IV. 78 – Syrie… Une guerre de domination
(2/2)
Derrière la guerre des pipelines du Qatar et de l’Iran, ce sont des États qui, n’ayant pas de gisements de pétrole ou de gaz – ou en ayant mais ne voulant pas les utiliser – cherchent à accaparer les richesses des autres pour rester les maîtres du monde ; ce sont aussi des États qui, possédant les richesses, n’acceptent pas que des voisins en aient aussi parce qu’ils veulent garder leur suprématie sur telle ou telle région.
Une Arabie saoudite jalouse de sa domination
à laquelle échappe l’Iran
Et la position de l’Europe, de la Turquie, de l’Arabie saoudite… dans tout cela ? C’est Robert F. Kennedy junior qui nous la livre :
« L’UE [Union Européenne], qui importe 30 pour cent de son gaz de Russie, était également mise en appétit par le pipeline [du Qatar] qui aurait apporté à ses États-membres une énergie bon marché et un soulagement à l’égard de l’effet de levier économique et politique suffocant de Vladimir Poutine. La Turquie, pays qui est le deuxième plus grand client de gaz de Russie, était particulièrement préoccupée de mettre fin à sa dépendance envers son ancienne rivale et de se positionner elle-même comme le centre de traitement avantageux pour les carburants asiatiques à destination des marchés de l’UE. Le pipeline qatari aurait profité à la monarchie sunnite conservatrice de l’Arabie saoudite en lui permettant de prendre pied dans la Syrie dominée par les Shias [disciples d’Ali, adhérents de l’Islam chiite]. L’objectif géopolitique des Saoud est de contenir le pouvoir économique et politique du principal rival du royaume, l’Iran, État chiite, et proche allié de Bashar Assad. La monarchie saoudienne considérait la prise de contrôle de l’Irak par les Chiites, parrainée par les États-Unis, (et, plus récemment, la fin de l’embargo commercial contre l’Iran), comme une rétrogradation de son statut de puissance régionale et était déjà engagée dans une guerre par procuration contre Téhéran au Yémen, marquée par le génocide perpétré par l’Arabie saoudite contre la tribu des Houthis soutenue par les Iraniens. » [Robert Francis Kennedy junior, Pourquoi les Arabes ne veulent pas de nous en Syrie. Ils ne détestent pas “nos libertés”. Ils détestent le fait que nous avons trahi nos idéaux dans leur propre pays – pour le pétrole, 23 février 2016. Note FP : La traduction de l’anglais au français est de mon fait. Les précisions entre crochets, aussi.]
Deux pipelines en concurrence :
Qatar, Arabie saoudite, Jordanie, Syrie, Turquie ;
Iran-Irak-Syrie-Liban-Russie
Le pipeline du Qatar devait avoir un prolongement au-delà de la Syrie, jusqu’en Turquie… Robert F. Kennedy junior apporte les éléments suivants :
« Bien sûr, les Russes, qui vendent 70 % de leurs exportations de gaz à l’Europe, voyaient le pipeline Qatar / Turquie comme une menace existentielle. Du point de vue de Poutine, le pipeline du Qatar est un complot de l’OTAN pour changer le statu quo, priver la Russie de son seul point d’ancrage dans le Moyen-Orient, étrangler l’économie russe et mettre fin à l’effet de levier russe sur le marché européen de l’énergie. En 2009, Assad a annoncé qu’il refuserait de signer l’accord devant permettre au pipeline [du Qatar] de traverser la Syrie « pour protéger les intérêts de notre allié russe ». » [Idem. Note FP : La précision entre crochets est de mon fait.]
La monarchie qatarie espérait que le pacte de Défense de 2010, signé avec la république syrienne, l’emporterait sur la république iranienne. Mais, dans les temps suivants, le président Bachar El Assad décidait, conformément à ce qu’il avait déclaré en 2009, de ne pas donner son accord pour le passage du gazoduc qatari sur le sol syrien : ce gazoduc, dont le prolongement se ferait jusqu’en Turquie et destiné à être relié au gazoduc européen alors en projet (le Nabucco), devait permettre aux pays européens et à la Turquie de réduire leur dépendance à l’égard de la Russie pour le gaz, et léser les intérêts de la Fédération de Russie qui est une alliée.
Connaissant les piètres comportements des dirigeants européens, surtout des dirigeants français, à l’égard de la Fédération de Russie et de Vladimir Poutine, à l’égard de l’Iran et de ses dirigeants, notamment à l’égard de Mahmoud Ahmadinejad lorsqu’il était président de la République Islamique, et à l’égard de la République Arabe Syrienne elle-même, Bachar El Assad n’avait guère de cadeaux à faire aux Européens.
La présence de gisements de gaz était annoncée autour de Homs, certes. Mais dans l’immédiat, en 2011, la Syrie signait des accords avec l’Iran : Bachar El Assad accueillait le gazoduc iranien, sur le sol syrien, devant aboutir aux ports du Liban : ce gazoduc, dont un prolongement se ferait jusqu’en Russie, était destiné à être relié au gazoduc russe (le South Stream). Bien évidemment, le Liban ne voyait aucun inconvénient à la réalisation de ce projet qui lui donnerait de l’activité et la Russie renforçait, via la Syrie, ses liens avec l’Iran. En signe de représailles, en cette année 2011, l’émir du Qatar, avec sa chaîne télévisée Al-Jazeera, apportait un soutien financier massif au soulèvement armé contre le président et le gouvernement syriens, et manigançait au sein de la LA (Ligue Arabe) pour évincer le représentant de la République Arabe Syrienne et imposer un représentant de l’opposition.
Est-ce un procédé criminel, de la part du président Bachar El Assad, de protéger non seulement les intérêts de ses alliés (ici, la Russie et l’Iran) mais aussi les intérêts de son propre pays, la Syrie ? La Syrie, n’est-elle pas un État souverain et indépendant, libre de nouer des relations politico-économiques avec qui elle veut et de laisser passer ce qu’elle veut sur son territoire ? Les monarques du Golfe, qui sont les alliés protégés des États-Unis et d’Israël, n’hésitent pas à trahir les États arabes et… musulmans pour défendre leurs intérêts exclusifs. Selon Robert F. Kennedy junior, les monarques du Golfe ont perdu leur calme. Et pas qu’eux…
« Assad a en outre rendu furieux les monarques sunnites du Golfe en approuvant un « pipeline islamique », agréé par la Russie, qui passe, à partir du champ de gaz, côté iranien, à travers la Syrie pour arriver aux ports du Liban. Le pipeline islamique ferait de l’Iran chiite, et non du Qatar sunnite, le principal fournisseur sur le marché européen de l’énergie et augmenterait dramatiquement l’influence de Téhéran dans le Moyen-Orient et dans le monde. Aussi, Israël était déterminé, de façon compréhensible, à faire échouer le pipeline islamique qui enrichirait l’Iran et la Syrie et qui renforcerait vraisemblablement leurs délégués, le Hezbollah et le Hamas. » [Idem.]
Le prix de toutes les trahisons
Il devenait urgent, pour les États-Unis, les monarchies du Golfe, l’État sioniste, et leurs États-valets européens, d’intervenir contre la Syrie. D’après Robert F. Kennedy junior…
« Les câbles secrets et les rapports des agences de renseignement américaines, saoudiennes et israéliennes indiquent qu’à partir du moment où Assad a rejeté le pipeline du Qatar les planificateurs de l’armée et du renseignement sont arrivés rapidement au consensus selon lequel fomenter un soulèvement sunnite en Syrie pour renverser le non-coopératif Bashar Assad était une piste possible pour atteindre l’objectif commun d’achever la canalisation de gaz Qatar / Turquie. En 2009, selon WikiLeaks, peu de temps après que Bashar Assad ait rejeté le pipeline du Qatar, la CIA a commencé à financer des groupes d’opposition en Syrie. Il est important de noter que ce fut bien avant le Printemps arabe qui a engendré le soulèvement contre Assad. » [Idem.]
Parce que les pays capitalistes n’acceptent pas que d’autres prennent la liberté de se développer comme ils l’entendent, ils font la guerre pour détruire ces pays, renverser les dirigeants et gouvernements, et bombarder les populations civiles… Enfin, Robert F. Kennedy junior évoque les tractations financières destinées à tromper les populations et à soudoyer les traîtres :
« En 2011, les États-Unis se joignaient à la France, au Qatar, à l’Arabie saoudite, à la Turquie et au Royaume-Uni pour former la Coalition des Amis de la Syrie qui exigeait officiellement le retrait d’Assad. La CIA a fourni 6 millions de dollars à Barada, une chaîne de télévision britannique, pour produire des pièces demandant l’éviction d’Assad. Des documents des services de renseignement de l’Arabie saoudite, publiés par WikiLeaks, montrent qu’en 2012 la Turquie, le Qatar et l’Arabie saoudite armaient, formaient et finançaient des combattants sunnites, djihadistes radicaux, de Syrie, d’Irak et d’autres pays pour renverser le régime allié chiite d’Assad. Le Qatar, qui avait le plus à gagner, a investi […, des millions] de dollars dans la construction de l’insurrection et a invité le Pentagone à entraîner des rebelles dans les bases U.S. installées au Qatar. » [Idem. Note FP : Les points de suspension et les mots entre crochets sont de mon fait.]
En juillet 2012, l’Iran avait signé les contrats et le chantier de construction du gazoduc devait commencer pour être terminé en 2016. Or, la guerre, lancée en 2011 contre la République Arabe Syrienne, et qui n’en finit pas de finir, est destinée à entraver, coûte que coûte sur le plan humain, ce projet iranien.
Voilà qui montre, à travers les propos de Robert F. Kennedy junior, que la campagne, menée contre le président Bachar El Assad et le gouvernement syriens, n’a pas été le fait d’opposants syriens vivant à l’intérieur du pays mais qu’elle est de toute évidence – ce que j’écris depuis 2011 – une déstabilisation fomentée par l’étranger et de l’extérieur du pays. Cette guerre est à plusieurs niveaux : bataille énergétique, soulèvement civil, conflit régional arabo-perse, différend religieux sunnites-chiites, guerre États-Unis / Russie. Il s’agit, pour les États capitalistes occidentalo-sionistes, d’imposer leur domination sur cette partie du globe ; et les intérêts de l’Arabie saoudite et du Qatar ne pèseront pas lourd face à leurs propres intérêts. Ne jamais perdre de vue que, derrière les États capitalistes, États-providence pour les banques et la finance internationale, il y a les multinationales, dont celles des hydrocarbures, qui font des affaires au Qatar depuis 1936, et que le vilain petit Qatar est le troisième plus gros actionnaire de Total… À plumer.
Suite : IV. 79 – Astana (Kazakhstan), (4-5 juillet 2017). Genève (Suisse), (10-14 juillet 2017). Des efforts divergents ?…
Françoise Petitdemange
14-15 septembre 2017
A reblogué ceci sur Salimsellami's Bloget a ajouté:
Voilà qui montre, à travers les propos de Robert F. Kennedy junior, que la campagne, menée contre le président Bachar El Assad et le gouvernement syriens, n’a pas été le fait d’opposants syriens vivant à l’intérieur du pays mais qu’elle est de toute évidence – ce que j’écris depuis 2011 – une déstabilisation fomentée par l’étranger et de l’extérieur du pays. Et ce n’est pas #FabiusLaurentusCumulusSanguinisContaminus l’ami d’Al-Nosra qui fait du bon boulot qui dira le contraire
J’aimeJ’aime