Comme on le voit, il était bien agréable et très instructif de faire un tout petit bout de chemin en compagnie des professeurs Even et Debré du côté des frasques de la recherche médicale… Nous en ressortons particulièrement ragaillardi(e)s. Laissons donc là cette sombre affaire de maladie et de mort, oublions la nécessité dans laquelle nous nous sommes crus, un court instant, de devoir réinstaller les gibets de Montfaucon, et apprêtons-nous à investir le peu que nous croyons encore posséder – nos cotisations cumulées à la Sécurité sociale et son joli système qui, au-delà de la santé, veille sur nos retraites et sur quelques-uns de nos malheurs – dans l’économie du risque.
Et voilà que je reçois un courriel (26 janvier 2013) qui tombe à pic :
« Pour que vos dépenses en mutuelle santé riment avec légèreté, changez pour économiser. Des tarifs adaptés à chaque situation. Remboursements rapides. De nombreux cas de gratuité : mariage, etc. Une assistance 24h/24 7j/7. Consultation des prestations sur Internet. Pas de questionnaire médical d’entrée. Demandez votre étude gratuite et personnalisée. »
Cependant un minimum de correction nous fait penser qu’il n’était peut-être pas très charitable de rompre pareillement en visière avec nos deux gentils guerriers. Peut-être pourrions-nous nous pencher sur les « Conclusions » qui marquent la fin de la partie qu’ils ont consacrée à « L’industrie pharmaceutique internationale ».
Elles commencent ainsi : (page 110)
« Les multinationales pharmaceutiques sont et ne peuvent pas ne pas être à l’image du capitalisme moderne. Ce sont avant tout des entreprises industrielles et commerciales dirigées par des managers et des financiers, ni médecins, ni pharmaciens, au service des actionnaires qui les ont choisis. »
Ce qui ne veut évidemment pas dire qu’avec, à leur tête, des médecins et des pharmaciens, le schéma général serait tout à fait bouleversé. La question ne se pose d’ailleurs pas en ces termes. L’objectif actuel de Sanofi est, justement, de plier le corps médical dans son entier à la stratégie de subordination qui doit le faire entrer, jusqu’à l’os, dans la problématique de la chaîne de valeur à laquelle il convient désormais de le fixer comme à un clou, les pharmaciens eux-mêmes n’étant plus que des boutiquiers un peu plus qualifiés, momentanément encore, que de vulgaires épiciers.
Ainsi, mesurant bien qu’au-delà du médicament, il y a les médecins et les pharmaciens qui lui sont pieds et poings liés, lisons, avec ses caractères gras originaux, la suite des « Conclusions » des hommes-lige de Chris Viehbacher. Elle s’ouvre sur une citation qui les a choqués : (page 110)
« « Le médicament doit être intégré dans sa dimension d’entreprise, car il a D’ABORD une dimension industrielle » (C. Lajoux, président du LEEM). Tout est dit : une dimension d’abord industrielle. Oublions la santé et l’éthique. Merci Christian Lajoux. Tout est clair. »
À moins qu’ils ne nous aient pas tout dit du sens profond de leur activisme, MM. Even et Debré sont très mal venus de reprocher à Christian Lajoux, lui-même Président-Directeur général de Sanofi-France, un langage qu’ils croient pouvoir encenser chez son patron Chris Viehbacher.
Mais il est vrai aussi qu’avec cette honnêteté fondamentale que je lui connais pour avoir été l’un de ses petits voisins d’enfance dans nos Vosges natales, Christian Lajoux paraît donner des verges pour le battre quand on le voit permettre à l’industrie de prendre le pas sur le très banalement humain, c’est-à-dire inviter la valeur d’échange à décider, à elle toute seule, de la valeur d’usage. Subséquemment, nous sommes renvoyés à deux questions qui ne peuvent que s’enchaîner l’une à l’autre : où sont donc les communistes qui pourraient lui en faire le reproche ? Sont-ce MM. Even et Debré ?
Non. Et pourtant, voilà que ça les étrangle encore et toujours, comme s’ils étaient suffisamment naïfs pour pouvoir continuer à jouer les vierges effarouchées : (page 110)
« Il ne faut donc pas se tromper sur les objectifs et les moyens de ces entreprises. Elles poursuivent une fin très claire qui est, comme celle de toutes les entreprises industrielles ou non, de réaliser le plus rapidement possible les bénéfices les plus élevés possible, par une politique de court terme ne laissant pas de place à la recherche de médicaments trop aléatoire et de long terme. »
En conséquence de quoi, pour quelles raisons s’être donné cette peine de dénoncer les frasques du médicament en général, sans toucher le moins du monde à l’économie de marché ?
Michel J. Cuny