Alfred Müller-Armack et ces hommes exceptionnels dans les mains desquels les peuples devraient impérativement remettre leur sort…

En 1933, quand il publie son livre Staatsidee und Wirtschaftsordnung im neuen Reich, Alfred Müller-Armack vient d’assister à l’arrivée au pouvoir d’Adolf Hitler en Allemagne, tandis que, onze années plus tôt, il était allé en Italie, tout juste après la Marche sur Rome (27-28 octobre 1922) qui s’était traduite par la désignation de Benito Mussolini à la présidence du Conseil des ministres italien, puis, dès le 16 novembre, par la remise des pleins pouvoirs entre ses mains et pour une durée déterminée… pratique qu’on retrouverait chez Charles de Gaulle qui ne négligerait jamais de lier, aux référendums qu’il proposait, l’octroi de pleins pouvoirs au moyen desquels il assurait la mise en application, par un État bien dans sa main, les mesures correspondantes… qui refermaient toujours davantage le système politique français sur le pouvoir exécutif… dont il était la clef de voûte…

En ne perdant pas de vue qu’en 1934, le lieutenant-colonel Charles de Gaulle publierait son ouvrage Vers l’armée de métier dont j’ai pu écrire, ailleurs, en quoi il préfigurait, en quelque sorte, l’intervention de la France de Sarkozy en Libye (2011), regardons ce qu’Alfred Müller-Armack retient de l’évolution politique qui se développe sous ses yeux en 1933 :
« Les inhibitions soigneusement érigées par la démocratie libérale contre l’expansion du pouvoir de l’État sont tombées. La volonté d’accorder à l’État la compétence de réglementer les domaines qui lui ont été retirés jusqu’à présent est désormais illimitée. » (Idem, page 11) 

Une question lui sera aussitôt venue à l’esprit :
« Demandons-nous à partir de quelle conception de l’histoire il faut comprendre la nouvelle idée de l’État ! » (Idem, page 12)

Sans doute aura-t-elle supplanté ce qui lui venait des siècles immédiatement précédents. Regardons en quoi cela consistait, et ce qui est donc en voie de disparition, sous le regard des peuples, au moins en Allemagne et en Italie :
« La conception philosophique de la nature de l’homme dans les doctrines de l’État du XVIe au XVIIIe siècle apparaît ouvertement et elle est facilement compréhensible. L’homme est un être rationnel et, en tant que tel, il a accès à un domaine de valeurs objectives et clairement ordonnées. » (Idem page 12) 

Voilà donc ce qui est occupé à disparaître : une rationalité dont il faut se résoudre à penser qu’elle n’était faite que d’artifices… L’énonciation de lois qui passaient pour être l’expression d’une « nature » plus ou moins apaisée suffisait à tout… bannissant ainsi les rapports de force… et toute l’inventivité dont leur mise en œuvre est capable :
« Les gens croyaient qu’ils pouvaient se passer complètement de la politique et associaient la loi naturelle et le développement de la connaissance scientifique à l’espoir d’une possible organisation des choses sans pouvoir. » (Idem, page 13)

De l’éternité des lois « naturelles », il allait donc falloir passer à autre chose…
« Le mot auquel il convient d’en appeler pour fournir le slogan de la libération du monde des Lumières est : historicité. » (Idem, page 13)

À travers celle-ci…
« On découvre la diversité des peuples, on écoute leur voix, on lit leurs documents. Le concept d’homme neutre de la raison est remplacé par un être plus irrationnel, mais donc aussi plus vivant. Ce n’est pas le droit naturel, mais la tradition, les anciennes institutions juridiques et le droit coutumier qui apparaissent comme la source de l’ordre positif de l’État. » (Idem, page 14)

La source… Mais rien que la source… Et c’est donc à l’État de dire ce qui doit ensuite être intégré par les peuples, et mis à leur programme, sans que cela se range sous le contrôle d’une rationalité plus ou moins certaine, sinon la prééminence de l’historicité  se heurte à un nouvel écueil…
« Il ne fait aucun doute que cette attitude historique contenait une bonne dose de passivité et stimulait plus la contemplation historique que l’action. » (Idem, page 14)

Au-delà de cet historisme contemplatif qui ne lui suffit pas, Alfred Müller-Armack en indique un autre que lui-même voit comme son grand adversaire… le « relativisme historique » par lequel il convient de désigner le marxisme…
« Les États, les masses, les groupes de pouvoir et autres sont devenus les véritables porteurs du changement historique. » (Idem, page 15)

Armack veut y voir un automatisme…
« L’histoire est ici un processus qui lie radicalement l’homme. Il ne se tient pas dans l’histoire, mais sous elle. Il est aussi lié à son lieu historique que l’animal l’est à son environnement sans histoire. » (Idem, page 15) 

Si la politique veut véritablement se montrer créatrice…
« L’historicisme doit d’abord revêtir une troisième forme pour pouvoir enfin accomplir sa tâche éternelle de vaincre le rationalisme politique à partir d’une nouvelle conception de l’homme. Nous appelons cette troisième forme : l’activisme historique. » 

Pour éclairer ce qu’il entend par ce dernier terme, Alfred Müller-Armack nous renvoie, dans une note de la page 17, à son précédent livre déjà cité, qui indiquait ce qui est nécessaire à « l’homme » pour lui ouvrir la voie de cet activisme historique :
« Ce n’est que lorsqu’il est capable d’initier et de diriger l’histoire à partir de son présent, lorsqu’il porte la responsabilité de ce qui se passe, que son action acquiert un sens plus profond. Ce n’est que dans cette forme de développement que l’histoire peut être comprise comme le moyen de vie de l’action libre et responsable. » 

Pour notre auteur, cet homme, c’est tout autant Benito Mussolini qu’Adolf Hitler… Évidemment, un homme rien qu’ordinaire n’y suffirait pas… C’est qu’il faut disposer d’une connaissance plus ou moins intuitive qui ne peut qu’être le fait d’un être exceptionnel dont il ne reste plus qu’à souhaiter qu’il prenne la tête de l’État :
« Bien sûr, il n’atteint cette liberté qu’au prix d’être lui-même lié historiquement. Il trouve une situation concrète sur les conditions limitées de laquelle il doit orienter son action, et il ne peut en aucun cas espérer dépasser l’historicité avec son action. » (même note).

À suivre…

Michel J. Cuny

Pour revenir au début de cette série d’articles, c’est ici.


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