Le Conseil national de la Révolution algérienne (C.N.R.A.)  et les conséquences de l’étouffement de tout un peuple

par Issa Diakaridia Koné

Ainsi que nous l’avons vu chez Vladimir Ilitch Lénine, le saut qui va du féodalisme au socialisme passe nécessairement par le pont de la démocratie… Quelle qu’ait été la provenance des outils d’analyse qu’utilise le Conseil national de la Révolution algérienne (C.N.R.A.) lorsqu’il réfléchit, en juin 1962, au chemin que va devoir suivre le Front de libération nationale (F.L.N.) pour répondre à l’esprit révolutionnaire dont il pense que le peuple algérien est maintenant imprégné, nous allons constater qu’il fait une place considérable à la destruction du féodalisme et de tout ce qui en porte la trace.

Mais le F.L.N. ne pourra pas manquer de commencer par s’interroger sur ses propres pratiques. Et le C.N.R.A. n’hésite pas à l’affirmer tout net :
« Le F.L.N., ennemi acharné du féodalisme, s’il a bien combattu ce dernier à travers nos institutions sociales routinières, n’a rien fait, en revanche, pour s’en préserver lui-même à certains niveaux de son organisation. Il a omis, à cet égard, que c’est précisément la conception abusive de l’autorité, l’absence de critères rigoureux et l’inculture politique qui favorisent la naissance ou la renaissance de l’esprit féodal. » (page 690)

Toute autorité doit pouvoir être soumise à l’analyse critique… Cette analyse elle-même doit disposer d’outils fondés sur une réflexion scientifique. Elle doit, pour être formulée correctement, correspondre à une argumentation présentée en bonne et due forme… Enfin, la question politique est un domaine de réflexion spécifique qui exige qu’on s’y forme en y mettant un maximum d’attention et d’intelligence.

Fruit d’une société déséquilibrée par une colonisation de très longue durée, l’idéologie dominante, dont les caractéristiques féodales sont criantes, s’est répandue bien au-delà de son point de départ : les grandes propriétés foncières et les liens de servitude qui s’y rattachaient pour la population travailleuse. Ainsi le C.N.R.A. souligne-t-il avec la plus grande pertinence que…
« L’esprit féodal n’est pas seulement le fait d’un groupe social déterminé traditionnellement prépondérant par la possession agraire ou l’exploitation outrancière d’autrui. Sa réalité dans les pays d’Afrique et d’Asie, en tant que survivance d’une époque historique révolue, se traduit sous des formes diverses que revêtent parfois les révolutions même populaires quand elles manquent de vigilance idéologique. » (page 690)

La vigilance idéologique est justement ce qui doit remédier à la circulation, à la reprise, et à la répétition de schémas de vie tout faits, c’est-à-dire non encore soumis à l’analyse critique… Or, en face d’elle, cette vigilance se heurte à une sorte de schéma institutionnel qui s’est développé au fur et à mesure des décennies de soumission à l’autorité coloniale et à ses relais. Là encore, le C.N.R.A. fait preuve d’une très grande pertinence :
« De même qu’il y a des féodalités terriennes, il peut exister des féodalités politiques, des chefferies et des clientèles partisanes dont l’avènement est rendu possible par l’absence de toute éducation démocratique chez les militants et les citoyens. » (page 690)

Enfin – et c’est peut-être ce qu’il y a de plus sournois dans l’idéologie dominante impulsée de façon spécifique par tout ce qui finit par s’inscrire dans un arrière-plan plus particulièrement religieux, lui-même tout imprégné de motivations politico-religieuses non avouées… – il y a la fausse sollicitude de tout ce qui peut s’assimiler à une autorité tutélaire qui va du père au fils, de la mère à la fille… alors que le nombre des années a dépassé le temps de l’enfance :
« En plus de l’esprit féodal qui a longtemps imprégné toute la vie du Maghreb depuis la fin du Moyen Age dans les domaines économique, social, culturel et religieux et que le F.L.N. n’a pas su extirper radicalement, il faut noter aussi un de ses effets les plus sournois : le paternalisme. » (page 690)

En fait, ce que le C.N.R.A. exige du F.L.N., c’est l’apprentissage de l’art de la réponse…, d’une réponse toujours motivée à partir d’une analyse qui fournit tous les arguments nécessaires à l’élaboration d’une pensée authentique et tournée vers la pratique… S’il s’agit de se déterminer en sa qualité de citoyen et de citoyenne, il ne peut plus y avoir d’autorité reçue comme d’un père ou d’une mère qui en savent nécessairement plus que l’enfant que chaque adulte a pu être pendant un temps compté.

Le C.N.R.A l’aura donc écrit dès juin 1962 à l’encontre de tous les membres du F.L.N. :
« Le sens de la responsabilité, émanation la plus fidèle de l’esprit démocratique, doit se substituer partout au principe d’autorité d’essence féodale et de caractère paternaliste. » (page 694)

Mais le Conseil savait aussi qu’un poids terrible pesait sur la population de l’Algérie… le poids d’une colonisation de peuplement établie au prix d’un long étouffement de la spontanéité algérienne.

J’y reviendrai.

Issa Diakaridia Koné

NB. La collection complète des articles d’Issa Diakaridia Koné est accessible ici :
https://unefrancearefaire.com/category/lafrique-par-elle-meme/


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