Certes, s’il faut en croire les éléments d’analyse que nous avons recueillis auprès des pro-fesseurs Even et Debré, les activités des grands laboratoires pharmaceutiques sont tout simplement criminelles. En matière de santé, il ne paraît pas y avoir quoi que ce soit de pire… Mais, comme il ne paraît pas y avoir quoi que ce soit de meilleur, il en résulte très logiquement que meilleur et pire s’annulent.
C’est peut-être bien la position que partage le journal « Prescrire » dont il importe de redire qu’il a été créé en 1981 – mais tout juste avant l’arrivée de François Mitterrand à la présidence de la république -, et à l’initiative du cabinet ministériel de Simone Veil. En conséquence de quoi, il a longtemps reçu une subvention de l’État, jusqu’à pouvoir devenir autonome, et refléter un avis qui ne devrait rien à l’industrie pharmaceutique. Effectivement, il s’y trouve les critiques les plus pertinentes qu’il soit possible d’adresser aujourd’hui à l’ensemble du circuit du médicament…
Mais rien qui puisse porter le moindre préjudice à l’économie libérale, ni donc à l’exploitation de l’être humain par l’être humain. C’est que « Prescrire » ne peut certes pas mettre le moins du monde en cause le statut de la médecine libérale, pour autant qu’elle paraîtra, quelques temps encore, pouvoir se survivre à elle-même, tandis que les multi-nationales du médicament, les assurances complémentaires, etc., l’attendent au coin du bois, pour la plier à la chaîne de valeur de leurs propres produits matériels et financiers.
Quoi qu’il en soit, le résultat est qu’il paraît interdit à « Prescrire » de franchir certaines limites éditoriales (pour en savoir plus, c’est ici).
Mais en ce qui les concerne, MM. Even et Debré ne paraissent pas craindre d’écrabouiller la médecine et tout ce qui lui tourne autour, ainsi que nous l’avons constaté… Et avec une certaine surprise, convenons-en.
Or, sitôt arrivés à ce point de non-retour, très justement… ils se retournent et, très gaiement, reprennent le chemin exactement inverse, pour voler au secours de celles et de ceux qu’ils auraient précédemment presque traîné(e)s jusqu’aux gibets de Montfaucon.
Ne quittons donc pas ces « Conclusions » décidément étonnantes…
Juste en leur milieu, le premier virage se présente avec une certaine douceur, mais déjà nous constatons que l’industrie pharmaceutique a eu le temps de se refaire une beauté : (page 111)
« C’est une grande industrie, qui a beaucoup apporté dans le passé, qui apporte encore quelques molécules utiles chaque année et une industrie très professionnelle dont on ne peut se passer, mais elle trahit trop souvent la mission qui devrait être la sienne. Son image devient et deviendra de plus en plus détestable. Qu’elle y prenne garde. »
Comme nous l’avons vu, les preuves à charge assénées par nos deux procureurs s’étalent sur plusieurs centaines de pages. Et voici qu’en une seule phrase, la plus longue de ce petit paragraphe, cette machine à la centaine de milliards d’euros de capitalisation qui pourrit les meilleures volontés du monde pour enrichir la spéculation internationale retrouve une virginité morale à toute épreuve qui n’a plus besoin d’aucune dé-monstration pour être garantie sur facture !…
Facture ? Mais oui. Celle que l’industrie pharmaceutique réhabilitée consentirait à régler à travers un rafistolage des plus improbables mais dont nos deux petits bricoleurs de génie sont prêts à lui fournir les plans. Qu’on en juge : (pages 111-112)
« Des solutions équilibrées seraient possibles, à commencer par l’acceptation par les États de payer un peu plus cher les grandes molécules anciennes, vendues aujourd’hui à des prix dérisoires, et d’allonger la durée de protection par les brevets qui ne devraient courir qu’à partir de l’AMM [Autorisation de mise sur le marché]. À condition, en contrepartie, d’éliminer du marché les molécules inutiles et/ou dangereuses et les « me too » et de renoncer au remboursement des molécules placebos inutiles, et finalement de se contenter de bénéfices de 5 à 10% du chiffre d’affaires comme les autres entreprises, et non de 15 à 25%. Ethiquement, les industries de santé ne peuvent être les plus lucratives. »
Donc on garde tout le reste… et on repeint une toute petite partie de l’une des façades. Voilà donc pourquoi votre fille était muette, braves gens !
Et voilà pourquoi, dans cette petite affaire de virginité de parade, Chris Viehbacher, Directeur général de Sanofi, spécialement enrôlé par messieurs Even et Debré pour incarner Jeanne d’Arc, va définitivement éloigner l’industrie pharmaceutique française du feu que précédemment les mêmes lui promettaient en enfer : (page 112)
« Sanofi vient de se glorifier à son de trompes dans Le Monde de ses efforts en liaison avec l’OMS, pour éradiquer la maladie du sommeil (trypanosomiase), qui compte encore 270 foyers en Afrique, par des traitements par injection et des recherches avec l’aide de la fondation Bill et Mélinda Gates sur de nouvelles molécules actives par voie orale. Bravo, car le nombre de cas (identifiés) est passé de 350 000, il y a quinze ans, à 6 500, mais, pour cela, Sanofi n’aura dépensé que 100 millions d’euros en vingt ans… soit 5 millions par an, soit moins de 1/1 000 de ses bénéfices, comme si chacun d’entre nous versait 5 à 10 euros par an. Ne pourrait-elle mieux faire ? »
Mais si, bien sûr, depuis que Jeanne d’Arc a pris les rênes de son beau destrier bleu… et que le bénéfice de Sanofi s’est encore accru… sur lequel la part sus-indiquée reprendra le pourcentage qui lui revient, etc…
Il fait décidément bon être en bonne santé, pour ne pas, ici, mourir de rire… ou de colère.
Michel J. Cuny