Comment Vladimir Poutine et Anatoli Sobtchak ont vécu la rupture officielle du KGB avec la dérive gorbatchévo-eltsinienne

Nous avions vu qu’en accord avec Boris Eltsine, Mikhaïl Gorbatchev envisageait de donner un fort coup de balai dans les sommets de l’État soviétique en anticipant quelque peu sur les étapes initialement fixées à travers la modification du schéma institutionnel de l’U.R.S.S.

La provocation était trop grosse pour ne pas susciter une réaction du KGB, en particulier. C’est ce qui se produisit à travers le putsch du mois d’août 1991, dont nous avons vu qu’il engageait toute une série de hauts responsables hostiles au démantèlement, prévisible selon eux – et apparemment invisible pour un Gorbatchev -, de l’Union soviétique

Ce coup d’État, qui n’a duré que quelques dizaines d’heures, n’aura été – pouvait-il sembler à l’époque – qu’un baroud d’honneur. En fait, il s’agissait de tester la population, et de manifester officiellement une défiance en présence de tout ce qui menaçait de se produire dans le prolongement de la perestroïka (privatisation) et de la glasnost (libération de la parole).

Mais au-delà de sa volonté de préserver le futur en se démarquant de ce qu’ils pressentent comme une catastrophe désormais inévitable, le KGB et les responsables politiques qui se rassemblent autour de lui n’ignorent rien, ni de la fragilité de leur position, ni des forces qui gravitent autour de Mikhaïl Gorbatchev, de Boris Eltsine, et jusque dans la dimension internationale.

Partie prenante de ce moment de l’histoire de son pays, même s’il ne s’agissait pour lui de n’y tenir qu’un rôle subalterne, Vladimir Fédorovski nous apporte une information que les putschistes n’ignoraient vraisemblablement pas eux-mêmes :
« L’opposition démocratique disposait en effet d’une taupe au sein du KGB. Par ses soins, les réformateurs furent informés qu’un coup de force se fomentait. » (Fédorovski, page 54)

Dans une note, le témoin passe même directement aux aveux personnels :
« Le maire de Moscou, Popov, eut une conversation à ce sujet avec l’ambassadeur américain en URSS Metlock et en avisa Boris Eltsine. Yakovlev, idéologue de la perestroïka, en parla plusieurs fois à Gorbatchev. J’ai personnellement transmis cette information à Sobtchak. » (Fédorovski, page 54)

Anatoli Sobtchak… Aurait-il pu éviter lui-même d’en dire un mot à Vladimir Poutine ?…

poutine-sobtchak

Anatoli Sobtchak  –  Vladimir Poutine

Finalement nous découvrons, à travers le témoignage de cet initié que pouvait être Vladimir Fédorovski, que, si tragique qu’il ait pu paraître sur le coup, le putsch relevait, au plus haut niveau de l’État soviétique, du secret de Polichinelle :
« Personne n’ignorait donc qu’un coup d’État se préparait : Eltsine, Gorbatchev, Sobtchak, les Américains… » (Fédorovski, page 54)

Or, aussi peu destiné à avoir quelque résultat que ce fût dans un contexte de bouleversement complet des esprits, l’événement en cours exigeait d’être dénoué au moindre coût possible. Du côté de Boris Eltsine, on feint tout d’abord de croire au caractère matériellement sérieux de l’affaire. Tour à tour, Vladimir Fédorovski affirme :
« La machine stalinienne était prête à tourner » et « Sur les sept mille réformateurs que le KGB prévoyait d’incarcérer, pas un seul ne fut arrêté. » (Fédorovski, page 55)

En réalité, les choses sérieuses se passent ailleurs. Elles sont organisées de telle façon qu’en l’absence forcée de Mikhaïl Gorbatchev, Boris Eltsine puisse apparaître comme un véritable sauveur, devant les caméras étrangères, juché qu’il est sur un char…

Or, ayant déclaré aux yeux du monde entier son refus de poursuivre dans la direction prescrite par Mikhaïl Gorbatchev, la rébellion gouvernementale ne fait plus le moindre pas en avant. Ainsi Xavier Moreau peut-il écrire :
« Les « putschistes » prennent d’ailleurs contact avec Boris Eltsine dès le 19 août pour trouver une solution. L’entourage de ce dernier le pousse à tenir tête au GKTchP. Il se rend alors à la « maison blanche » où se tient le Parlement et s’oppose ouvertement au comité d’urgence le 20 août. Le 21 août, après une nuit de manifestations où sont morts trois jeunes Russes, les « putschistes » reconnaissent leur défaite et sont arrêtés sur ordre de Boris Eltsine, le nouvel homme fort. » (Moreau, page 27)

Il reviendrait à Evgueni Primakov et à Vladimir Poutine de reprendre l’affaire à cet endroit précis quelques années plus tard…

Mais, grâce à Masha Gessen, faisons maintenant un petit crochet par Leningrad au moment où le putsch avait éclaté :
« Sobtchak, le maire, était absent, et personne ne savait comment le joindre. » (Gessen, page 124)

La suite nous projette immédiatement dans le camp opposé au KGB, puisque c’est ici qu’il faut alors venir pour retrouver Anatoli Sobtchak :
« Celui-ci avait passé la matinée dans la datcha de Boris Eltsine, aux environs de Moscou. Le président russe avait convoqué tous les démocrates de quelque importance présents dans la capitale. » (Gessen, page 124)

C’est dire que, pour Boris Eltsine, le maire de Leningrad était un des siens… et peut-être des plus éminents… Mais, alors, Vladimir Poutine, lui-même ?…

Laissons à Masha Gessen le soin de nous en dire plus :
« Les agents du KGB reçurent alors l’ordre d’encercler la datcha d’Eltsine. Ils le virent entrer chez lui et en ressortir, mais ne reçurent jamais le commandement définitif de l’appréhender. » (Gessen, pages 124-125)

Ni d’appréhender ses « affidés »… Voici donc Anatoli Sobtchak qui s’apprête à rentrer chez lui, où, avec d’autres, Vladimir Poutine l’attend. Mais, nous dit encore la journaliste :
« […] avant de quitter Moscou, Sobtchak appela Leningrad et donna ordre aux forces spéciales de la police de bloquer toutes les entrées et toutes les sorties de la station de télévision de Leningrad. On ignore s’il prit cette mesure avant ou après avoir téléphoné au conseil municipal. Toujours est-il que c’est pour cette raison que Salié et ses compagnons ne purent accéder aux locaux de la télévision. » (Gessen, page 125)

Marina Salié était, elle, une « démocrate » passionnée… La voici donc censurée… et ses camarades « démocrates » avec elle.

Anatoli Sobtchak ne s’en tient d’ailleurs pas là :
« […] il se rendit au siège du district militaire de Leningrad pour s’entretenir avec le général Samsonov. […] une réunion de travail du GKTchP venait de commencer dans le bureau de Samsonov. » (Gessen, page 125)

Le GKTchP, c’est tout simplement… le putsch…

Voici donc Masha Gessen contrainte d’émettre l’hypothèse d’une duplicité qui lui paraît avérée :
« En fait, Sobtchak avait choisi une ligne de conduite très différente de celle de ses collègues de Moscou et d’autres villes : une fois de plus, il avait ménagé ses arrières en créant une situation qui le mettrait à l’abri si les conservateurs l’emportaient, sans lui faire perdre son image de démocrate dans le cas où ils perdraient. » (Gessen, page 125)

Et pendant ce temps, Vladimir Poutine

Nous en reparlons dès la prochaine occasion.

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Michel J. Cuny

 


4 réflexions sur “Comment Vladimir Poutine et Anatoli Sobtchak ont vécu la rupture officielle du KGB avec la dérive gorbatchévo-eltsinienne

  1. @Michel

    J’ai bien entendu, lu votre article, et je dois reconnaitre le travail absolument formidable que vous avez effectué sur le sujet. Cependant permettez Michel, je ne suis pas vraiment de votre opinion.
    Les Sobchak, Gorbatchev, et autres Yeltsine, Poutine, Khorovski, Abrahamovic, etc…où je ne sais quels journalistes, sont des figurants d’une pièce dont nous ne connaitrons jamais de notre vivant les intrigues. La petite ordure Fedorovski peut parler, certes, mais il est, et restera un néo libéral dans l’ame. Lui où Jim Baker, Kissinger, Tillerson, etc…honnetement, je ne vois pas la difference. C’est surement pas lui qui va nous apprendre quelque chose. Quand aux analyses du Mister Moreaux, ça vaut ce que ça vaut…C’est peut être un bon parachutiste, mais à part ça, il ferait mieux de se taire par moment.
    Le réel pouvoir en Russie il est économique, pour cela il suffit de lister ceux qui ont le pouvoir économique actuel et comparer ce qu’ils étaient du temps de l’URSS. Vous y verrez une forte empreinte du KGB. M’enfin passons…

    La grande inconnue de l’histoire de 1991 étant la position incroyablement suspecte de l’armée rouge. C’était le pillier du régime, et c’est les hauts gradés militaires soviétiques qui ont permis la fin de l’URSS. Faut pas se voiler la face.
    Si l’armée rouge avait dit non, et les chars soviétiques étaient sortis, l’affaire aurait été entendue en moins de quelques jours. A l’époque personne ne pouvait s’opposer à l’armée rouge, pas meme les USA. Pourtant les militaires soviétiques n’ont pas bougé. Pourquoi ?

    Partant de là le restant n’est que barattin, et comerages. Que Sobchak glosait dans une chambre à Leningrad et que Poutine était à l’autre bout de la ville dans un restaurant chic qu’es ce que ça peut m’apporter ? Une chose est certaine c’est pas des journalistes qui vont m’apprendre quelque chose. Ceux qui peuvent m’informer sont soit morts, soit au pouvoir.

    Une chose est certaine, la vérité on est pas pret de la connaitre un jour. Ceux qui ont pris une part active au démantelement de l’URSS s’ils sont mouillés, ils n’en diront jamais mots. Quand à ceux qui s’y étaient opposés, ils sont morts et oubliés depuis longtemps.
    1991 a changé la face du monde, l’impact fut énorme. Dans ce contexte, espérer entrevoir une lueur de vérité emanant d’un journaliste, où de Fedorovski, où qui sais je, c’est faire preuve de naiveté, et la certitude qu’on a rien compris au film.

    Je ne prétends pas tout savoir, loin s’en faut, comme tout le monde je peux me tromper et dire n’importe quoi. Mais les évenements de 1991 seront une grande inconnue dans l’histoire et pour trés longtemps.

    Cordialement.

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  2. Je rejoins le commentaire de Foxhound, partiellement et notamment pour ce qui concerne ce monsieur Fedorovski. C’est un pur renégat du système, élevé dans et grâce au pays des soviets, et même ayant été promu par la clique gorbatchévienne diplomate des temps de la perestroïka (ou plutôt – CATATROIKA). Ses écrits ne peuvent, selon mon humble opinion, constituer une référence, il tapa tous les leaders, homme politiques de l’URSS/ Russie, de Lénine jusqu’à Poutine. Pour lui, ils sont tous presque des dictateurs rouges de  »l’empire du mal » !
    Preuve : relisez son livre propagandiste trompe-l’œil : Vladimir Fedorovski, le fantôme de Staline, éditions du rocher, 2007.
    Des passages identiques, plus au moins à ceux reliés par vous, Michel, mais qui qui disent à mon sens, beaucoup trop pour ne RIEN dire de véridique !

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    1. Merci pour votre très bon commentaire, Youn. Je partage entièrement votre avis à propos de Fédorovski. Je profite tout simplement du fait qu’il a été dans l’entourage immédiat de Brejnev : à travers lui, il est possible de bien comprendre le pourrissement du système soviétique avant la reprise en main par Vladimir Poutine. Vous verrez que toute la série des articles que j’ai écrits sur ces questions s’appuie de préférence sur des auteurs qui sont opposés à Vladimir Poutine : c’est justement pour montrer que même ses adversaires livrent des éléments qui vont dans son sens.
      De la même façon, j’ai beaucoup étudié Staline à partir des textes qui prétendent démontrer ses crimes : une analyse précise permet de voir que toutes ces accusations sont sans aucun fondement.
      Vous trouverez des éléments de mon travail dans ce site : https://josephstalineetlesjuifs.wordpress.com/accueil/actualites/
      A bientôt.

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