Le marché du médicament a cette particularité, en France notamment, de n’être quasiment pas un marché. Pour l’essentiel, il se nourrit, par voie administrative, des prélèvements obligatoires effectués, à travers les cotisations sociales, par la Sécurité du même nom. La part qui lui en revient est donc tout simplement un trésor de guerre assuré pour autant que même le dépassement des recettes par les dépenses finit toujours par trouver un rééquilibrage dont l’Etat se porte garant.
A quoi vient se conjoindre le fait que la maladie peut être prise en otage par l’industrie pharmaceutique : elle est le malheur permanent qui autorise l’utilisation de toutes sortes de médications – d’avance financées – qui, loin d’atteindre à la guérison, ne sont, la plupart du temps, que l’accompagnement ad vitam aeternam (et terriblement dangereux, parfois) de la maladie . La causalité profonde paraît pouvoir être laissée de côté… à bon compte. Or, le mystère de la dialectique de la santé et de la maladie est tel qu’on pourrait s’attendre à voir l’humanité s’y intéresser de près, et autrement que pour des questions de rentabilité financière.
En effet, l’humain est ainsi fait qu’il ne peut que constater le caractère étrange du fonctionnement de son corps dans ces circonstances où une santé compromise paraît se rétablir à la suite de l’ingestion d’un produit dont le corps médical sait qu’il n’a parfois aucune activité réelle (sauf qu’il est comme accompagné par une ombre salvatrice : l’effet placebo).
Cette injure répétée à la science n’empêche pas celle-ci de rendre tous les services qu’elle peut à l’industrie du médicament en jouant sur les structures de l’infiniment petit dont il paraît que, parfois, elles sont elles aussi intéressées dans l’effacement de ce qui engendre la souffrance : le symptôme.
Mais, placebo ou pas, le médicament est comme un furet qui court dans le corps en lui tenant un langage dont la science d’aujourd’hui ne connaît encore que bien peu le vocabulaire et la grammaire. Elle en mesure pourtant, parfois, les coups de poignard : et voici le Médiator qui descend du podium des vainqueurs comme Lance Armstrong… En la circonstance, on voit d’ailleurs que la recherche médicale la plus pointue obtient toutes sortes de résultats… Les meilleurs étant parfois les pires, pour peu que l’on ose s’éviter de respecter les critères les plus évidents d’une certaine éthique de vie.
Mais, décidément, la valeur d’échange est, de toute nécessité, la plus forte, et plus particulièrement quand elle se trouve, pour l’essentiel, rangée sous sa forme reine : le capital. Ici, il y a une comptabilité générale et particulière : générale en ce qu’elle peut être le fait des firmes multinationales ; particulière en ce qu’elle s’étend au budget santé de l’humain localisé sur tel ou tel territoire…
C’est cette valeur d’échange capitalisée qui va être la mieux placée pour dicter aux populations, mais aussi aux autorités de santé, les critères qui serviront à définir la valeur d’usage de tel ou tel médicament.
Voyons comment cela se traduit sous la plume de MM. Even et Debré lorsqu’ils abordent la question de l’industrie pharmaceutique internationale : (pages 78-79)
« Aucun ministre, aucun gouvernement, aucun Etat isolé, ne peut résister à ses pressions. Infiltrée à travers de puissants lobbies dans toutes les instances décisionnelles, nationales ou internationales, ONU, OMS, Assemblées parlementaires de tous les pays, Commissions européennes de l’industrie et de la santé, gouvernements, agences du médicament, telles que la FDA et l’EMA, elle est partout installée autour des sites décisionnels importants à Washington, à Londres, à Genève ou à Bruxelles, où elle a pignon sur rue. »
Oui, bien sûr !… Et qui s’en soucie vraiment ? Qui osera lever les yeux sur cette pitoyable condition que l’humanité se fait à elle-même à travers le médicament comme à travers toutes ces valeurs d’usage qu’elle consent à laisser au plus bas des services qu’elles devraient lui rendre, et au plus bas d’une bassesse qui ne sait que plier l’échine devant ce que le capital lui inflige de soumission ?
Michel J. Cuny