Nous avions laissé Vladimir Poutine au moment où, à la fin de l’année 1989, il avait reçu une offre de venir travailler auprès d’Anatoli Sobtchak, le président du soviet de Leningrad.
Anatoli Sobtchak (1937-2000)
Avant d’accepter, il lui semble nécessaire de donner une certaine clarté à sa situation personnelle : « J’objectai que j’étais toujours membre du KGB et que Sobtchak ne le savait pas. Je dis à ma direction du KGB : « Anatoli Alexandrovitch me propose de quitter l’université pour travailler avec lui. Si c’est impossible, je suis prêt à démissionner. » Mais ils ne firent aucune objection. Formellement, je figurais donc dans les organes de sécurité, mais je ne me montrais pratiquement pas au siège de la direction. Tout était en état de décomposition. Finalement, pour éviter les tentatives de chantage, je décidai de démissionner du KGB. Ce fut la décision la plus difficile de ma vie. » (Rakhmanova, pages 83-84)
La réalité est sans doute un peu plus complexe. Reprenons tout d’abord ce que Vladimir Fédorovski dit, dans le livre qu’il a consacré à Vladimir Poutine, de cette arrivée d’un membre des services secrets auprès du maire de Léningrad :
« Quant aux chefs du KGB, ils n’y virent aucun inconvénient, puisque l’un des leurs allait se retrouver infiltré dans l’entourage direct d’une grande figure du mouvement démocratique. » (Fédorovski, page 50)
Avant de préciser ce qu’il faut entendre à travers ces tout derniers mots, il est important de signaler que la démission de Vladimir Poutine n’est jamais véritablement arrivée à destination… Que lui-même l’ait su ou pas, il y a fort à parier que, pour sa part, son nouveau patron, Anatoli Sobtchak, n’avait pas posé cette démission comme une condition sine qua non…
Quoi qu’il en soit, voici Vladimir Poutine plus ou moins en vacance du KGB comme de la faculté de droit. Suivons maintenant les explications fournies par Tania Rakhmanova :
« Il entre bientôt à la mairie de Leningrad, sa ville natale, auprès du maire réformateur, Anatoli Sobtchak, son ancien professeur de droit. Il y préside le comité aux relations extérieures, chargé notamment d’attirer les investissements étrangers. » (Rakhmanova, page 84)
Pour avoir déjà évoqué ce que Vladimir Poutine avait encore en tête lorsqu’il a rédigé, 10 ans plus tard, le texte programmatique qu’il a diffusé sur le site de la présidence du gouvernement le 31 décembre 1999, nous savons que ce dernier point l’a longtemps préoccupé. En effet, il y écrira :
« Nous n’avons pas de temps pour une croissance lente. Par conséquent, nous devons faire de notre mieux pour attirer le capital étranger dans notre pays. » (Pons, page 355)
Bien qu’elles ne doivent nous conduire que dans une impasse, suivons encore quelques-unes des explications que nous fournit cette grande adversaire de Vladimir Poutine qu’est Tania Rakhamanova :
« Après l’effondrement de l’URSS en décembre 1991, qu’il qualifiera plus tard de « pire tragédie du XXe siècle », Poutine, comme beaucoup de ses collègues de l’appareil de sécurité, apprend très vite les lois du marché qui, dans la Russie des années 1990, s’apparentent souvent à la loi de la jungle. » (Rakhmanova, page 84)
Les aura-t-il apprises pour les combattre ? ou pour les utiliser à son profit personnel ?
Pour sa part, Tania Rakhmanova ne paraît pas hésiter une seule seconde :
« Et après la défaite d’Anatoli Sobtchak aux élections municipales de 1996, comme on l’a vu, il se fait admettre à Moscou au sein du clan Eltsine. Deux ans plus tard, en juillet 1998, il prend la tête du FSB, le Service fédéral de sécurité qui a succédé au KGB : une ascension fulgurante, passant par les antichambres et datchas des hauts fonctionnaires et oligarques, les hommes d’affaires proches du pouvoir qui se sont enrichis lors des privatisations. » (Rakhmanova, page 84)
Ici, aucun doute pour la journaliste que nous suivons : Vladimir Poutine aura complètement basculé, du KGB et du soviétisme, à l’affairisme échevelé de la période eltsinienne et à sa pléiade d’oligarques… jusqu’à, peut-être, en devenir un lui-même… ce qu’il pourrait bien encore être aujourd’hui…
Nous savons, par ailleurs, qu’elle n’est pas seule à aller dans cette direction, puisqu’une de ses collègues, Masha Gessen, a choisi, elle, de voir en Vladimir Poutine un oligarque à 40 milliards de dollars !…
Et cependant, c’est chez cette dernière que nous pouvons découvrir un début d’explication qui va nous conduire sur une tout autre piste – et ceci, sans doute malgré elle… Tentant de mieux cerner la personnalité d’Anatoli Sobtchak, l’homme auprès de qui le KGB a délégué Vladimir Poutine en 1989, elle écrit…
« Bien qu’appartenant au Groupe interrégional de Sakharov au Soviet suprême, Sobtchak était en réalité beaucoup plus conservateur que les informels qui le rappelaient à Leningrad. » (Gessen, page 104)
Autrement dit, l’intelligentsia de Leningrad, rangée sous la double bannière de la perestroïka et de la glasnost gorbatchéviennes avait cru trouver, en lui, l’homme qu’il lui fallait. En réalité, nous dit notre journaliste amie de l’oligarque Berezovski, Anatoli Sobtchak était bien plus « soviétique » qu’il n’y paraissait. En veut-on une preuve ?
« Et, dans une ville divisée que les nouveaux hommes politiques démocrates appelaient de plus en plus souvent par son nom historique de Saint-Pétersbourg, il se déclarait hostile à ce changement, affirmant que le nom de Leningrad rappelait mieux la bravoure militaire dont la ville avait fait preuve. » (Gessen, page 104)
Il vient même à Masha Gessen cette idée dont nous avons vu que Vladimir Fédorovski l’avait suffisamment étayée pour que nous acceptions de la faire nôtre :
« On peut évidemment se demander si Sobtchak ne se trompait pas en pensant qu’il avait choisi librement son officier traitant. Un ancien collègue de Poutine en Allemagne de l’Est m’a dit que, en février 1990, ce dernier avait rencontré le général Iouri Drozdov, chef de la direction du renseignement illégal du KGB, lors de sa visite à Berlin : « Cette rencontre ne pouvait avoir qu’un but : indiquer à Poutine sa prochaine mission », m’a affirmé Sergueï Bezroukov, passé en Allemagne en 1991. » (Gessen, page 110)
Une chose nous semble désormais assurée : c’est effectivement la longue histoire du KGB (NKVD, Guépéou, Tchéka) qui est réapparue, dès le 1er janvier 2000, au plus haut niveau de l’État russe, à travers la personne de Vladimir Poutine.
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Michel J. Cuny
A reblogué ceci sur josephhokayem.
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