De Gaulle parti le 20 janvier 1946, dès le lendemain il s’agit, pour l’Assemblée nationale constituante, de désigner un nouveau président du Gouvernement provisoire. De même que précédemment, les socialistes se gardent bien de faire valoir l’unité socialo-communiste et la majorité qu’elle forme à l’Assemblée issue du suffrage universel. Ils ont sans doute beaucoup mieux à faire, et c’est leur porte-parole, Daniel Mayer, qui le déclare en ces termes dès le 21 janvier à Maurice Thorez :
« Nous voterons pour n’importe quel candidat, Maurice Thorez compris, qui aura l’assentiment et l’accord du MRP (Mouvement républicain populaire – chrétien-démocrate) – l’accord des trois partis, par conséquent. »
Après avoir donné cette citation, l’historienne Georgette Elgey la commente de la façon suivante :
« Ainsi, en des termes encore plus catégoriques qu’en novembre, la SFIO [Section française de l’Internationale ouvrière – socialiste] a fait du MRP l’arbitre de la situation politique française. » (pages 134-135)
Le MRP, en dehors de l’étiquette qu’il a prise, et du soutien sans faille qu’il a accordé à De Gaulle durant toute cette période de la Libération, se caractérisait par la présence, en son sein, de quelques radicaux, mais surtout de membres de la droite traditionnelle dont les principales formations s’étaient compromises avec… Vichy.
C’est donc là que le parti socialiste a trouvé… l’arbitre.
Est-ce là tout ? Non.
Grâce à Georgette Elgey, nous pouvons pénétrer dans les méandres de la politique franco-états-unienne de ce temps-là, et en un moment où, paraît-il…
« les crédits américains sont indispensables au relèvement économique. Rien ne prouve que les États-Unis seront disposés à traiter avec un gouvernement marxiste. » (page 135)
Mais il ne faut pas non plus se couper d’un parti qui est tout de même le premier parti de France.
C’est tout le sens de l’article que l’ancien porte-parole de Charles de Gaulle à la BBC, Maurice Schumann, désormais président du MRP, publie dans Le Figaro du 22 janvier 1946. Le tripartisme (communistes, socialistes, chrétiens-démocrates), voilà la solution idéale…
« pour ne pas nous couper des masses et pour ne pas laisser apparaître le général de Gaulle comme le chef de l’opposition des droites ». (page 137)
Or, ce que nous révèle Georgette Elgey, c’est qu’en cette journée du 22 janvier, il y avait urgence à promouvoir une solution bien choisie, car, sinon…
Nous voici quelques heures plus tard :
« Un motocycliste de l’armée est arrivé rue de Poissy, en uniforme, pour remettre en mains propres au président du MRP un pli urgent. » (page 137)
Il y a là…
« deux pages manuscrites. Écrites à l’encre violette, elles sont signées du chef d’état-major général adjoint, le général Pierre Billotte, qui exerce l’intérim du chef d’état-major général, le général Juin, en mission à Londres ». (page 137)
Avec le troisième général qui vient dans la suite, il faut souligner qu’il s’agit de militaires qui doivent les fonctions qu’ils occupent alors au seul général de Gaulle, et qu’au surplus le général Billotte a été le chef d’état-major de celui-ci à Londres.
Dès ses premiers mots, le chef d’état-major général adjoint laisse le mystère s’épaissir :
« Voici ce que m’écrit un général dont le nom est fréquemment prononcé. »
Est-ce, comme le suggère madame Elgey, le général Leclerc ?
En tout cas, l’historienne nous livre sa propre transcription du document qui lui a été directement remis par Maurice Schumann, et qui était donc de la plume du général inconnu :
« Cher Ami, Nous avions convenu, vous rappelez-vous, d’un rendez-vous afin de nous entretenir de questions de sécurité. Les événements actuels ne l’ont pas permis, et je le regrette, car j’aurais aimé vous exposer mes vues – que de Gaulle estimait exactes – sur une question qui n’est pas sans incidence sur la politique générale et même sur la politique intérieure.
« J’aurais probablement attendu une occasion plus favorable pour vous joindre, si la gravité de la situation ne m’imposait de vous donner mon opinion à un moment où une partie des membres du MRP accepte sans inquiétude apparente la possibilité d’une solution bipartite socialo-communiste. » (page 138)
La suite promet… d’autant que nous avons bien lu ceci… Il s’agit de vues « que De Gaulle estimait exactes ». Quid du lien avec ces États-Unis, dont il nous aurait toujours protégé(e)s ? Le « général » inconnu ne va guère tarder à nous le faire savoir.
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Michel J. Cuny