Ukraine dékoulakisée : A cause de Staline, des parents auraient mangé leurs enfants !

Nous allons, cette fois, voir ce que nous pouvons tirer des documents qui vont du numéro 5 au numéro 11 dans le livre de Georges Sokoloff1933, l’année noire – Témoignages sur la famine en Ukraine, Albin Michel 2000.

Donna Léontiïvna Souchtchouk avait 14 ans en 1933.
« Avec nos jambes enflées, nous travaillions jusqu’à épuisement pour 100 grammes de pain. » (page 82)
« Malheureux, épuisés, nous avons quand même survécu. Mais à Andriachivka, plus de 700 personnes sont mortes. » (Idem, page 82)

Cette dernière affirmation tombe là toute seule…

Mykola Yovytch Rourinkevytch paraît avoir eu 21 ans en 1933.
« En 1932, juste avant les moissons, je fus démobilisé de l’Armée rouge et m’en retournai dans mon village natal de Nova Houta. On y racontait que la région d’Ouman était sinistrée, qu’il en arrivait des gens à moitié morts de faim auxquels on avait pris toutes leurs céréales. » (Idem, page 82)
« Puis des représentants des autorités ont diffusé dans nos campagnes une autre version : selon eux, les paysans de la région d’Ouman n’avaient pas voulu remettre à l’Etat le produit de leur récolte ; ils avaient caché dans la terre leur grain, qui avait pourri, d’où la disette. Nous les croyions. Nous y avons cru jusqu’au jour où, après les moissons, on nous a confisqué notre grain en ne nous laissant que ce qu’il fallait pour assurer les semailles de la prochaine saison. » (Idem, pages 82-83)
« Je me souviens d’une scène au marché de Verbyvka. Une femme portait une bouteille d’huile ; la bouteille lui est tombée des mains et s’est brisée. On vit alors des femmes se précipiter vers cet endroit, tomber à genoux, recueillir d’un doigt la terre où l’huile s’était répandue et porter le doigt à la bouche. Voilà à quoi les gens en étaient réduits. » (Idem, page 83)

Ce témoin, le premier à avoir été adulte au moment de la crise de 1933 (21 ans), ne semble pas avoir vu – de ses yeux vu – le moindre mort de faim… Il ne manque cependant pas l’occasion de nous fournir une preuve de la cruauté de Staline… Pour ma part, je saisis l’occasion qui m’est donnée de rappeler les âges, en 1933, des six précédents intervenants, et selon leur ordre de passage : 9 ans, 6 ans, 15 ans, 10 ans, 14 ans. Nous ne savons pas, pour l’instant, ce que sera l’âge des prochains témoins. Mais il faut souligner que l’enquête semble avoir été effectuée, pour l’essentiel, en 1989. A ce moment, ce témoin, qui avait eu 21 ans en 1933 se trouvait âgé de 77 ans. Etait-il si difficile d’obtenir d’autres survivants d’un âge comparable qu’ils témoignent, de façon majoritaire, sur un phénomène aussi terrible que 4 millions de morts de faim dans leur pays ? Fallait-il s’en remettre principalement à celles et ceux qui n’étaient encore que des enfants à l’époque concernée ?

Pauté’léimon Kasymyrovytch Vassylevsky avait 11 ans en 1933.
« Mon père (en fait, mon beau-père) […] exerçait la profession d’aide-médecin. » (Idem, page 83)
« Le tchékiste a fait signer à mon père une déclaration selon laquelle il s’engageait à ne jamais révéler à quiconque les vraies causes de décès des kolkhoziens […]. » (Idem, page 84)

Car, selon le témoin, ils mouraient tous de faim…
Quant aux preuves matérielles des décès, elles sont, ici comme ailleurs, absentes… En effet…
« A partir de mars 1933, quand le nombre des morts s’est accru d’une façon alarmante, on a cessé d’établir les actes de décès ; les cadavres étaient simplement jetés dans des fosses. » (Idem, page 84)

C’est-à-dire en dehors de toute possibilité ultérieure d’établir l’identité des corps… Mais, avec ce témoin, nous allons un peu plus loin, dans une démonstration qui devrait nous faire adhérer à l’idée selon laquelle les morts de faim ont été bien réels, sauf intervention des autorités sur des documents qui n’existent plus, pour avoir été délibérément détruits sous l’effet de l’effroi qu’elles auraient réussi à inspirer :
« Quand il [mon père] rentrait de son « travail » au soviet, il lui arrivait de recopier de mémoire dans un carnet les noms des morts de la journée. Ma mère appelait ce carnet « le mémorial ». Ce « mémorial » fut conservé jusqu’au printemps 1937, alors que nous vivions loin de l’Ukraine, dans la région de Yaroslav. Mais à cette époque, Yejov faisait régner la terreur et, par crainte de représailles, mon père a, hélas, brûlé ce carnet où figuraient les noms de 196 victimes du village de Massivtsi, mortes de faim entre octobre 1932 et mars 1933. » (Idem, pages 84-85)

Ensuite, ce serait une véritable chaîne du silence qui se serait établie…
« Que mon beau-père dût « masquer » la vérité à propos de tous ces morts dans le village, moi, gamin de dix ans, j’en étais inconscient à l’époque. A la fin de 1945, je fus démobilisé et rendis visite à mes parents qui vivaient alors au Kouban. C’est seulement là, autour de la modeste table du réveillon – le premier après la guerre – qu’il me rapporta les faits dont j’ai parlé, en me faisant promettre de n’en parler à personne. » (Idem, pages 85-86)

Silence dont il est ensuite nécessaire de croire qu’il se serait étendu sur l’ensemble de l’Ukraine, et pour un peu plus de cinquante ans (de 1933 à la perestroïka du milieu des années 80)…

Kharytyna Todossivna Saliy avait 7 ans en 1933.
« Gonflés et affamés, nous gisions tous par terre sur la paille dans notre maison sans chauffage ; il n’y avait rien à manger ; l’eau était gelée dans le seau et notre mère soufflait dessus pour la faire fondre et donner à boire à la plus petite, Hania, encore au berceau, et qui criait. Notre mère était bouffie, rien ne sortait de son sein ; elle a donné à Hania de l’eau et le bébé est mort. » (Idem, page 86)
[De tout cela, et de ce que sa famille et Todossivna mangeaient :] « J’avais sept ans et je m’en souviens comme si c’était hier. » (Idem, page 86)
« En 1933, mon père est mort ; il était bouffi par la faim, le typhus l’a achevé. » (Idem, page 87)

Dmytro Ivanovytch Slobodianouk avait 14 ans en 1933.
« Les chevaux du kolkhoze crevaient les uns après les autres ; on les jetait dans des fosses sur lesquelles on versait de l’essence – et les gens affamés allaient la nuit dépecer cette pourriture pour la rapporter à la maison.

Mes parents avaient sept enfants. Mon père d’abord, puis mes soeurs, ont commencé à enfler des jambes puis du visage ; après quoi, la peau éclate et il en sort de l’eau. » (Idem, page 91)
« Notre village n’était pas grand, il comptait 230 ou 240 foyers. Mais une centaine de personnes y sont mortes de faim. Et dans le village voisin de Pohozila, qui comptait 400 foyers, 950 personnes ont disparu. » (Idem, page 92)

Certes, l’adolescente d’autrefois n’a aucune preuve à fournir pour appuyer ces chiffres redoutables…

A. Tioutiounnyk (c’est une femme) avait 8 ans en 1933.
« [premiers mots du témoignage] C’était en 1933. Un jour, j’avais alors huit ans, maman vit que mes jambes avaient enflé. Deux jours plus tard, les jambes de mon frère Pavlo, âgé de cinq ans, enflèrent à leur tour. » (Idem, page 92)

Nous n’en saurons pas plus sur d’éventuelles suites à cette affection.

Lida Dmytrivna Vajynska avait 15 ans en 1933.
« A vrai dire, dans mon village, je n’ai jamais entendu parler de parents qui mangeaient leurs propres enfants, comme c’était le cas à Kondynets ou à Novokostiantyniv ; […]. » (Idem, page 93)

Ce qui n’est pas fait pour nous rassurer.

saturne-devorant-un-de-ses-enfants

                                                      Goya – Saturne dévorant un de ses enfants

Mais, au milieu de cette majorité d’enfants de 1933, dans un pays de religion orthodoxe, faudrait-il avoir une petite pensée pour la légende de Saint-Nicolas ?…

Michel J. Cuny

Clic suivant : Pour enfoncer Staline – des contes à mourir de faim


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