La fable de la famine ukrainienne de 1933 serait-elle une réminiscence des massacres hitlériens de 1941-1942 ?

A l’endroit où nous arrivons des témoignages proposés par Georges Sokoloff (numéros 36 à 44) pour illustrer la famine survenue en Ukraine au début des années 30, les éléments d’information nouveaux se font rares. Ceux que nous commençons à bien connaître persistent… Quant aux âges enfantins, en 1933, d’un si grand nombre de témoins, ils ne peuvent que nous laisser perplexes… tout en nous reconduisant au fait qu’en 1941, tous ces témoins – quel qu’en fût l’âge en 1933 – avaient huit ans de plus… pour être témoins de l’arrivée des nazis… N’auraient-ils rien vu de ce qui s’était alors passé ?… Ce qui est certain, c’est que la litanie anti-stalinienne se poursuit très tranquillement…

Pelaheïa Porfyrivna Konetchna avait 25 ans en 1933 :
« Ils sont venus chez Kyrylo Ossadtchy en lui disant : « Donne le blé. » Il n’en avait pas. » (page 148)
« Avec des verges en fer ils sont allés dans le potager et ont trouvé un sac de seigle enterré là. Ils l’ont pris. Après cela toute la famille enfla et est morte. » (Idem, page 148)
« Voilà à quoi les gens étaient réduits. Ils allaient tout enflés, cela coulait de leurs jambes, la puanteur était tenace. » (Idem, page 148)

Hanna Antonivna Komtchenko avait 11 ans en 1933 :
« Ils ont fouillé partout, dans le coffre, dans les tiroirs, sur le poêle et sous le poêle, au grenier, dans le lit, ils ont tout palpé. Ils étaient bien une quinzaine. » (Idem, page 149)
« Les jambes de maman avaient enflé et elle ne pouvait plus marcher. » (Idem, page 149)
« […] ses jambes avaient enflé à cause de la famine ; elle n’avait pas la force de marcher. » (Idem, page 150)
« J’ai passé quatre ans à l’orphelinat, de 1934 à 1938. Un jour le directeur de l’orphelinat (Solomon Davydovytch Rouvinov [qui s’exprime, lui, en russe]) m’a demandé : « Où sont tes parents ? » J’ai répondu qu’ils étaient morts de faim. Alors il m’a dit : « Dans notre pays il n’y a pas eu de famine, s’ils sont morts c’est qu’ils étaient des ennemis du peuple. » J’ai compris que c’était une vérité qu’il ne fallait pas dire, et je me suis tue toute ma vie. » (Idem, page 151)

Ce genre de comportement aurait-il pu, à lui tout seul, masquer, pendant plus de cinquante ans – c’est-à-dire bien au-delà de la disparition de Staline (1953) ? – la mort de faim venue frapper au moins quatre millions de personnes ?…

Maria Hryhorivna Djoulaï avait 24 ans en 1933 :
« J’étais la belle-fille des Svynar. Quand ce malheur a commencé tous sont morts, moi seule j’ai survécu. Sont morts mon beau-père, ma belle-mère, leurs deux enfants, Hrychka et Haniouta, mon mari, Van’ka. » (Idem, page 152)
« Avec mon mari nous construisions une nouvelle maison, nous avons eu juste le temps de la bâtir et de la couvrir de chaux. Mon mari dut la vendre pour 60 roubles. A l’époque, avec cet argent on pouvait s’acheter une miche de main. J’ai vendu une très belle jupe cramoisie pour 30 roubles. Avec cet argent mon mari acheta du pain et du lait caillé et il a tout mangé lui-même, puis il a eu de la diarrhée ensanglantée. Trois jours plus tard il était mort. Pendant ces trois jours il ne cessait de répéter : Donne-moi à manger. » Qu’est-ce que je pouvais lui donner ? » (Idem, page 153)
« Alors je suis revenue chez maman, des dix enfants, moi comprise, il en est resté trois. Tryfon m’a pris de là, lui aussi est resté seul, ses parents et ses sœurs sont morts. » (Idem, page 154)
« […] il y avait là les voisins, les Bilooussy. Lui avait tout de suite rejoint ceux du « Comité des indigents » qui allaient exproprier les gens. Mais quand il n’y eut plus rien à piller, ils ont commencé à souffrir de la faim. Alors ils ont mangé leurs enfants. Mais ils sont morts tout de même. » (Idem, page 154)

Souvenirs conjoints de Pavlo Nykyforovytch Iaremenko, Vassyl Stepanovytch Zavoritny et Makar Zakharovytch Tsyhautchouk, qui avaient respectivement 16 ans, 15 ans et 19 ans en 1933 :
« En de nombreux endroits on a mangé les chiens et les chats. Lorsque V.S. Zavoritny est entré dans la maison des Kozatchenko, la fillette enflée lui a dit : « Tonton, nous avons mangé votre chat. » (Idem, page 155)
« Les gens mouraient comme des mouches. » (Idem, page 155)
« Au cimetière personne ne creusait de fosses. Près du cimetière du village il y avait un profond ravin, on y jetait les morts, en un seul tas. » (Idem, page 156)

Mykhaïlo Volodymyrovytch Martchouk avait 8 ans en 1933 :
« Mon père est mort de faim, et aussi ma sœur et mes deux frères. A côté vivaient mon oncle et son fils. Ils ont été dékoulakisés à Semyritchka, ils n’avaient pas où aller et sont venus vivre chez nous. Eux aussi ont enflé et sont morts car il n’y avait rien à manger. » (Idem, page 156)

Maria Tykhonivna Bondarenko avait 20 ans en 1933 :
« En Ukraine les gens enflent et meurent de faim, tandis qu’à Moscou et à Leningrad les magasins regorgent de pain. » (Idem, page 158)
« Je suis allée à Leningrad voir de la famille et je l’ai constaté moi-même. » (Idem, page 158)

Ivan Kharytmovytch Terechko avait 6 ans en 1933 :
« Vint le printemps, la famine était de plus en plus forte, le soleil chauffait, les gens allaient tout enflés et mouraient. » (Idem, page 160)

Olesksandre Ivanovytch Vedybida avait 10 ans en 1933 :
« De mes yeux j’ai vu sur le mont près de la distillerie de Nemyriv un grand tas d’épis de maïs, entouré de barbelés. On faisait de l’eau-de-vie de maïs et d’orge, et tout autour étaient assis des gens épuisés par la famine ou déjà complètement enflés, ils buvaient de la bière de malte et mouraient immédiatement. » (Idem, page 163)

Volodymyr Samoïlovytch Samoïliouk avait 7 ans en 1933 :
« Quasi quotidiennement il manquait quelqu’un. A la question de la maîtresse on répondait avec indifférence : il est mort, il a disparu, il est parti de la maison et on ne l’a plus revu. » (Idem, page 164)
« Les quelque soixante kilomètres de la fameuse route bordée de tilleuls séculaires étaient couverts de cadavres. De grosses mouches vertes grouillaient sur les visages des morts. » (Idem, page 164)

Toutes ces morts sont présentées comme subites… On dirait qu’un coup de foudre est venu frapper… Est-ce ainsi que se manifeste une famine ?… Pourquoi, ici ou là, cette comparaison avec le nombre des victimes de la Grande Guerre Patriotique ? Pourquoi ces fosses communes ?…

einsatzgruppen

La suite nous en dira-t-elle plus ? Ce qui est certain, c’est qu’en 1941, tous ces enfants avaient huit ans de plus : ils n’ont rien pu ignorer de ce qu’avaient fait, en Ukraine plus particulièrement, les nazis et leurs alliés… locaux, contre les Juifs et contre les communistes… Le coup de foudre y était, ainsi que les fosses communes…

Michel J. Cuny

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