Le jour même – 31 décembre 1999 – où Boris Eltsine annonçait sa démission de la présidence de la Fédération de Russie et son remplacement, le temps d’un intérim, par Vladimir Poutine, celui-ci publiait sur le site officiel du gouvernement dont il était encore le Premier ministre un article qu’il avait intitulé : « La Russie au tournant du millénaire. »
Ce texte va nous permettre de faire le point sur l’état de la réflexion du nouvel arrivant au sommet de l’Etat russe à ce moment précis. Nous comprendrons mieux le sens profond de son évolution ultérieure. Pour nous engager dans cette réflexion, je m’appuierai ici sur la traduction que fournit Frédéric Pons du texte original.
Une première phrase va retenir immédiatement notre attention :
« Nous récoltons aujourd’hui le fruit amer, à la fois matériel et psychologique, des dernières décennies. » (page 343)
De combien de décennies Vladimir Poutine estime-t-il devoir remonter dans le temps pour atteindre le moment où il y aura eu, peut-être, un dérapage ? Nous en sommes d’abord réduits aux hypothèses. N’aurait-il pas pu dire : depuis près d’un siècle, et viser ainsi tout particulièrement la révolution bolchevique de 1917 ?
Il semble que cette hypothèse soit à exclure immédiatement, sinon, à quoi bon ne compter qu’en décennies, et pour n’en retenir que les « dernières » ?
A l’autre bout de l’échelle du temps, faudrait-il croire que Vladimir Poutine voulait mettre en cause le règne de Boris Eltsine, c’est-à-dire – en gros – les années 1990 dans leur totalité ?… En y ajoutant, peut-être, la demi-décennie de Mikhaïl Gorbatchev : 1985-1990 ?
A nouveau, l’utilisation de la formule des « dernières décennies » paraît mal ajustée, s’il ne doit s’agir que d’une décennie et demie.
Si nous voulons pousser la réflexion un peu plus loin, nous pouvons songer à la grande rupture qui est survenue en 1953 avec la disparition de Joseph Staline (5 mars 1953) et le rapport dans lequel Nikita Khrouchtchev allait s’efforcer, dès 1956, de ruiner sa réputation – une réputation qui, jusqu’alors était exceptionnelle, et jusqu’au plan mondial. Or, il est vrai qu’à la veille de l’entrée dans l’an 2000, ce moment-là se trouve effectivement à l’autre bout de ce que l’on peut qualifier de « dernières décennies »…
Mais pourquoi donc, si cette hypothèse est la bonne, Vladimir Poutine n’a-t-il pas déclaré tout de go que tout le mal venait de la renonciation, après la mort de Joseph Staline, à la ligne politique léniniste qui avait conduit l’Union soviétique à faire triompher la cause ouvrière et paysanne sur une zone géographique sans cesse croissante… et que cela se soit produit sur le terrain ou dans les esprits et les cœurs ?…
C’est que, tout simplement, il n’y avait plus d’Union soviétique… Il ne restait que la Fédération de Russie… Vladimir Poutine ne pouvait plus s’exprimer qu’en sa qualité de président par intérim de cette Fédération qui ne pouvait alors avoir d’autre objectif que d’arrêter une invraisemblable hémorragie qui menaçait de la laisser elle-même sur le carreau, et ceci, à très brève échéance.
Souvenons-nous : en ce temps-là les vautours occidentaux se portaient très bien… Et si, aujourd’hui, ils commencent à trembler alors que l’essentiel de ce qu’ils croyaient pouvoir se partager a déjà échappé à leurs doigts crochus, serait-ce qu’il y a dans les mains de Vladimir Poutine une force demeurée fondamentalement soviétique ?
Mais, alors, de quoi peut-il s’agir ?
Michel J. Cuny
NB : Pour entrer davantage dans la réflexion conduite ici, et l’étendre à des questions bien plus vastes, je recommande que l’on s’inscrive dans le groupe « Les Amis de Michel J. Cuny » sur Facebook.