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En admettant que c’est effectivement Boris Berezovski qui a eu raison d’Evguéni Primakov lorsque celui-ci quitte son poste de Premier ministre le 12 mai 1999, il ne faudra attendre que jusqu’au 19 août suivant (un peu plus de trois mois) pour retrouver le même Primakov, en pire, dans la personne de Vladimir Poutine qui avait vécu, lui, l’essentiel de ses premières années professionnelles au sein même du KGB, pour ensuite prendre la tête du successeur de celui-ci : le FSB. Berezovski n’a donc plus qu’à bien se tenir…
Selon Evguéni Primakov, qui était mieux placé que personne pour en juger, dès l’arrivée de Vladimir Poutine à la tête du gouvernement, puis à l’intérim de la présidence de la Fédération de Russie (31 décembre 1999), l’attitude de l’oligarque ne laisse aucun doute, pas plus que celle de ses richissimes collègues :
« L’oligarque Boris Berezovski, qui s’était imposé dans le rôle de l’éminence grise sous Eltsine, incarne désormais une opposition dure à Poutine. Les autres oligarques, jadis proches de la « Famille », ne le soutiennent pas non plus, même si, pour l’instant, ils adoptent une attitude attentiste. » (Primakov, page 22)
À peine la présidence de la Fédération de Russie était-elle offerte par le suffrage universel à Vladimir Poutine (26 mars 2000) qu’ainsi que l’annonce Tania Rachmanova, la donne change :
« Le 1er novembre 2000, Berezovski est convoqué par le procureur pour un interrogatoire […]. » (Rachmanova, page 179)
Désormais certain de ne plus pouvoir compter sur l’État pour le garantir – puisque, comme nous le verrons -, le KGB va peu à peu investir les principaux postes de responsabilités au sein de la haute administration, dans les régions et dans certaines grandes entreprises, celui qui a décidé d’entrer dans une véritable lutte à mort avec les nouvelles autorités, se lance dans une grande aventure dont Tania Rachmanova ne démêle pas très bien certains épisodes :
« L’oligarque, qui se trouve alors en Europe, refuse de se rendre en Russie – il n’est jamais revenu dans son pays depuis. Et en mai 2001 Boris Berezovski sera finalement forcé de céder à Roman Abramovitch, l’un des plus riches hommes d’affaires du pays, resté proche de Poutine, ses 49 % du capital d’ORT [une chaîne de télévision], pour 175 millions de dollars. » (Rachmanova, page 179)
De fait, il y a très de Vladimir Poutine à cet Abramovitch qui ne perdait rien pour attendre, mais, puisque nous sommes dans les grands nombres, citons ici une note des traducteurs de l’autobiographie d’Evguéni Primakov. Elle concerne le principal adversaire du nouveau président :
« Au zénith de son influence, cet ancien scientifique reconverti dans les affaires possédait une fortune de 3 milliards de dollars et contrôlait plusieurs fleurons de l’industrie et des médias russes. Suite à l’enquête ouverte contre lui par le parquet russe, Berezovski s’exila en Occident. Il vit actuellement [c’est-à-dire en 2002] entre la France et la Grande-Bretagne. Essayant d’organiser une opposition à Vladimir Poutine, il fit notamment des dons significatifs à nombre d’organisations de défense des droits de l’homme en Russie. » (Primakov, page 19)
Ce qui ne peut guère qu’être un gentil prélude à quelques autres phénomènes bien plus rudes, ainsi que Frédéric Pons nous permet de le vérifier aussitôt, puisque il arrivera à l’oligarque de lancer un…
« […] appel au renversement par la force du pouvoir constitutionnel, après une déclaration de guerre à Poutine, faite à l’AFP en janvier 2006 : « Toute action violente de la part de l’opposition est aujourd’hui justifiée, y compris une prise de pouvoir par la force, sur laquelle justement je travaille. » » (Pons, pages 163-164)
De quoi sans doute transformer Vladimir Poutine en dictateur, comme cela a pu se produire ici ou là… en Yougoslavie, en Irak, en Libye, en Syrie, etc…
En attendant ce paroxysme, nous dit le même biographe :
« Berezovski s’enfuit au Royaume-Uni en octobre 2001, sa nouvelle résidence, avec sa grande propriété du cap d’Antibes, près de Nice. » (Pons, page 164)
Rien que pour nous plonger durant quelques secondes dans cette ambiance particulièrement joyeuse, amusons-nous un peu de ce qui pouvait se passer sous le règne d’un Eltsine durant l’été de 1997, par exemple. C’est Hélène Carrère d’Encausse qui évoque pour nous…
« […] la guerre des banques. Cette guerre commença lors de la vente aux enchères de la compagnie de télécommunications Sviazinvest. » (d’Encausse, page 354)
Nous sommes sans doute quelque part du côté de Règlements de comptes à O.K. Corral, mais nous jouons, cette fois-ci, avec les anciennes économies du peuple soviétique :
« Dans le conflit des banques, deux coalitions se feront face. D’un côté, Berezovski (Logovaz) et Goussinski (Media Most) contrôlent l’un le pétrole et l’industrie automobile, l’autre les médias. De l’autre côté, Potanine (Onexium et la holding industrielle Interros) est proche de Mikhaïl Fridman (Alpha-Bank), de Vagnit Alekperov (Lukoil) et même, hors de Russie, de George Soros. » (d’Encausse, page 354)
Tiens ! Il y a même un acteur milliardaire, et ce qui ne gâte rien : américain d’origine hongroise… Quant au scénario, il est décidément très bien ficelé, comme nous le signale la secrétaire perpétuelle de l’Académie française :
« Dans cette affaire, Goussinski, patron d’un immense groupe de médias indépendant (la chaîne de télévision NTV, une chaîne satellite et des journaux), s’acharna à conquérir Sviazinvest, mais Potanine, libéré du gouvernement, y mit une même pression. » (d’Encausse, page 354)
D’ailleurs, tout cela finit très bien malgré les vents contraires. Et c’est encore un Américain qui gagne :
« Cela n’empêcha pas Potanine d’emporter le marché avec l’aide de George Soros. » (page 355)
Vraiment, les années Eltsine ont été un bon cru…
Mais, malheureusement, tout a une fin, constate une note du livre de Tania Rachmanova :
« En septembre 2004, la Russie émettra un mandat d’arrêt international à l’encontre de Berezovski, le parquet de Moscou l’ayant mis en cause dans plusieurs affaires pour abus de biens sociaux et détournements de fonds. » (Rachmanova, page 180)
Cependant, après l’arrivée de Vladimir Poutine et du KGB à la tête de l’État russe, les copains et les coquins sont devenus les rois du cosmopolitisme… Il n’est que de lire Tania Rachmanova pour s’en convaincre :
« […] depuis la décision du parquet de Londres d’accorder en 2003 l’asile politique à Berezovski, des centaines de nouveaux riches russes ont ainsi choisi Londres comme résidence secondaire, voire comme résidence principale, pour échapper aux foudres du chef du Kremlin ou de son entourage. » (Rachmanova, page 181)
Mais peut-être ce flirt londonien allait-il un peu plus loin qu’il n’y paraît…
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Michel J. Cuny