A la fin de l’Ancien Régime, le secteur le plus brillant, celui qui semblait devoir entraîner toute la machine, était le secteur du commerce maritime et colonial. Hormis chez les banquiers d’origine protestante comme Necker, Louis XVI n’avait pu, pour sauver les finances du royaume, trouver des appuis que chez les armateurs, négociants, de Nantes, de Bordeaux, de La Rochelle, etc… C’est dire leur richesse. Celle-ci résultait de l’exportation de vins, de blés, de toiles et de cotonnades, mais surtout de ce que l’on a appelé le commerce triangulaire.
En échange de fusils, d’eaux-de-vie et de pacotille, on s’emparait, dans le Golfe de Guinée, de Noirs qui étaient ensuite transportés aux Iles, comme aux Antilles par exemple, d’où les navires revenaient chargés de sucre, de café, de cacao, de tabac, d’indigo et de coton. Par arrêt du Conseil du roi, en date du 26 octobre 1784, les armateurs s’étaient vu octroyer des primes pour l’importation des Noirs aux Antilles. Dans ce type d’activité, les bénéfices pouvaient atteindre parfois 300 et même 400 %. Pour les Nantais Chaurand et Delaville-Deguer, ils s’établissaient – et c’est dans ce cas une moyenne – à 60 ou 80 %.
Les importants revenus recueillis par les armateurs étaient utilisés à des achats de terres ou à des investissements industriels à proximité des ports : sucreries, savonneries, ou bien, comme à Montauban – qui dépendait de Bordeaux – minoteries, draperie et soierie. Il en allait de même dans le Dauphiné où la production de soies moulinées s’était accrue en poids de 400 % entre 1730 et 1767. P. Léon écrit :
« Le haut commerce grenoblois, celui des drapiers, des toiliers, des épiciers et des merciers, ne vit et ne prospère que par Saint-Domingue, où certains de ses membres ont d’énormes intérêts. »
Il ajoute, à propos des Dolle et des Raby, qu’ils sont…
« propriétaires de plantations et d’esclaves, exportateurs par Beaucaire ou par Bordeaux, de produits fabriqués dauphinois, importateurs de sucre et de rhum, mécènes locaux, propriétaires d’un des plus beaux domaines de la ville... »
La libération du commerce international
Ces grands négociants étaient bien sûr partisans de la liberté du commerce, et donc opposés au système qui sous l’Ancien Régime était la règle : les privilèges accordés par le roi. Créée par privilège royal en 1722, la Compagnie des Indes avait été dissoute une première fois en 1770, puis rétablie par le ministre Calonne en 1785. Après quelques mois de Révolution, les négociants obtiennent enfin gain de cause. Le décret du 3 avril – 2 mai 1790 déclare :
« […] le commerce de l’Inde au-delà du cap de Bonne-Espérance est libre pour tous les Français. »
De la même façon, le 18 janvier 1791, le commerce du Sénégal est rendu libre ; et le 22 juillet de la même année, Marseille perd son privilège pour le commerce des Echelles du Levant et de Barbarie.
Mais le principe du « laisser faire, laisser passer » a pour la bourgeoisie une limite qui est celle de ses intérêts. C’est pourquoi la production nationale bénéficia dès le 2 mars 1791 d’une protection douanière portant, à l’entrée, sur certains produits textiles, à la sortie, sur quelques matières premières mais surtout sur les grains. Quant au tarif du 18 mars 1791, il interdisait aux colonies tout commerce avec des pays autres que la France.
Nous venons ainsi de voir quelques effets immédiats de la… Révolution bourgeoise de 1789.
Michel J. Cuny
(Ce texte est extrait de l’ouvrage de Michel J. Cuny – Françoise Petitdemange « Le feu sous la cendre – Enquête sur les silences obtenus par l’enseignement et la psychiatrie » – Editions Paroles Vives 1986, qui est accessible ici.)
A reblogué ceci sur josephhokayem.
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