Le comte de Villiers de l’Isle-Adam rapporte :
« Approchez-vous des groupes, écoutez. Tout un peuple s’entretient de choses graves, pour la première fois on entend les ouvriers échanger leurs appréciations sur des problèmes qu’avaient abordés jusqu’ici les seuls philosophes. De surveillants, nulle trace ; aucun agent de police n’obstrue la rue et ne gêne les passants. La sécurité est parfaite. Autrefois, quand ce même peuple sortait aviné de ses bals de barrière, le bourgeois s’écartait, disant tout bas : Si ces gens-là étaient libres, que deviendrions-nous ? Que deviendraient-ils ? – Ils sont libres, et ne dansent plus. Ils sont libres, et ils travaillent. Ils sont libres et ils combattent. Quand un homme de bonne foi passe auprès d’eux aujourd’hui, il comprend q’un nouveau siècle vient d’éclore, et le plus sceptique reste rêveur. »
Dès avant la déclaration de guerre à la Prusse, à l’occasion d’un procès intenté à l’Internationale, Louis Chalain avait dit devant le tribunal (30 juin 1870) :
« L’expérience a appris aux classes ouvrières qu’elles ne devaient compter que sur elles-mêmes ; et c’est là l’idée mère de l’Internationale… Ce que veut le peuple, c’est d’abord le droit de se gouverner lui-même sans intermédiaire et surtout sans sauveur ; c’est la liberté complète... »
C’est bien ce que traduira la « Commune ». Dans un article du Fédéraliste des 21-22 mai 1871, on pourra lire :
« Ce qui constitue l’originalité propre du mouvement actuel, c’est qu’il est l’oeuvre, non de quelques individualités saillantes en qui il se résume, mais de la masse de la population. Comment ceux qui raillent si volontiers l’obscurité de tous les dépositaires du pouvoir communal ne s’aperçoivent-ils pas que c’est cette obscurité même, cette absence de tout prestige personnel chez les chefs qui attestent la force et la vitalité de la révolution ? »
L’avènement politique du prolétariat
Une affiche apposée à l’intérieur du palais des Tuileries clamait :
« Peuple ! l’or qui ruisselle sur ces murs, c’est ta sueur. »
Quelles sont donc les exigences que recouvre ce cri ? Dans le journal La Sociale du 31 mars 1871, il était bien dit :
« C’est le droit à l’outil que nous voulons. C’est la réforme de l’exploitation industrielle. Nous l’avions assez appelée par les grèves, par les sociétés coopératives, par l’Internationale ! Et nous l’aurons !… »
Le 11 avril, un « Appel aux citoyennes de Paris » est publié dans le Journal Officiel :
« Pas de devoirs sans droits, pas de droits sans devoirs. Nous voulons le travail, mais pour en garder le produit. Plus d’exploiteurs, plus de maîtres. Le travail et le bien-être pour tous. Le gouvernement du peuple par lui-même... »
Aux Versaillais qui parlent de pillage, le journal La Révolution politique et sociale répond :
« Le vieux monde s’écroule… L’aube apparaît… Et nous, les partageux, las enfin de travailler devant votre oisiveté, nous allons partager avec vous, non point votre or inutile, – éternelle calomnie, – mais notre travail indispensable. Frères du monde entier, notre sang coule pour votre liberté, notre triomphe est la vôtre, debout, debout tous ! Voici l’aube ! »
Auguste Vermorel écrivait, cette fois dans l’Ami du Peuple, à la fin du mois d’avril :
« Nous ne combattons pas pour le pouvoir ; nous combattons pour le droit, pour le droit du peuple. »
« La révolution du 18 mars consacre l’avènement politique du prolétariat, comme la révolution de 1789 a consacré l’avènement politique de la bourgeoisie. »
Casimir Bouis traduisait bien l’espoir de tous ces gens d’en finir avec la misère quand il disait dans Le Cri du Peuple :
« Nous voulons vivre à la fin… Nous avons été les déshérités éternels, nous autres. Nous sommes ce peuple d’exploités, qui pendant six mille ans, a saigné sur tous les chemins, râlé sur tous les calvaires, et nous avons à prendre notre revanche – la revanche de la justice. »
Cela se paierait dans le sang.
Michel J. Cuny
(Ce texte est extrait de l’ouvrage de Michel J. Cuny – Françoise Petitdemange « Le feu sous la cendre – Enquête sur les silences obtenus par l’enseignement et la psychiatrie » – Editions Paroles Vives 1986, qui est accessible ici.)