Les crimes de Staline (de Poutine ???…), quelles preuves ? 13. Quand Hannah Arendt masque le contenu du rapport Khrouchtchev

Tout en mettant en cause les chiffres produits par le rapport Khrouchtchev de 1956, Hannah Arendt se garde bien de dire ce qu’ils sont. Reprenons la dernière phrase que nous avons citée d’elle, mais cette fois-ci lisons-la dans sa totalité (pages 203-204) :
« C’est précisément en admettant quelques crimes que 
Khrouchtchev dissimula la culpabilité du régime dans son ensemble, et c’est précisément contre ce camouflage et cette hypocrisie des dirigeants russes actuels – tous formés et promus sous Staline – que la jeune génération des intellectuels russes est maintenant en rébellion presque ouverte. Car ils savent tout ce qu’il y a à savoir sur ‘les purges massives, et la déportation et l’annihilation de peuples entiers’. »

Ici, Hannah Arendt nous renvoie à une note de bas de page, où nous pouvons lire « tout ce qu’il y a à savoir sur... » sans preuves :
« Aux victimes, estimées de 9 à 12 millions, du premier plan quinquennal (1928-1933), il convient d’ajouter les victimes de la grande purge : environ 3 millions d’exécutions et de 5 à 9 millions d’arrestations et de déportations. »

Sur ce point, elle demande que nous nous référions à « l’importante introduction » d’un livre de Robert C. Tucker ; ensuite, elle continue :
« Mais toutes ces estimations semblent être en deçà des chiffres réels. Elles ne prennent pas en compte les exécutions en masse dont on n’a rien su jusqu’au jour où ‘les forces d’occupation allemandes découvrirent dans la ville de Vinnitsa une fosse commune contenant les corps de milliers de personnes exécutées en 1937 et 1938’ », ce pour quoi 
Hannah Arendt nous renvoie à un ouvrage de John A. Armstrong.

Ne nous laissons tout de même pas surprendre : dans ce dernier paragraphe, il s’agit bien de milliers de cadavres, et non pas de millions… qui, de plus, ont été découverts par les « forces d’occupation allemandes » dont l’Histoire nous a appris qu’elles-mêmes n’ont jamais fait le moindre mal même à une mouche… Mais le plus joli est ce qui vient immédiatement après la référence à J. A. Armstrong :
« Il va sans dire [et c’est pourquoi elle nous le dit si gentiment] que cette découverte récente [et donc tout à fait digne de foi dans l’interprétation qu’en ont fourni les gentilles ‘forces d’occupation allemandes’…] fait apparaître les systèmes nazi et bolchevique, encore plus qu’auparavant, comme des variantes du même modèle. »

On admirera la logique!… Puisque l’attribution des meurtres correspondants est douteuse, autant dire que, dans le tas, Dieu reconnaîtra les siens. Quant à Hannah Arendt, elle en profite pour, ces cadavres, nous les mettre dans le même sac de ce qui « va sans dire »… les Guignols du totalitarisme. C’est un paquet cadeau qui ne doit tout de même pas nous faire perdre de vue ce pour quoi nous avions fait le déplacement : le rapport Khrouchtchev et ses chiffres à lui.

Posons directement la question de la quantité de victimes que le rapport Khrouchtchev attribue à la politique répressive de Staline dans une phase où, selon la nouvelle direction, elle n’avait plus de raison d’être :
« C’est exactement pendant cette période (1935-1937-1938) qu’est née la pratique de la répression massive au moyen de l’appareil gouvernemental, d’abord contre les ennemis du léninisme – trotskystes, zinoviévistes, boukhariniens – depuis longtemps vaincus politiquement par le parti, et également ensuite contre les nombreux communistes honnêtes, contre les cadres du parti qui avaient porté le lourd fardeau de la guerre civile et des premières et très difficiles années de l’industrialisation et de la collectivisation, qui avaient activement lutté contre les trotskystes et les droitiers pour le triomphe de la ligne du parti léniniste. » (page 14 du Rapport secret de 
Khrouchtchev, Champ Libre, 1970)

A priori, comment imaginer que la période évoquée, dont on sait à quel point elle a été troublée du point de vue international (ne retenons, pour l’Europe, que le déclenchement de la guerre d’Espagne, la réoccupation de la Rhénanie, les accords de Munich), ait été marquée par le calme plat à l’intérieur des frontières soviétiques ? Nous y reviendrons.

Mais, dans l’immédiat, que nous dit le rapport Khrouchtchev en ce qui concerne les millions de victimes qu’Hannah Arendt prête généreusement à Staline? D’abord ceci :
« Il a été établi que des cent trente-neuf membres et suppléants du comité central du parti qui avaient été élus au dix-septième congrès, quatre-vingt-dix-huit avaient été arrêtés et fusillés, c’est-à-dire 70% (pour la plupart en 1937-1938) » (page 25)
« Un sort identique fut réservé non seulement aux membres du comité central, mais aussi à la majorité des délégués du dix-septième congrès ; des mille neuf cent soixante-six délégués, soit avec droit de vote, soit avec voix consultative, mille cent huit personnes, c’est-à-dire nettement plus que la majorité, ont été arrêtées sous l’accusation de crimes contre-révolutionnaires. » (page 26) (« arrêtées » ne signifie tout de même pas : « assassinées », n’est-ce pas?)

Maintenant, une récapitulation des erreurs reconnues, après la mort de Staline :
« Il suffit de dire que de 1954 à nos jours [1956] le collège militaire de la Cour suprême a réhabilité 7 679 personnes, dont de nombreuses à titre posthume. » (page 42) Ici, il faut faire une double remarque : ce n’est peut-être qu’un début pour le processus de réhabilitation, et, tout à la fois, il ne concerne pas que des personnes effectivement condamnées à mort et exécutées, d’où l’incertitude d’en tirer quelque conclusion que ce soit.

Dernière allusion du rapport Khrouchtchev à la brutalité de Staline et du principal exécutant, Béria :
« La question se pose de savoir comment 
Béria, qui avait ‘liquidé’ des dizaines de milliers de personnes, n’a pas été démasqué pendant que Staline était en vie. »

D’où vient qu’il faille ici mettre des guillemets à « liquidé »? Et pourquoi s’étonner que Béria n’ait pas été inquiété du vivant de Staline, si celui-ci était bien le maître d’oeuvre de toute cette violence criminelle…

…criminelle, s’il n’y a pas eu effectivement « crimes contre-révolutionnaires » dans la Russie soviétique du temps des grandes manoeuvres menées dans la plupart des pays européens – dont l’Espagne et la France – par les alliés secrets du dénommé Hitler (« plutôt lui que le Frente popular ou que le Front populaire… »), Phalange et autre Cagoule…

N’empêche que la petite Hannah, qui compte très vite et très bien, en est, elle, à une fourchette qui va de 12 à 15 millions de victimes (toutes exécutées?) et à une autre fourchette de 5 à 9 millions pour les arrestations et les déportations… sans aucune preuve, nulle part, ni d’aucune sorte, sur les diverses modalités qui auront permis une telle boucherie physique et morale.

Michel J. Cuny


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