14. La Mecque المكة d’avant le Prophète

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14
La Mecque 
المكة d’avant le Prophète

Dans la période préislamique, La Mecque (ou al Makka ou la Mekke) était l’une de ces villes où prose marchande et poésie déclamée s’entrechoquaient. Les linguistes, Henriette Walter et Bassam Baraké, écrivent à ce propos : « Dès avant l’islam, les tribus arabes se réunissaient périodiquement dans des foires, qui étaient des sortes de grandes fêtes où se mêlaient marchands et poètes. La foire la plus importante se tenait à La Mecque et s’appelait « le Marché de ‘Ukaz ». Elle était située stratégiquement sur la route des épices, au centre de l’Arabie occidentale. Les gens s’y rassemblaient pour acheter, vendre ou troquer leurs marchandises. Mais ‘Ukaz était célèbre pour une autre raison, moins mercantile. C’était l’occasion de joutes oratoires et de concours poétiques. À l’issue de ces concours, on jugeait les poètes : le meilleur avait le grand honneur de voir son poème écrit en lettres d’or et suspendu aux murs de la Kaaba, une construction actuellement au centre de la mosquée de La Mecque. » [Henriette Walter, Bassam Baraké, Arabesques : L’aventure de la langue arabe en Occident, Robert Laffont/Éditions du temps 2006, non paginé en version PDF.] Dans une civilisation où la tradition orale l’emportait sur le support écrit, le poème à célébrer entre tous aurait-il eu plus de valeur d’être figé sous les regards rivés aux murs – fussent-ils ceux de la Kaaba – plutôt que d’être transmis de bouche à oreille ? Certain(e)s enseignant(e)s-chercheurs(euses) comme Katia Zakharia, ont émis des doutes sur la question car la Kaaba n’a pas conservé les témoignages écrits de ces joutes poétiques qui, s’ils ont existé, n’ont pu qu’être éphémères.

Il n’en demeure pas moins que les poètes arabes ont eu, jusqu’au cœur du VIIIème siècle, des récitants, des diffuseurs, des transmetteurs qui faisaient vivre la poésie par leurs voix et qui pouvaient être eux-mêmes poètes. La poésie, grâce à la fixation d’un « corpus » fait de textes très différents mais liés par un thème commun qui pouvait évoquer l’amante lointaine ou l’amant mort au combat, a trouvé une sorte de pérennité du VIIIème au XIIIème siècles. Avec un certain décalage temporel, dans le royaume de France composé d’un domaine royal très limité autour de Paris, de marquisats, de comtés et de duchés, les troubadours et les trobairitz de l’Occitanie des XIème-XIIIème siècles et les trouvères et trouveresses du Nord de la France des XIIIème-XIVème siècles confieraient leurs textes à des jongleurs qui se déplaceraient de villes en villages, s’arrêteraient sur les places publiques, et iraient d’un château à un autre en échange du gîte et du couvert, ou à des ménestrels attachés à un seigneur, chargés de mettre leurs textes en musique.

Cependant, malgré la prévalence de la culture orale, des traces écrites ont franchi les siècles d’une forme poétique ancienne, en langue arabe, datant des Vème et VIème siècles. L’évolution de l’écriture de la poésie dans les pays arabes a pu suivre son cours parce que les Badawi, بَدَوِي (habitants du désert), les Bédouins avaient, pour se comprendre entre humains de diverses provenances, tout particulièrement œuvré à l’évolution de leurs parlers dialectaux vers une langue arabe commune… « Bien que l’histoire de l’ancien arabe et de son évolution avant l’islam soit mal connue, les découvertes archéologiques et les ouvrages des grammairiens des IXème et Xème siècles ap. J.-C. permettent d’établir que l’arabe de l’époque préislamique est né de la fusion de plusieurs dialectes. Ces grammairiens avaient ainsi construit un idiome commun aux différentes tribus, en constatant que chacune d’entre elles s’efforçait d’atténuer les particularités de son propre idiome afin d’être comprise des autres tribus. » [Idem.]

Les Badawi ont été, non seulement à l’origine de la langue arabe, mais aussi, en tant que tels, des référents essentiels pour les grammairiens… « Ce qui est remarquable et peut-être unique dans l’histoire des langues, c’est que les tribus arabes ont très longtemps été considérées comme porteuses de la norme à suivre : les grammairiens arabes, pendant des siècles, se rendaient en effet chez les bédouins pour étudier la façon de parler de ces derniers et pour découvrir le fonctionnement de l’arabe dans sa pureté première. De même, les jeunes poètes faisaient des séjours dans les oasis pour enrichir leur connaissance de cette langue auprès des caravanes de nomades de passage. » [Idem.] Dans le royaume de France, des troubadours et des trobairitz, puis des trouvères et des trouveresses, les parlers dialectaux durent s’effacer devant la langue françoise. Le françois ne vint pas en douceur à partir des usages du peuple mais il fut imposé par un roi de la dynastie valoise : François 1er (1494-1547), roi de France de 1515 à 1547, voulut et exigea, par l’ordonnance de Villers-Cotterêts datée du 15 août 1539, l’usage du françois comme langue officielle… à la place du latin. Il faudra encore du temps avant que le françois ne soit en usage dans le peuple et encore du temps pour qu’il devienne le français. Mais cela est une autre histoire…

Plus prosaïque, La Mecque était un lieu de rassemblement annuel où les tribus préislamiques discutaient de la vie sociale : commerce et politique faisaient naturellement partie de leurs sujets de prédilection. Elle était un point de ralliement des caravanes : les Badawi, qui appartenaient aux tribus des alentours, parcouraient les étendues désertiques avec leurs troupeaux de caprins, d’ovins et, surtout, de camélidés à la recherche d’épineux ; chameaux et dromadaires surnommés “les navires du désert”, indispensables pour le transport des hommes et des marchandises sur des centaines de kilomètres, à travers les espaces d’autant plus brûlants, le jour, qu’ils sont très frais, la nuit, participaient, de façon importante, à l’économie des pays arabes mais aussi des pays voisins ; leurs lentes pérégrinations incitaient les Badawi à voir dans chaque pierre, dans chaque arbre… un objet sacré faisant partie d’un tout universel. Ville de la Péninsule arabique, La Mecque devait une grande part de sa prospérité au commerce caravanier : elle avait un caravansérail (lieu de repos pour les voyageurs et les animaux et d’entrepôt pour les marchandises), et à son sanctuaire, la Kaaba (le Cube), objet de culte et de rites de pèlerinage annuel immémorial.

À cette époque, l’Arabie faisait la jonction entre deux puissances politiques : l’Empire byzantin chrétien ou Empire romain d’Orient (330-1453) et l’Empire perse sassanide ou Empire iranien ou Empire des Aryens (224-651).

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Carte de l’Arabie au VIIème siècle

Françoise Petitdemange
3 décembre 2016

Suite : 15 L’hénothéisme au temps des grands villages ou des premières cités 


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