Depuis John Locke jusqu’à Karl Marx, en passant par Adam Smith et David Ricardo, il devrait être connu que la valeur économique est produite par le travail, et par le travail seul.
Mais la publication du « Capital » en 1867 et le choc produit par l’apparition, sur la scène européenne, de la Commune de Paris en 1871 ont exigé l’étouffement de cette connaissance essentielle à toute analyse du mode capitaliste de production.
Ainsi vit-on, dans les années immédiatement subséquentes, trois économistes développer, indépendamment les uns des autres, une doctrine tendant à faire, de l’utilité du produit et de sa rareté relative, les seuls fondements de sa valeur économique : William Stanley Jevons en Grande-Bretagne, Carl Menger en Autriche et Léon Walras en France.
Garantissant l’attractivité du produit, l’utilité est le moteur de la demande, tandis que la rareté relative est la condition de la fixation du prix à un niveau plus ou moins élevé. Dans cette analyse, il y a, certes, un coût de production. Mais son rôle se borne à sanctionner les produits insuffisamment utiles (selon l’avis du demandeur : l’acheteur solvable) ou trop répandus (l’offre étant alors supérieure à la demande solvable) : invendables, sauf baisse significative de leur prix de vente. C’est donc l’excédent de ce qu’ils ont coûté sur ce qu’ils rapportent qui les con-damne à disparaître au plus tôt, sauf rétablissement ultérieur d’un rapport offre et demande qui leur serait à nouveau favorable.
Au-delà des multiples questions que pose cette description plus ou moins scientifique de la réalité économique, elle a pour résultat politique essentiel d’enjamber le rôle du travail… et donc celui des travailleurs et travailleuses directement occupé(e)s à la… production… d’une richesse économique qui ne pourra désormais que leur échapper… jusqu’à ce qu’ils et elles se réapproprient les outils d’analyse mis en oeuvre, il y a déjà si longtemps, par Locke, Smith, Ricardo et Marx.
Le travail étant décidément seul producteur de la richesse économique, c’est sa substance même (le temps de travail) qui se trouve présente dans la valeur économique de quelque capital que ce soit. Mais, en retour, le travail ne trouvera sa place dans la production qu’à la condition qu’on le jugera susceptible d’accroître la dimension du capital qui lui fait face plus que ne le ferait tel ou tel de ses concurrents travailleurs présents sur le marché. Sinon, le voici en chômage.
Le prix à payer du côté de la valeur d’usage, c’est-à-dire en ce qui concerne le service réel rendu à la population par les pratiques médicamenteuses, ne peut, dès lors, surprendre personne : il faut juste que cela marche dans la dimension de l’exploitation… du travail… et de la crédulité publique (un vrai effet placebo, tous azimuts).
Ainsi, pour autant qu’ils ne paraissent pas vraiment mettre en cause l’exploitation de l’homme par l’homme, MM. Even et Debré sont bien bons de paraître s’effaroucher de la situation de la production des médicaments dans notre pays. Mais puisque c’est cette bonté qui aura fini par engendrer la masse d’informations qu’aujourd’hui nous détenons grâce à eux , nous aurions bien tort de la tenir pour peu de chose : (page 70)
« Les lignes qui vont suivre sont très dures pour l’industrie pharmaceutique d’aujourd’hui, mais elles ne visent que ses managers et ses dirigeants, ceux qui l’ont centrée sur les seuls marchés qui rapportent et non sur les grands problèmes de santé mondiaux, ceux qui ont sans cesse réduit ses activités de recherche et de fabrication et l’ont transformée en une pure machine de marketing et de lobbying. »
Michel J. Cuny