décidément, il nous faut savoir situer ce que peut être la position spécifiquement allemande dans la question de la transition qui a été « offerte » aux PECO, puisque, par ailleurs, cette question est posée par Ivan Kacarevic qui se promet d’y répondre pour nous :
« Pourquoi le Consensus de Washington a-t-il échoué ? » (Idem, page 23)

Michel J. Cuny

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