Rien qu’un pourrissement par la tête ?

 Passionnément favorables à l’économie de marché, chantres du rôle du secteur privé dans le domaine du médicament, les professeurs Even et Debré nous procurent paradoxalement tout ce qu’il faut pour porter à l’échafaud l’ensemble des personnages qui, depuis une trentaine d’années, auront fait la richesse – étendue à l’échelle de la planète – de l’industrie pharmaceutique.

Bien sûr, le mot « échafaud » est encore un peu trop faible. Mais il devrait nous être possible de faire mieux en retrouvant un supplice plus ancien et plus « barbare », et que nous ne confinerions pas à sa version la plus abstraite.

C’est bien ici que Philippe Even peut nous aider de toute son imagination onirique en nous conduisant jusqu’à l’os, et même jusque-là où la moelle se déchire dans l’os brisé. Ouvrons le livre intitulé « La recherche biomédicale en danger » (Le Cherche Midi) qu’il a publié en 2010 : il commence, le plus heureusement du monde, sur un Prélude par lequel nous sommes immédiatement invité(e)s à lire une Nouvelle ballade des pendus.

Nous voici donc devant les « sombres collines de Montfaucon » (page 13) :
« Des pendus s’y balancent et s’entrechoquent avec le vent, dans un crissement de cordes tendues et de bois encore humide des brouillards de la nuit. »

 Ce qui est fort plaisant à visiter, puisque : (page 13)
« Ils sont déjà plus becquetés que dés à coudre par les pies et les corbeaux, qui leur cavent les yeux et arrachent barbe et sourcils. »

Il est bien vrai aussi que nous nous trouvons, sans le moindre doute, devant d’anciens très rudes gaillards. D’où la certitude dans laquelle nous sommes qu’il faut y regarder de très près et sans frémir : (page 13)
« Les plus longues cordes pendent, les anneaux vides et ensanglantés. En tombant de haut, des condamnés se sont décapités d’un coup. Leurs corps gisent au sol, disloqués. Leurs têtes ont roulé dans la pente, jusqu’à la rivière. Pendus, décapités et noyés. Triple peine. »

Le résultat final est alors nécessairement tout ce qu’il y a de plus cocasse : (page 13)
« Un brusque coup de vent soulève un nuage de cendres. Épars, des ossements calcinés et des lambeaux de chair fumants, tibias entrecroisés, thorax éclatés, côtes ouvertes, bassins fracassés, crânes carbonisés, noircis, aux orbites vides, aux dents découvertes, dont l’émail brille seul dans la nuit. »

À ce moment, sans doute avons-nous perdu de vue que le livre de 535 pages, que nous avons ouvert sur cette scène dont il n’est pas sûr que nous allons très vite pouvoir l’oublier, se trouve consacré à « La recherche biomédicale en danger ». Quel rapport ?

Ce rapport, puisqu’il y en a effectivement un, tient surtout à la psyché de Philippe Even : en nous offrant ces quelques paragraphes taillés désormais dans la masse, il nous offre une part significative de son intimité en y rendant tout tranquillement compte de ceci : (page 83)
« Souvent, au petit matin, le même rêve. Obsessionnel. »

 Autrement dit, il y a là un désir qui insiste. Faudrait-il penser que le professeur Philippe Even est personnellement en situation de se vouloir parmi les pendus de Montfaucon ? Quel serait donc « son » crime ? Ou mieux : « sa » multitude de crimes ?

Nous le comprenons bien vite : c’est la kyrielle des éléments de preuve dont il a pris connaissance tout au long de sa carrière qui lui crient que c’est l’ensemble d’un corps de métier qui mérite le pire. Il suffit, pour le laisser nous en convaincre, de lui entendre dire quels sont les personnages qui, dans son désir, ont fini par décorer, pour ses nuits difficiles, les sombres collines de Montfaucon : (pages 13-14)
« C’étaient quelques-uns des ingénieurs des « grands corps » de notre nouvelle noblesse en bicorne, et quelques habiles et grenouillants chercheurs, qui ne furent jamais grands. Les uns et les autres présidaient, hier encore, les innombrables Hautes Autorités, Hauts Conseils, pôles, agences, conseils supérieurs, comités nationaux, instituts et établissements publics de  recherche du pays. On les a pendus ou brûlés. Peu ont trouvé grâce, qui étaient l’élite. »

Et la signature est plus terrifiante encore, si possible : (page 14)
« Pas un cauchemar. Un rêve. Un espoir aussi. Le bruit court d’ail-leurs au palais que ce sera, dans quelques jours, le tour d’une grande part des membres du Conseil national des universités, des « experts » ministériels et de quelques présidents d’université. Tout va devenir possible. »

Que voulez-vous nous dire, professeur Philippe Even ? Que le secteur de la recherche publique est criminel en tant que tel ? Qu’il faudrait alors l’anéantir au profit du règne de la seule valeur d’échange dont vous nous démontrez, par ailleurs, qu’elle n’est qu’un moyen suprême de destruction de toutes les chances de guérir l’humain ?

Michel J. Cuny


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