La Prusse, un exemple à suivre en matière d’enrégimentement de la classe ouvrière ?

par Christine Cuny

En France, la Révolution de 1830 s’était achevée sur la neutralisation de la fraction la plus révolutionnaire du peuple. Toutefois, le développement de la classe ouvrière, qui allait de pair avec celui de l’industrie, ne devait pas manquer d’apporter avec lui son lot de révoltes, voire d’insurrections, qui risquaient de renverser le nouveau régime politique fragile que la bourgeoisie avait enfin réussi à établir pour elle-même.

Les dominants sentaient donc l’impérieuse nécessité de cadrer, dès leur plus jeune âge, les enfants du peuple susceptibles, s’il l’on n’y parait pas, de devenir de futurs agitateurs. C’est ainsi qu’en 1831, un certain Victor Cousin est envoyé en Prusse par le gouvernement de Louis Philippe afin d’y aller voir ce qui est réalisé en terme d’instruction populaire. Dans la première lettre adressée le 28 mai de la même année au comte de Montalivet, ministre de l’Instruction publique et des Cultes, il écrit :
«  (…) je me charge de reconnaître moi-même, dans les moindres détails et à tous ses degrés, l’organisation de l’instruction publique dans le royaume de Prusse, ce pays classique des casernes et des écoles, des écoles qui civilisent les peuples et des casernes qui les défendent. »

Dans une seconde lettre adressée au même, le 31 mai 1831, il déduit du caractère pour lui exemplaire de ce qui est pratiqué dans le duché de Saxe-Weimar où les pères de famille sont sanctionnés par des peines sévères s’ils n’envoient pas leurs enfants à l’école, ou s’ils ne prouvent pas qu’ils leur font donner chez eux une instruction suffisante, que
« la mission de l’Etat est aussi de répandre la morale et les lumières ; de plus il a le droit et le devoir de protéger l’ordre moral au dedans comme au dehors ; et l’on ne peut nier que de tous les moyens d’ordre intérieur, le plus puissant ne soit l’instruction générale. C’est une sorte de conscription intellectuelle et morale. »

Dans une nouvelle lettre à Montalivet datée du 25 juin 1831, ne lâchant décidément pas le morceau, il s’enflamme quasiment pour l’exemple prussien …
« Le devoir est tellement national et enraciné dans toutes les habitudes légales et morales du pays, qu’il est consacré dans un seul mot, Schulpflichtigkeit (devoir d’école) ; il répond, dans l’ordre intellectuel, au service militaire, Dienstpflichtigkeit. Ces deux mots sont la Prusse toute entière : ils contiennent le secret de son originalité comme nation, de sa puissance comme Etat, et le germe de son avenir ; ils expriment, à mon gré, les deux bases de la vraie civilisation, qui se compose à la fois de lumières et de force. »

Voici donc qu’apparaît à l’horizon cette magnifique perspective de l’armée et de l’école désormais étroitement associées en vue d‘un même combat. La France (des possédants) sait donc désormais ce qu’elle a à faire ! Elle est d’ailleurs en bonne voie puisque, rappelle Victor Cousin,
« la conscription militaire, au lieu des enrôlements volontaires, a trouvé d’abord bien des adversaires parmi nous : elle est aujourd’hui considérée comme une condition et un moyen de civilisation et d’ordre public. Je suis convaincu qu’un temps viendra où l’instruction populaire sera également reconnue comme un devoir social imposé à tous, dans l’intérêt général. (…) »
A dire vrai, dans l’intérêt de la bourgeoisie française, Monsieur Cousin !

Dommage pour vous, car vous aurez manqué le meilleur… Pour ce qui est de la conscription militaire, il y aurait la fameuse loi des trois ans (25 mai 1913) qui serait couronnée moins d’un an après par le premier grand carnage de tous les temps, où des milliers de gentils Français, qui lorsqu’ils étaient petits avaient bien appris les leçons de morale dispensées par leur brave instituteur, tout en s’initiant, sous sa houlette, au maniement d’un fusil factice, ont fini par y laisser leur peau.

Ils l’ont fait pour la Patrie !, nous dit-on, c’est-à-dire, contre ces vilains Allemands que certains qui se prétendaient soucieux de l’intérêt général ne trouvaient finalement pas si mal …

Mais soucieux de l’intérêt de qui, en réalité, sommes-nous en droit de nous demander ?…

Christine Cuny


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