Sanofi, canard boiteux de l’innovation thérapeutique

Avant d’être, un jour peut-être, le champion de l’invention du médicament dont rêvent les professeurs Even et Debré, il y aura bien du chemin à parcourir pour cette multinationale dont depuis quarante an-nées qu’elle a pris naissance, ils ne peuvent que déplorer la scandaleuse impéritie en matière d’inventivité :
« […] ses percées originales sont extraordinairement peu nombreuses pour une grande firme internationale, une dizaine de petites décou-vertes ponctuelles en trente ans, rien qui compte vraiment, beaucoup moins que les grandes firmes étrangères de puissance économique équivalente, et toutes sont des percées très anciennes, des années 1970 à 1990 : Largactil, Valproate, Clomiphène, 2 antibiotiques, Furosémide diurétique, Kétoprofène, Cordarone. Même le Plavix, de 1998, l’un des deux médicaments les plus vendus, quoique les plus inutiles du monde, n’est que le dérivé du Ticlid, inventé en 1978. Depuis 1990, seulement la Rasburicase (2011, dans la goutte) et le Taxotère (1998) sur un brevet du CNRS et qui n’est qu’un dérivé du taxol américain. » (page 126)

Nous voici donc dans le top des « petites découvertes ponctuelles » de Sanofi : quelques milliards de recherche… et pouf!…

Mais le travail de MM. Even et Debré est trop documenté pour ne pas nous faire un devoir d’approfondir la question des produits « exceptionnels » qu’ils consentent à mettre à l’actif de la multinationale d’origine française dont ils souhaitent placer le développement et les futurs exploits sous la protection particulière de l’Etat et, sans doute, de l’ensemble des citoyennes et citoyens. Défendre la cause de la première capitalisation boursière du CAC40, c’est revisiter la bataille de Verdun, n’est-ce pas ?

Prenons le Largactil (page 799). Aussitôt, sa date de mise sur le marché nous fait bondir : 1952! (Rappelons que Sanofi ne verra le jour qu’en 1973).

Le Valproate, qui est un principe actif, est absent de l’index de fin du livre, mais un détour par Internet nous permet de découvrir son nom commercial : Dépakine, que nous retrouvons dans le tableau de la page 801 : il est de 1987. Jusqu’à plus ample informé, nous l’incluons, lui, dans la famille Sanofi.

Ce que nous ne pouvons pas accepter pour le Clomiphène (nom commercial : Clomid) qui est né au marché en… 1967! (page 739)

Furosémide est de 1977 : rien à redire.

Kétoprophène, absent de l’index, se révèle être commercialisé sous le nom de Profénid. Daté de 1974 (page 569), il souffre d’un grave handicap (pour un champion), puisque les auteurs agrémentent son intitulé de la petite croix de saint-André qui recommande son retrait du marché (dans son cas, pour risque important).

Quant au petit dernier de la liste : Cordarone (1987), il n’y a rien à lui reprocher, mais, pour son malheur, il nous conduit jusqu’à celui qui devait être son successeur amélioré : le Multaq. Ici, nous rejoignons l’actualité la plus brûlante.

Cette actualité se présente sous la forme d’une très longue note qui apparaît au bas de la page 674, où nous n’aurions cru trouver, parmi les tableaux, que quelques éléments d’un caractère plus ou moins techni-que. Elle débute ainsi le récit des aventures de la nouvelle molécule :
« Autorisée fin 2009, mais en mars 2011 Sanofi stoppe un essai comparatif défavorable contre placebo publié en décembre 2011 pour mortalité globale multipliée par 5 (1% vs 0,2%), mortalité cardiaque et cérébrale multipliée par 2,2 (2% vs 0,9%), augmentation des hospitalisations (+ 43%) mais seulement en cas d’insuffisance cardiaque ou de fibrillation auriculaire permanente. Dans les autres cas, la molécule réduit les accidents mortels de 30 à 45%. 
La FDA [l’Agence américaine du médicament] rapporte ensuite 487 accidents pour 300 000 patients traités, dont 24 décès, des troubles du rythme et des cas d’hépatites sévères ayant imposé la transplantation.
Par ailleurs, en mars 2010, la Commission de transparence de la HAS [Haute autorité de la Santé] juge le service rendu comme « modéré », ne justifiant qu’un remboursement à 35%. Sanofi fait appel et le service rendu est reclassé « important » en juin 2010, avec un remboursement à 65%. »

Ici, il me faut marquer un temps d’arrêt pour dire que, comme je le montre dans « Une santé aux mains du grand capital ?  – L’alerte du Médiator » (pages 230 à 245), c’est bien un haut-fonctionnaire, le président du Comité économique des produits de santé (CEPS) qui, de sa propre autorité, a fait allègrement enjamber à Multaq l’avis donné par la Commission de la transparence de la HAS… De façon plus générale, on y verra comment les Autorisations de mise sur le marché répondent très exactement aux intérêts les plus sordides – mais essentiels en économie capitaliste – de ladite « économie de marché ». Notre santé s’y plie, ainsi que le montre, de façon criante, la trentaine d’années pendant lesquelles Médiator a joué à saute-moutons avec l’administration qui le lui a bien rendu… et qui ne cessera de le rendre à d’autres médicaments boiteux, qu’on pende Servier ou pas.

Mais, redonnons la parole à MM. Even et Debré pour la suite des aventures de Multaq : (page 674 toujours)
« Sanofi obtient ensuite du CEPS un prix 8 fois supérieur aux génériques de la Cordarone et 2,5 fois à la molécule originale, soit 2,8 €/j, soit 1 000 €/an, pour un traitement à prendre des années par des centaines de milliers de malades, c’est-à-dire un marché potentiel d’au moins 200 millions d’euros. »

Et bon vent à Sanofi !

Quant à protéger notre santé et celle des êtres que nous aimons (puisque nous sommes en période de voeux), nous pourrons toujours lui refiler quelques milliards : ça semble effectivement très bien parti.

     Michel J. Cuny (9 janvier 2013)


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