2 – De « faux-vrais » documents
pour étayer sa défense ?
(suite)
Gilles Bouleau recevait l’ancien président de la république,
le 22 mars 2018, au 20 heures, sur TF1
https://www.tf1.fr/tf1/jt-20h/videos/20-heures-22-mars-2018.html
[À cette occcasion, il est important – et ceci est suffisamment rare de notre part pour être signalé – le journaliste, Gilles Bouleau, d’un média mainstream, s’était, manifestement, bien documenté pour mener cet entretien le plus correctement possible.]
Nicolas Sarkozy vient de dire :
« Ils m’ont interrogé sur le liquide qui aurait circulé dans ma campagne de 2007 : 38.000 euros ; ce qui représente, sur une campagne qui a coûté 21 millions d’euros : 0,0018 %. On est bien loin des allégations folles de monsieur Kadhafi et de Médiapart parlant de 50 millions d’euros. »
Le journaliste Gilles Bouleau : « en droit français,
pour mettre quelqu’un en examen,
il faut des charges ou, plutôt, des indices graves et concordants »
Journaliste :
« Mais, monsieur Sarkozy, en droit français, pour mettre quelqu’un en examen, il faut des charges ou, plutôt, des indices graves et concordants : les trois magistrats professionnels qui ont jugé qu’il y avait à votre encontre des charges graves et concordantes, se sont-ils trompés, sont-ils aveugles ? »
N. Sarkozy :
« Ce ne sont pas des charges (Journaliste : Ce sont des indices.) Ce sont des indices, soyons précis. On ne peut pas dire qu’ils soient concordants puisque pas un seul membre de la bande de Kadhafi ne formule les mêmes chiffres. »
[Le journaliste avait pris le soin, en posant sa question, de rectifier les termes utilisés : « il faut des charges ou, plutôt, des indices graves et concordants ». Mais Nicolas Sarkozy ne peut s’empêcher de le reprendre : « Soyons précis »… alors qu’il ne l’est pas lui-même. Quelles personnes de l’entourage de Muammar Gaddhafi donnent quels chiffres ? Qu’importe, sans doute… Car Nicolas Sarkozy, lui, il a… « des documents à produire » « devant les Français ».]
« je vous ai amené, j’ai le droit – un document judiciaire »
N. Sarkozy :
« Le document de Médiapart, abondamment commenté – je vous ai amené, j’ai le droit – un document judiciaire signé par les officiers de police judiciaire qui ont enquêté sur le document Médiapart dans le cadre de l’enquête pour faux que j’avais déposé contre Médiapart auprès du juge Cross.
Je vous cite deux phrases ; ce n’est pas de moi, c’est des officiers de police judiciaire : « Il existe donc – disent les officiers de police judiciaire, après deux ans d’enquête – une forte probabilité pour que le document produit par Médiapart soit un faux, le rendant déontologiquement impropre à sa diffusion. » Monsieur Bouleau (Journaliste : oui), c’est un document qui, malheureusement, n’a pas fait l’état de la moindre publicité dans les médias. »
[Monsieur Sarkozy interprète la phrase qu’il cite à sa façon : de la « probabilité » de la fausseré du document, il sous-entend, un peu vite, que ce document est un faux.
Les médias ont abondamment parlé de ce document qui a été, dès le départ de cette affaire, objet de controverses entre Nicolas Sarkozy et Médiapart. Puis les officiers de police judiciaires ayant émis un doute sur l’authenticité du document, cela le rendait « déontologiquement impropre à sa diffusion ».
Ce document a donc été mis en réserve dans le dossier. Et les médias – contrairement à ce que prétend monsieur Sarkozy – ont fait part de ce doute émis sur le document.]
« La justice, les experts français ont dit :
“Ce document n’est pas un faux évident.”. »
Journaliste :
« Mais vous aviez poursuivi Médiapart pour dire que ce document était un faux et vous avez été débouté deux fois, monsieur Sarkozy. (N. Sarkozy : Non. Ce n’est pas vrai. Monsieur) La justice, les experts français ont dit : “Ce document n’est pas un faux évident.”. »
[Lorsque des officiers de police judiciaire écrivent qu’ « il existe une forte probabilité pour que le document produit par Médiapart soit un faux, le rendant déontologiquement impropre à sa diffusion », et que « les experts français » disent : « ce document n’est pas un faux évident », les uns et les autres se rejoignent sur un principe : jusqu’à plus ample informé, rien ne dit qu’il est vrai, rien ne dit qu’il est faux.
Cela ne signifie pas que ce document est un faux mais qu’il est sujet à caution c’est-à-dire douteux et, donc, qu’il ne se suffit pas à lui-même et demande à être étayé par d’autres documents plus fiables.]
« Il existe une forte probabilité qu’il soit un faux. »
N. Sarkozy :
« Non, non. Non, non, non. Médiapart a bénéficié d’un non-lieu parce qu’ils ont prétendu qu’ils n’étaient pas au courant de la faussseté du document. Je vous répète la phrase. C’est un procès-verbal de synthèse émanant d’une commission rogatoire signé par des officiers de police judiciaire. « Le document produit par Médiapart. Il existe une forte probabilité qu’il soit un faux. »
D’ailleurs, dans les deux jours de ma garde à vue, j’ai très peu été interrogé sur ce document car tout le monde sait que c’est un faux. Et je précise que les deux prétendus signataires du document libyen, monsieur Moussa Koussa et monsieur Béchir Saleh, ont tous les deux dit, de la façon la plus formelle, que ce n’étaient pas leurs signatures et que ce document était un faux. »
[Nicolas Sarkozy dit : « Médiapart a bénéficié d’un non-lieu parce qu’ils ont prétendu qu’ils n’étaient pas au courant de la fausseté du document. » Cela veut dire que monsieur Sarkozy met en cause le « non-lieu ». Selon lui : « Médiapart » « ont prétendu ». Or, Nicolas Sarkozy devrait savoir qu’un non-lieu ne peut s’appuyer sur les prétentions de l’une ou de l’autre partie en conflit. Par ailleurs, le « non-lieu » ne signifie pas que le document est un faux. Si le ministère public n’a pas engagé de poursuites contre le journal Médiapart, c’est que lui-même a estimé que la fausseté du document n’était pas plus étayée que son authenticité, et que, donc, Médiapart n’avait pu utiliser ce document dans le but de nuire.
Pour étayer sa défense, monsieur Sarkozy tire une conclusion un peu hâtive… « tout le monde sait que c’est un faux ». En généralisant : « tout le monde sait »… Nicolas Sarkozy tente, ici, de faire basculer les téléspectateurs – l’opinion publique – de son côté.]
Journaliste :
« On va y revenir dans un instant. Parlons de votre contrôle judiciaire. Je ne sais pas ce que vous avez le droit de dire ou de ne pas dire. Quelles sont les conditions précises de votre contrôle judiciaire sachant, sauf erreur, que vous êtes le premier ancien chef de l’État sous la Vème république, à avoir à subir ce régime. (N. Sarkozy : Pardon.) Avez-vous encore votre passeport (N. Sarkozy : mais bien sûr)… Dans quel pays avez-vous le droit ou pas le droit d’aller ?
« D’abord, on m’impose un contrôle judiciaire
m’intimant l’ordre »
N. Sarkozy :
« D’abord, on m’impose un contrôle judiciaire m’intimant l’ordre de ne pas voir monsieur Takieddine. Permettez-moi de vous dire que je n’ai pas envie. On me demande de ne pas voir monsieur Guéant et monsieur Hortefeux. »
[Sa voix se casse sur le mot « D’abord ». Puis, il se reprend.]
Journaliste :
« Qui, eux, étaient vos proches. »
N. Sarkozy :
« Sont (Journaliste : sont vos proches.) Quand vous pensez que l’instruction a commencé il y a cinq ans, si j’avais eu à me mettre d’accord sur quoi que ce soit, avec monsieur Hortefeux ou monsieur Guéant, j’avais cinq ans pour le faire. Qu’est-ce qui justifie, aujourd’hui, qu’on me dise : vous n’avez plus le droit d’avoir de contact avec Brice Hortefeux qui est mon ami depuis 40 ans ? Mais peu importe ! »
[Il y a une raison à cette interdiction : durant les cinq dernières années, il pouvait rencontrer Claude Guéant et Brice Hortefeux. À cette époque, ni Claude Guéant, ni Hortefeux, ni Sarkozy ne pouvaient savoir précisément les questions qui pourraient leur être posées.
Dorénavant, pour Nicolas Sarkozy, connaissant les arguments qui permettent de le mettre en cause, il peut devenir impératif de se concerter, de façon nouvelle, avec ses amis.]
Journaliste :
« Y a-t-il d’autres personnes qu’il vous est interdit de voir ? »
« y a, y a, y a trois ou quatre personnes,
mais peu importe,
ce n’est pas ça qui est important »
N. Sarkozy :
« Y a, y a, y a trois ou quatre autres personnes, mais peu importe, ce n’est pas ça qui est important. »
[Mais si, c’est important !… Monsieur Sarkozy balaie d’un revers de main, visible à l’écran, les autres personnes qu’un ordre judiciaire lui impose de ne pas voir…
Parmi ces « trois ou quatre autres personnes », il y a… Cécilia Ciganer-Albéniz qui, du 23 octobre 1996 (date du mariage à Neuilly) au 18 octobre 2007 (date du divorce à Paris), a été madame Sarkozy.
Madame Sarkozy, avant d’être, depuis le 23 mars 2008, madame Attias, s’est trouvée au cœur de la carrière politique de Nicolas Sarkozy : de la mairie de Neuilly (1983-2002) à la présidence de la république française (16 mai 2007-15 mai 2012). Pour Cécilia Sarkozy, si son rôle dans la carrière politique de son mari, s’est arrêté au début du mandat présidentiel, elle a eu une importance capitale auprès de lui.
Le 22 juillet 2007, elle s’était rendue en Libye, dans l’avion présidentiel français, aux côtés de Claude Guéant et de la commissaire européenne aux Relatiins Extérieures, Benita Ferrero-Waldner. Son mari, Nicolas Sarkozy, l’avait chargée de mener, comme « émissaire personnel » des négociations avec le Guide révolutionnaire libyen, Muammar Gaddhafi : le 12 juillet 2007, elle avait rencontré Muammar Gaddhafi, en personne, en vue de la libération des infirmières bulgares, et du médecin dit palestinien : l’avion présidentiel avait quitté la Libye, avec les infirmières bulgares et le médecin dit palestinien, le 24 juillet 2007.
Et, donc, qu’il soit interdit à Nicolas Sarkozy de revoir son ex-épouse n’est pas rien. Cet ordre judiciaire, empêchant Nicolas Sarkozy de rencontrer Cécilia Attias, ex-Sarkozy, ne serait-il pas un signe avant-coureur d’une audition de celle-ci ? N’y a-t-il pas, là, une pièce maîtresse dans l’évolution d’un dossier à propos duquel Nicolas Sarkozy prétendait donner à l’écran, « devant les Français », toutes les clés d’interprétation ?]
Françoise Petitdemange
26 mars 2018