Il est très clair que la Sécurité sociale telle qu’elle a cru pouvoir se rattacher à l’épopée de la Libération est en danger de mort : elle a déjà été très férocement blessée par les multinationales de la santé qui n’auront de cesse de l’avoir totalement pliée aux nécessités de taux de rentabilité dont les sommes considérables qu’elle contrôle sont la promesse.
Les temps ont décidément changé… Repoussée avec véhémence par tout ce qui ne souhaitait pas se voir assimilé à la classe ouvrière, la Sécurité sociale a finalement été investie par ceux-là même qui la honnissaient le plus, et qui n’ont plus désormais qu’une idée en tête : chasser de cette maison devenue commune toutes celles et tous ceux qui en ont été longtemps les premiers et seuls occupants, et dont il est avéré qu’ils ont financé, par le biais des transferts entre les caisses, une partie de la protection sociale des paysans, des petits commerçants, etc.
Aussi le très libéral Marc Guillaume, du Cercle des Economistes, peut-il tranquillement énoncer en 2007 ce qu’il appelle « le paradoxe de la santé ». Effectivement, il s’est produit un renversement total de perspective puisque les premiers arrivants ne sont plus désormais que tolérés :
« On a ainsi admis que ceux qui étaient trop démunis pour payer le véritable prix concurrentiel de leur santé devaient quand même être complètement assurés, c’est-à-dire que les autres paieraient pour eux. »
À la suite de quoi une note particulièrement venimeuse précise encore que
« Ce choix collectif de réduction des inégalités ne relève pas d’un critère théorique [qui pourrait donc en garantir la validité économique], il résulte de considérations sociales, culturelles, de rapports de force [au temps d’un PCF à 25%?], etc., qui aboutissent à un arbitrage politique. Il en est de même, plus généralement, de tous les choix concernant la redistribution fiscale. Mais les inégalités après redistribution restent inacceptables dans certains domaines, principalement celui de l’éducation et celui de la santé. La mise sous tutelle publique de ces deux secteurs permet de rendre tolérables des inégalités qui, même après redistribution fiscale, restent considérables. La tutelle sur la santé contribue donc à rendre acceptables socialement l’ordre économique libéral et les inégalités qui lui sont structurellement associées. »
Voilà. C’est dit : il s’agit d’un effet de structure à travers lequel le libéralisme triomphe subrepticement.
Les travailleurs « pauvres » sont donc définitivement pris dans la nasse d’une protection sociale « octroyée » qui doit limiter leur vie au cercle de la pauvreté.
Et pendant ce temps-là…
Michel J. Cuny