C’est donc au nom d’un prétendu « régime totalitaire » qu’en 1993, la « communauté internationale » a couvert l’injustice dont a été victime l’ancien président de la République du Mali, Moussa Traoré…

par Issa Diakaridia Koné

Dès le début de son rapport sur le procès intenté au général Moussa Traoré, président de la République du Mali renversé par un coup d’État le 26 mars 1991, M. Laïty Kama, représentant la Commission Internationale de Juristes avait posé la question du contenu de l’inculpation visant l’ancien chef de l’État :
« S’agit-il d’un procès essentiellement politique devant mettre en cause uniquement la responsabilité politique de Moussa Traoré et de son régime dans les graves événements survenus au Mali ? Ou bien ne s’agit-il que d’un procès de droit commun diligenté contre des personnes auxquelles on reproche des faits d’assassinat, de coups et blessures volontaires et de complicité ? » 

Selon lui, la réponse ne faisait aucun doute :
« Les Autorités de la Transition ont penché pour le deuxième terme de l’alternative. Pour elles, c’est une affaire de droit commun qui relève en tant que telle de la compétence de la juridiction criminelle, c’est-à-dire de la Cour d’assises, même si la procédure prévue à cet effet est une procédure spéciale, s’agissant d’un procès intenté au Chef de l’Etat et à ses ministres. » 

Comme nous l’avons vu à travers les trois précédents articles publiés ici même, ce ne sont nullement les responsabilités engagées à l’occasion des heurts meurtriers entre les forces de l’ordre et les manifestants qui ont été au cœur des débats : celui que l’accusation a fini par désigner comme étant le très probable ordonnateur de la fusillade – le lieutenant-colonel Bakary Coulibaly – n’a pas eu à s’expliquer devant le tribunal…

Ayant préféré n’entrer dans aucun détail de la chaîne de commandement, l’accusation a brandi le thème du « régime totalitaire » pour tout mettre à la charge du principal responsable de l’Etat malien, l’ex-président de la République, Moussa Traoré… Il s’agissait donc d’un procès politique qui aurait dû être du ressort, non pas de la Cour d’Assises, mais de la Haute Cour de Justice, spécialisée dans la mise en cause politique des dirigeants de haut niveau…

Après avoir rendu compte de tous les éléments qui viennent d’être rapportés, et alors qu’il ne peut manquer de constater que le général Moussa Traoré a été condamné à mort après un procès pareillement scandaleux, M. Laïty Kama nous offre ses « Commentaires de l’observateur »… dont il faut souligner qu’ils émanent d’un éminent spécialiste de réputation internationale… rattaché à l’Organisation des Nations-Unies (ONU) !

Voici le premier commentaire :
« C’est tout à l’honneur de la jeune démocratie malienne d’avoir organisé malgré les imperfections relevées dans le rapport, le procès de Moussa Traoré et de ses compagnons, témoignant ainsi de sa volonté de s’engager dans le règne de l’Etat de droit. Et c’est d’autant plus remarquable que l’ancien Chef de l’Etat du Mali ne s’embarrassait pas de ce genre de scrupules dans le traitement de ses adversaires réels ou supposés. » 

Précisons : La « jeune démocratie malienne », c’est donc le régime qui a succédé à celui que dirigeait Moussa Traoré… un régime réputé « totalitaire »… à partir duquel un tribunal apparemment non politique (une Cour d’Assises) a pu condamner à mort un chef d’Etat rien que pour un motif politique indémontrable et en passant par-dessus les circonstances des crimes qui lui ont été attribués pour le conduire devant ce même tribunal…

Nous avons donc, là, un « Etat de droit » !

Deuxième commentaire de M. Laïty Kama :
« Le procès s’est déroulé dans la plus grande transparence puisqu’il était retransmis en direct et intégralement sur les ondes de la radio télévision malienne. »

Si cela a été effectué avec des commentaires comparables à ceux que nous fait ici ce grand juriste international, il y a de quoi s’inquiéter… Ou bien aura-t-on expliqué aux auditeurs et téléspectateurs maliens le caractère manifestement truqué de l’ensemble de la procédure ?…

Troisième commentaire… Et celui-ci commence à écorner les beaux discours sur la « jeune démocratie malienne », l’ « Etat de droit », la « transparence »…
« Il y a lieu de noter toutefois que durant tout le procès, l’on a senti une certaine pression sur la Cour de la part du public, composé pour la plupart de membres de l’Association des victimes de la répression (A.D.V.R.) et de leurs familles. Le Ministère Public n’a pas d’ailleurs manqué de tirer parti de la présence de ce public tout acquis à sa cause, pour le prendre constamment à témoin, notamment lors de son très long réquisitoire. »

Mais comment concilier les deux premiers commentaires avec le quatrième que voici :
« Tout en respectant la décision que la Cour d’assises a prise en son âme et conscience, il convient néanmoins de constater qu’elle aura en définitive laissé quelque peu sur sa faim une bonne partie de l’opinion publique malienne, à commencer par l’A.D.V.R., pour laquelle tous les responsables des tueries de janvier et de mars 1991 n ’ont pas été traduits devant la Cour d’assises de Bamako. A ce sujet et ainsi que l’observateur l’a signalé tout au long du présent rapport, le nom le plus cité est celui du Lieutenant Colonel Bakary Coulibaly Chef du p.c. opérationnel durant la crise. » 

Pourquoi ne pas dire qu’en l’absence de celui-ci, c’est l’ensemble du procès qui aurait dû être annulé ? Et qu’en conséquence la condamnation à mort du général Moussa Traoré est une décision plus qu’arbitraire : une décision criminelle établie en toute connaissance de cause ?

Cinquième et dernier commentaire qui permet d’affirmer que la « Communauté internationale » sait très bien ce qu’elle fait quand elle cautionne de semblables procès en les rangeant sous la rubrique indémontrable des « régimes totalitaires » :
« Enfin, la grande équivoque constatée par l’observateur sur la nature réelle du procès demeure plus que jamais. Aussi bien les plaidoiries des parties civiles que le réquisitoire du Ministère Public ont beaucoup plus évoqué la responsabilité politique de Moussa Traoré dans les massacres de janvier et mars 1991 que sa responsabilité pénale – il est vrai plus difficile à démontrer. Même les conseils des accusés n’ont pas manqué, pour les besoins de la défense de leurs clients, d’aller trouver le Parquet et les parties civiles sur ce terrain. D’où l’impression que certains n’ont pas manqué d’avoir, que l’on était en présence d’un procès politique avec un habillage de droit commun. » 

Vraiment, ne s’agit-il que d’une impression ?

Que M. Laïty Kama en vienne à se défausser pareillement, à nous mentir si effrontément, cela ne peut que nous conduire à cette conclusion : il était, là, en service commandé.

L’application du crime indémontrable de « régime totalitaire » est l’outil principal que brandissent les puissances impérialistes occidentales pour mettre au pas tout Etat qui prétendrait défendre sa population contre l’ordre mondial qui assure la libre circulation des capitaux…

On peut donc s’attendre à ce que d’autres condamnations à mort suivent… Qu’elles soient appliquées ou pas n’est pas nécessaire. Il suffit de terroriser à l’avance tout responsable politique qui prétendrait ne pas plier son peuple aux injonctions de la loi du marché…

À suivre (10)…
1974 – Quand l’Algérie de Houari Boumediène rêvait d’un monde de justice

Issa Diakaridia Koné


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