
Le temps diluvien n’était plus qu’un souvenir. Au début d’un mois de juillet ensoleillé, à Mâcon, nous avons élu domicile dans une petite chambre d’un café-hôtel qui avait dû être, autrefois, un hôtel de passe.
Le prix était modique. L’hôtelier nous apprit que, présents depuis une semaine, nous allions avoir droit à un rabais et que, la semaine suivante, ce rabais serait encore plus important. Bien sûr, il y avait un seuil en dessous duquel il ne pourrait descendre.
Le dimanche matin, des rayons de soleil parvenaient jusque dans notre chambre avec les échos de la chanson La vie en rose d’Édith Piaf et les bribes de conversations des piliers du comptoir ; encore un peu et nous nous serions cru(e) dans un film en noir et blanc des années 50 où l’ombre le dispute à la lumière.
Avec l’argent économisé, nous fîmes l’acquisition d’un bloc de papier pelure jaune soleil. « Certes, la chambre était exiguë, et le mobilier plutôt titubant, mais les premières lignes furent tracées ici, sous une chaleur étouffante, et dans la ferveur d’un départ de marathon… » [Michel J. Cuny – Françoise Petitdemange, La clef des champs – récit autobiographique, Éditions Cuny-Petitdemange, 1990, pages 97-98, ouvrage réédité dans une forme électronique.]
Munis de notre bloc de papier jaune, nous nous sommes rendu(e), le jeudi 14 juillet matin, de notre petite chambre d’hôtel jusqu’à un café où nous allions continuer l’écriture du « Prologue ». Dans la rue, nous avons croisé notre voisin de palier qui nous a gratifiés d’un timide bonjour auquel Michel a répondu tandis que ma propre réponse avait un peu tardé. Le jeudi 14 au soir, il suffisait de passer le pont avec la voiture et de marcher sur un kilomètre pour aller danser à Replonges, un village du département de l’Ain situé à 5 kilomètres de Mâcon : nous avons donc dansé au bal musette.
De retour à l’hôtel, tout de même un peu fatigué(e), nous ne pouvions que dormir. Si Michel a toujours eu un sommeil d’ange, j’ai toujours eu des insomnies. Peut-être aussi le passage de mes 28 à 29 ans, qui avait eu lieu juste avant minuit, était-il un peu pour quelque chose dans mon impossibilité de fermer l’œil cette nuit-là. En tout cas, j’étais bien éveillée et j’en étais à dérouler le fil de notre vie lorsque j’ai entendu, au petit jour, un bruit suspect… rien qu’un faible craquement de l’autre côté de la cloison suivi d’un bruit sourd ; et puis, plus rien. Cette nuit fut blanche et je pus voir apparaître les premiers rayons du soleil au travers des persiennes.
Le vendredi 15 juillet au matin, nous partîmes, notre jeune manuscrit jaune soleil sous le bras de Michel, vers notre café devenu notre lieu favori pour continuer, à l’encre noire, notre travail d’écriture. Il était un peu plus de midi lorsque nous décidâmes de rentrer à notre chambre d’hôtel : une voiture de police, stationnée devant le petit café-hôtel dans la petite rue étroite gorgée de lumière, nous plongea soudainement dans l’inquiétude.
Michel alla en éclaireur. Et puis, il vint me chercher. Il fallait bien que je retrouve notre chambre. Arrivé(e) en haut du petit escalier étroit, nous fûmes accueilli(e) par deux ou trois policiers : notre voisin de palier avait décidé durant la nuit de se mettre une corde au cou et d’en finir avec la vie. [Cf. MJC-FP, La clef des champs – récit autobiographique, etc.] Ainsi, la faucheuse était passée tout près de nous et avait frappé à la porte voisine.
Bientôt, nos déplacements étant liés à la diffusion de nos romans, nous avons quitté, la mort dans l’âme mais le cœur à l’ouvrage, le petit hôtel de Mâcon pour aller sous d’autres cieux.
Françoise Petitdemange – Michel J. Cuny
5 mai 2021