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Le 1er novembre 2004, Pierre Verluise, directeur de Diploweb.com s’entretenait avec Stefan Wilkanowicz, un intellectuel polonais, président de Znak, la Fondation pour la culture chrétienne. Leur discussion avait pour objet : « Les relations entre l’Union européenne élargie, l’Ukraine et la Russie. » L’interlocuteur était parfaitement choisi puisqu’il pouvait déclarer :
« Notre Fondation œuvre pour le développement de relations entre la Pologne et l’Ukraine. Nous avons créé fin 2003 à la frontière polono-ukrainienne un Institut appelé « Ponts vers l’Est », à Krasnik, près de Przemysl. C’est le fruit d’un soutien des Etats-Unis, notamment sur le plan financier. » (La Compil’ du diploweb, page 49)
Voilà qui est parfaitement clair. Vingt jours plus tard exactement, le coup d’envoi était donné à la révolution Orange en Ukraine…
Laissons Stefan Wilkanowicz nous redire, sous forme de question, à quel genre de manœuvre sa Fondation pensait pouvoir bientôt s’associer :
« Faut-il envisager une révolte de l’armée russe contre le KGB-FSB dont V. Poutine est une émanation ? Les militaires vivent une grande frustration : leur départ d’Afghanistan, les guerres en Tchétchénie… Il y a des cartes à jouer. » (La Compil’ du diploweb, page 51)
Souvenons-nous : au début d’août 1999, le prince des oligarques, Boris Berezovski, avait obtenu le déclenchement de la seconde guerre de Tchétchénie pour aider à porter au pinacle le général Alexandre Lebed qui, à la différence de ce Vladimir Poutine qui devait finalement lui griller la politesse, n’entretenait pas de rapports spéciaux – ni, pourrait-on dire, « charnels » – avec le KGB…
Or, un peu moins de six mois après l’élection à la présidence de la Fédération de Russie de celui qu’il avait très vite appris à redouter comme la peste, Boris Berezovski subissait le triste sort que la chronologie établie par Gilles Favarel-Garrigues et Kathy Rousselet fixe à la date du 1er novembre 2000 :
« Poursuivi par la justice russe dans le cadre de l’affaire Aeroflot, l’ »oligarque » Boris Berezovski, réputé pour avoir été l’éminence grise du Kremlin durant les dernières années de la présidence Eltsine, choisit de s’installer à Londres et de ne plus retourner en Russie. » (Favarel-Garrigues, page 471)
Une quinzaine de mois plus tard, nouveau coup dur pour celui qui avait su si bien fabriquer médiatiquement les élections présidentielles de 1996 finalement remportées par Boris Eltsine comme une divine surprise, et qui avait su, ensuite, accroître encore son empire de presse :
« Le 22 janvier 2002, la chaîne de télévision TV-6 que possédait Boris Berezovski depuis 1999 et dans laquelle la plupart des journalistes partis de NTV en avril 2001 ont trouvé refuge, est fermée sur décision judiciaire. » (Favarel-Garrigues, page 471)
Revenons à l’arrivée de Vladimir Poutine à la présidence de plein exercice de la Fédération de Russie et ajoutons à Berezovski l’un de ses compères, oligarque comme lui : Vladimir Goussinski.
Masha Gessen nous en fait un paquet :
« Trois mois après l’investiture, deux des hommes les plus fortunés du pays avaient été dépouillés de leur influence et diligemment éjectés du pays. Moins de un an après l’accession de Poutine au pouvoir, l’État avait pris le contrôle des trois réseaux de la télévision fédérale. » (Gessen, page 191)
De quel État s’agissait-il ? Qui le tenait ? Quelles étaient les forces qui avaient chassé le système gorbatchevo-eltsinien dans les poubelles de l’Histoire ?
Rappelons que Vladimir Poutine a été élu président de la Fédération de Russie le 7 mai 2000 et lisons Tania Rachmanova :
« […] dès le 14 mai, il signe un décret créant les sept super-régions – un huitième district fédéral du Nord-Caucase, regroupant plusieurs « sujets de la Fédération » , sera créé plus tard – nommant à leur tête ses représentants, dont cinq issus comme lui des services de sécurité (FSB, ex KGB) ou de l’armée. » (Rachmanova, page 177)
FSB et armée… Ce qu’il faudrait à tout prix dissocier, selon l’intellectuel polonais Stefan Wilkanowicz, qui préside, depuis fin 2003, Znak, la Fondation pour la culture chrétienne, dont il faut rappeler qu’elle est à capitaux états-uniens… Arrière, Vladimir Poutine !
Malheureusement pour les gens de cet acabit, en 2003 il était déjà beaucoup trop tard pour espérer avoir le moindre résultat dans cette manœuvre dont Vladimir Poutine s’était garanti dès la première seconde… Ce qui n’est pas le moindre de ses exploits, et des exploits de ses frères d’armes du KGB.
Pour mesurer cela, reprenons la situation au moment où Boris Eltsine a dû admettre, pour ne pas assister très vite à l’effondrement de l’État russe, qu’il lui fallait s’en remettre à l’ultime structure de sécurité de celui-ci, c’est-à-dire à l’ex-KGB, et à ce Vladimir Poutine qui en était désormais le délégué… Un délégué d’autant plus qualifié, qu’il avait passé les dernières années à s’initier, du côté de l’Administration présidentielle tout autant que du côté du FSB, aux structures étatiques de haut niveau et aux personnes qui les occupaient.
Comme l’écrit Tania Rachmanova :
« Il ne restait que dix mois avant la présidentielle… » (Rachmanova, page 103)
Ne perdons pas de vue cette césure possible entre l’armée et le FSB que le président Wilkanowicz de la Fondation pour la culture chrétienne chérira tout particulièrement en 2004 encore…
Et revenons au texte de Tania Rachmanova qui nous rapporte une démarche dont nous savons que Vladimir Poutine devait la répéter en Tchétchénie dès le soir de sa désignation comme président par intérim de la Fédération de Russie, le 31 décembre 1999. Elle survient, semble-t-il, en août-septembre :
« Quelques jours après sa nomination, il se rend dans les unités qui combattent au Daguestan : « Pour nous les militaires, m’a confié le général Chamanov, la visite de Poutine nous a prouvé qu’il était avec nous. Elle a été symboliquement très importante, il nous a remonté le moral. » » (Rachmanova, page 103)
N’en déplaise à Stefan Wilkanowicz…
« […] c’est un lieutenant-colonel du KGB qui rencontre les officiers de l’armée. » (Rachmanova, page 103)
Et c’est un général qui nous explique pourquoi, effectivement, la soudure s’est faite d’autant plus intensément qu’elle était plus naturelle entre des hommes qui renouaient enfin avec la visée d’une destinée commune et héroïque, celle qui – à travers les deux collectivités de travail et de dévouement que chacun d’eux représentait – leur venait, tout simplement, de l’État soviétique :
« Le plus important, explique Chamanov, c’était qu’il ait cosigné tous les plans militaires, ce que personne n’avait plus fait depuis Gorbatchev. Avant Poutine, les présidents nous donnaient des ordres oraux et refusaient ensuite sans le moindre scrupule d’en assumer la responsabilité. Dès sa première visite, j’ai vu que Poutine était un vrai homme d’État. Je le soutiendrai jusqu’à mon dernier souffle. » (Rachmanova, page 103)
Il faudra sans doute s’y faire : de l’ex-État soviétique.
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Michel J. Cuny