L’appel des armes : vers une reconquête de la grandeur française

En France, la défaite de 1870 ainsi que les événements tragiques liés à l’écrasement de la Commune de Paris survenus un an après, avaient laissé des traces profondes dans les esprits. Tandis que le pays en était sorti mutilé et exsangue, son peuple qui, en d’autres temps, avait pu se montrer si entreprenant, semblait depuis lors miné par le défaitisme et l’inertie.

Comme le relatait un jeune officier français en 1912,  « la génération qui parvint à l’âge d’homme vers 1895 était née entre 1855 et 1870. Elle avait vu les horreurs de l’invasion, les misères de la guerre. Son imagination avait été frappée par la vue des convois de blessés, par les récits fantastiques des mères ou des vieux. Ils avaient vu des deuils innombrables autour d’eux. »

Le pire pour ce jeune militaire, et le plus regrettable sans doute, était que, désormais, « dans leur âme déprimée, ils avaient peur de la guerre, pour les catastrophes qu’elle amène avec elle. Ils avaient une âme de vaincus. Ils n’osaient agir, ils ne pensaient qu’à se défendre. Commerçants ou industriels, ils n’osaient se lancer dans l’aventure ; ils étaient prudents. Soldats, ils pensaient surtout à la défensive, quel que soit le nom dont ils se servaient pour leur doctrine (…). »

Ainsi donc, le Français, que jadis l’on avait connu si brave, si audacieux et si conquérant, avait-il  disparu à jamais ? Persuadé du contraire, Georges Clemenceau déclarerait en 1908 :
« Nous avons reçu la France au sortir d’une effroyable épreuve [la guerre de 1870]. Pour la refaire dans sa légitime puissance d’expansion, comme dans sa dignité de haute personne morale, nous n’avons besoin ni de haïr ni de mentir : pas même de récriminer. Nos regards vont à l’avenir. Fils d’une grande histoire, jaloux des belles impulsions natives où se forma la vertu civilisatrice de la France, nous pouvons regarder dans la quiétude de notre âme les descendants des fortes races qui se sont mesurées, depuis des siècles, avec les hommes de notre terre, sur des champs de bataille dont on ne peut faire le compte. »

À l’époque où il était président du Conseil et ministre de l’Intérieur, celui qui fut surnommé « le Tigre », était bien placé pour savoir que, depuis  1905, la menace était bien présente d’un nouveau conflit armé entre la France et l’Allemagne, notamment à propos du partage du continent africain dont les richesses excitaient les appétits européens.  Bien qu’elle nourrissait une certaine inquiétude, cette menace ne pouvait somme toute que tomber à pic pour ceux qui n’avaient pas renoncé à ces velléités belliqueuses d’autrefois dont on avait pu mesurer ce qu’elles pouvaient produire de merveilles aux temps bénis de la Révolution version girondine et du 1er Empire…

Or, il apparaît que l’une des caractéristiques de cette « menace allemande » était de provoquer une modification en profondeur du comportement de la jeunesse française et, en particulier, de cette jeunesse appartenant aux élites qui, tôt ou tard, présiderait aux destinées du pays … Une jeunesse qui, à l’instar des étudiants de la prestigieuse Sorbonne, s’était montrée jusqu’alors bien plus prompte à entonner L’Internationale  que La Marseillaise … En 1912, un certain L. Dumont-Wilden observe que …
« Depuis cinq ou six ans, il y a quelque chose de changé dans les allures, dans les mœurs, dans les façons de sentir et de penser de la jeunesse française, cela saute aux yeux. Certains mots sonnent autrement, d’autres mots n’ont plus le même sens, et il faudrait être complètement insensible pour ne pas se rendre compte que le climat moral de Paris, surtout, s’est profondément modifié. »

Voilà que grâce aux « coups » de Tanger (mars 1905) et d’Agadir (juillet 1911) fomentés par l’Allemagne, le vent commençait à tourner du bon côté chez les jeunes élites françaises. Si l’on en croit les auteurs d’une enquête menée deux ans avant le déclenchement de la guerre, « on ne trouve plus, en effet, dans les Facultés, dans les grandes écoles, d’élèves qui professent l’antipatriotisme.  A Polytechnique, à Normale, où les antimilitaristes et les disciples de Jaurès étaient si nombreux naguère, à la Sorbonne même, qui compte tant d’éléments cosmopolites, les doctrines humanitaires ne font plus de disciples. À la Faculté de droit, à l’Ecole des sciences politiques, le sentiment national est extrêmement vif, presque irritable. » Pour preuve, « les mots d’Alsace-Lorraine y suscitent de longues ovations, et tel professeur ne parle qu’avec prudence des méthodes allemandes, par crainte des murmures ou des sifflets. »  

Tout cela n’était-il donc que des gamineries d’adolescent sans lendemain ? Ce « réveil de l’instinct national » n’était-il pas plutôt le signe d’une régénérescence de ce Français des époques fastes ? En tout cas, et du point de vue des auteurs de l’enquête de 1912 qui, d’ailleurs, s’en félicitent,  « cette magnifique renaissance des vertus de la race n’a fait que se préciser depuis 1905, « avènement de la génération nouvelle ». (…) Une aube, une grandissante aurore se leva sur l’obscurcissement de cet automne 1905, où notre jeunesse comprit que la menace allemande était présente. »

Il advint ce prodige que, grâce à l’Allemagne qui s’était faite en quelque sorte le révélateur involontaire des qualités guerrières de la « race française », « le patriotisme de la jeunesse française s’approfondit alors et se fortifia en réflexion, en raison, en action » au point que,  «  l’été dernier, elle envisagea la guerre sans effroi : au pays tout entier, elle communiqua sa confiance. (…) Et lorsqu’on parla du traité franco-allemand, les quinze cents étudiants de Paris, sans distinction politique, furent tous d’accord pour protester les premiers contre la cession du Congo à l’Allemagne (…).»

Etait-ce là une préfiguration de cette Union sacrée en faveur de la guerre qui,  deux ans plus tard, emporterait  le peuple de France dans la tourmente ?

Car, ce qu’il ne fallait surtout pas faire, c’était toucher à ce gâteau africain que la France considérait comme une chasse gardée, vers laquelle s’étaient par ailleurs portés les rêves et les désirs les plus fous d’une jeunesse avide d’aventure et d’exploits, à l’exemple de ce lieutenant breveté d’Etat-Major  de vingt-huit ans, qui, en 1912, écrivait plein d’émotion :
«  On nous façonnait des âmes de lutteurs, juste au moment où nos troupes, grâce à leur héroïsme, à leur dévouement, au prix de leur vie nous conquéraient un immense empire colonial. Adolescent, c’est avec passion que nous lisions les récits des exploits de nos troupes, au Tonkin, en Chine, au Soudan. Nous voulions imiter ces vaillants, qui, pour agir, s’en vont loin de la France. Nous aussi, nous voulons agir. »

Il faut redire à quel point elle avait été regonflée à bloc, cette nouvelle génération à qui l’on  confierait la si lourde (et si inhumaine) tâche de réparer l’honneur d’une France humiliée … Le jeune officier  français interrogé en 1912 rappellera qu’elle «  n’a pas vu la déroute », et que « de la guerre de 1870, elle ne connaît que les récits qu’on lui en fait, où l’on exalte la bravoure de nos troupiers, leur dédain de la mort. (…) Nos mères nous parlent de revanche. Mais, qui dit revanche, dit  attaque, dit lutte ; et nos jeunes cerveaux sont pénétrés de l’idée qu’il nous faut agir, qu’il nous faut lutter. »

Le salut de la France résidait désormais dans la défense jusqu’au-boutiste de valeurs fondamentales censées être renfermées dans la nation, et elle seule … Laissons notre jeune officier nous en dire un peu plus …
« Nous aimons l’action, nous adorons notre patrie ; voilà les caractéristiques de notre génération. Industriels ou commerçants, nous osons nous lancer dans des entreprises audacieuses, si nous les jugeons productives ; nous nous expatrions ; nous hasardons nos capitaux aux colonies. Littérateurs, nous exaltons la volonté, nous prêchons l’énergie. Soldats, nous avons abandonné les théories funestes de la défensive. Nous voulons agir. Pour imposer notre volonté à l’ennemi, nous l’attaquerons. Attaquer, c’est encore le meilleur moyen de se défendre. »

Quant à l’attitude de génération à venir, il suffirait, pour qu’elle ne dévie point de la voie sacrée tracée par ses aînés, de lui montrer le monde, et de lui dire :
«  Achevez l’œuvre que nous avons commencée. Conquérez à la France de nouveaux débouchés. Conquérez-lui de nouvelles amitiés. » Confiants en eux-mêmes, ils se jetteront ardemment dans la lutte. Ils poursuivront notre renaissance industrielle et commerciale. Ils achèveront notre renaissance morale. »

C’est alors qu’enfin !, cette génération nouvelle « sera fière, orgueilleuse d’être française. Elle sera reconnaissante à la patrie de lui procurer ces douces satisfactions de l’âme. Plus tard, elle sentira encore que c’est cette même patrie qui la protège au loin. C’est d’elle qu’elle tire sa force ; c’est elle qui lui permet de réussir dans cette lutte de peuples. Cette génération, quand ce ne serait que par utilitarisme, désirera ardemment que la France devienne toujours plus grande, toujours plus forte. Pour atteindre ce but, ces hommes d’action seront prêts à tous les sacrifices. »

Nous savons à quelles extrémités ce dévouement et cette abnégation auront été menés en 1914-1918. Et comme si cela n’avait pas été suffisamment meurtrier pour qu’un peuple soit enfin jugé digne de sa mère patrie, il y aurait encore à subir 1939-1945, la guerre d’Indochine et puis la guerre d’Algérie….

De l’histoire ancienne, tout cela ?… La question reste plus que jamais ouverte.

Christine CUNY

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4 réflexions sur “L’appel des armes : vers une reconquête de la grandeur française

  1. je trouve étonnant et effrayant le parallèle que l’on peut faire dans cette soumission et cet abandon mortifère des valeurs essentielles qui avait pris racine après 1870 et aujourd’hui ou il est de bon ton de galvauder ces valeurs qui sont l’amour et le désir ardent de protéger et défendre son pays. ces écervelés parfois dogmatiques et même carrément stupides pour certains ne doivent pas se rendre compte qu’il faut se plonger dans le contexte de l’histoire pour la comprendre et comprendre les agissements et les valeurs mise en avant a l’époque concernée.
    cela leur va bien à ces bonimenteurs de saliver et de faire les perroquets pour vomir du prêt à penser afin d’avoir l’impression d’être membre du troupeau, l’envie de reconnaissance et de sainteté parfois mène à des actions suicidaires.
    en effet aucun peuple si peu agressif qu’il soit ne peut rejeter d’emblée son histoire, sa culture, ses valeurs et ses erreurs ainsi que son devoir d’être un défenseur de son pays.
    sinon il devient proie et en subira les très lourdes conséquences, le monde et l’homme sont ainsi, la faiblesse n’est pas de mise pour vivre libre et préserver les siens.

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