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Quittant le poste de Premier ministre trois mois (12 mai 1999) avant que Vladimir Poutine y arrive à son tour (9 août 1999), Evguéni Primakov se remémore les problèmes qu’il avait rencontrés dès sa prise de fonction (11 septembre 1998), alors que le système Eltsine était en voie d’effondrement total :
« Il fallait nous assurer, le plus rapidement possible, que les régions verseraient leurs salaires aux médecins, aux instituteurs et aux autres catégories de salariés qui ne dépendaient pas directement du budget national. » (Primakov, page 275)
Mais quel pouvoir le centre possédait-il encore sur la périphérie ? Evguéni Primakov, qui n’avait pu qu’initier un mouvement de reconquête, se montre très intéressé par l’attitude de son successeur à la tête du gouvernement :
« Alors qu’Eltsine, à la fin de l’époque soviétique, proposait aux dirigeants des régions russes de « prendre autant d’autonomie qu’ils pouvaient en digérer », Poutine, au contraire, marqua son intention de limiter le champ de leurs actions anticonstitutionnelles et illégales. » (Primakov, page 17)
À peine élu président de la Fédération de Russie (26 mars 2000), Vladimir Poutine signe un décret (13 mai 2000) qui prévoit la mise en place de représentants plénipotentiaires, directement rattachés à la Présidence, dans sept grands districts fédéraux. En foi de quoi, ainsi que nous le rapporte la journaliste russo-américaine, Masha Gessen :
« Poutine nomma les sept émissaires. » (Gessen, page 197)
Il vaut la peine de voir d’où il les tire. Et c’est à quoi s’attache cette journaliste très éloignée d’être favorable à ce genre de choix qui semble lui rappeler cette époque, qu’elle déteste tout particulièrement, du soviétisme triomphant :
« Deux d’entre ceux seulement appartenaient à la société civile – et l’un d’eux semblait avoir un passé d’agent du KGB travaillant sous couverture. S’y ajoutaient deux agents du KGB de Leningrad, un général de la police et deux généraux de l’armée qui avaient commandé les troupes en Tchétchénie. C’est ainsi que Poutine mit en place des généraux pour garder à l’œil des gouverneurs élus par le peuple – également susceptibles, désormais, d’être relevés de leurs fonctions par le gouvernement fédéral. » (Gessen, page 197)
Quelques années plus tard, ayant pu analyser le problème plus à fond, Vladimir Poutine décide de frapper à la racine. Il fallait éviter que les gouverneurs ne soient directement dans la main des oligarques, seuls en mesure de financer leurs campagnes électorales. Ici, c’est Frédéric Pons qui nous présente la solution retenue, selon lui :
« Jusque-là élus au suffrage universel, ils seront désormais nommés par le Kremlin, avant de pouvoir être adoubés par les Parlements locaux. La décision est prise dès le 13 septembre 2004, dix jours après Beslan. » (Pons, page 144)
C’est-à-dire après une prise d’otages qui s’était achevée sur un massacre (334 morts rien que parmi les civils)… Immédiatement, Chamil Bassaiev – dont nous avons vu précédemment qu’il avait partie liée, durant les guerres de Tchétchénie, avec Boris Berezovski – avait été suspecté. En effet, le 17 septembre 2004, il revendique cette attaque sur Internet… Dans d’autres circonstances, il admettra avoir été financé par des affairistes de Moscou dont, justement, le prince des oligarques…
Processus qui se retrouvait chez certains gouverneurs de région… désignés par un suffrage universel très dépendant de médias aux mains des grands brasseurs d’affaires…
Or, à la différence d’un Boris Eltsine soumis, durant une bonne partie de son règne, à la menace d’être destitué par un vote des députés, Vladimir Poutine dispose, lui, d’une confortable majorité à la Douma. Très vite, la décision qu’il a prise est mise en œuvre :
« En 2005, à la fin de son premier mandat, Poutine a changé la loi. Dans le cadre de la reprise en main de l’administration locale, il supprime les élections directes pour les postes de gouverneur. Il veut que le Kremlin les nomme. » (Pons, page 176)
Cette fois-ci, c’est à Tania Rachmanova de s’inquiéter :
« Nombre des nouveaux gouverneurs de région sont ainsi issus des forces armées : le général du FSB Viktor Maslov à Smolensk, le général d’armée Boris Gromov à Moscou, le général de la police Vladimir Koulakov à Voronej, le général d’armée Gueorgui Chpak à Riazan… » (Rachmanova, page 190)
Elle avait déjà pu faire la même constatation à propos de l’arrivée de Vladimir Poutine à la Présidence. Il y avait d’abord quelques rares exceptions. Par exemple…
« […] Alexandre Volochine, l’ancienne éminence grise d’Eltsine, qui garde son statut de chef de l’administration présidentielle ; ou Vladislav Sourkov, qui avait créé en 1999 des alliances pro-Kremlin à la Douma, et devient l’idéologue principal du nouveau régime. » (Rachmanova, page 189)
Mais, selon elle, la règle est bien celle-ci :
« Le Kremlin sous Poutine se divise en deux camps : celui d’Igor Setchini et des siloviki, représentants des ministères de la Défense, de l’Intérieur et du FSB, et celui de Vladimir Sourkov, le camp des idéologues. Vladimir Poutine, lui, manœuvre au-dessus de la mêlée. » (Rachmanova, page 189)
Ce qui peut aussi se formuler autrement… Selon Tania Rachmanova…
« […] ses amis et hommes de confiance sont ses ex-collègues du KGB ou ses camarades d’études à la faculté de droit de Leningrad, qui ont fait carrière dans les silovye strucktury (« structures de force » : ministères et départements de la police et de l’armée). » (Rachmanova, page 186)
Voilà donc que le soviétisme se serait soudainement survécu à lui-même… Ce qui revient à dire qu’à travers l’arrivée de Vladimir Poutine à la tête de l’État russe, ce soviétisme, qu’elle déteste, aurait été plus ou moins ressuscité d’entre les morts d’une époque apparemment révolue.
Or, Tania Rachmanova n’est, bien sûr, pas seule à tenir semblable langage à propos d’un phénomène qui l’inquiète plus que tout. Une note du livre de Marie-Pierre Rey y ajoute un résultat statistique plutôt frappant :
« En moyenne, selon Olga Kryschtanovskaia, spécialiste de la question, ce serait environ 25 % des élites russes (conseil de sécurité, gouvernement, gouverneurs régionaux, membres du Parlement) qui viendraient de ces « institutions de force ». Appelés « siloviki » (du terme russe renvoyant précisément à l’idée de force), ces hommes représentaient moins de 5 % des membres de ces institutions du temps de M. S. Gorbatchev (1988), plus de 10 % lors de la première présidence de B.N. Eltsine (1993), et près de 20 % au temps de la seconde présidence du même B.N. Eltsine. » (Rey, page 117)
L’État russe sous Vladimir Poutine est donc à peu près aussi soviétique qu’il peut l’être… Comment cela est-il possible ? Et où cela peut-il conduire la Russie à terme ?
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Michel J. Cuny