Pour aider à sortir de l’ornière qu’on s’efforce de nous imposer…
À propos de l’extraordinaire modèle que Voltaire fournit à la finance internationale d’hier et d’aujourd’hui
Ce que la bourgeoisie française adore, chez Voltaire, c’est son parfait cynisme. Elle trouve chez lui tout ce qu’il lui faut pour endurcir au crime sa propre progéniture, tandis que l’Université a reçu la tâche d’enfumer les lycéennes et les lycéens issu(e)s du bon peuple avec un Voltaire qui n’est, curieusement, que guimauve.
En effet, par-delà tout le cinéma qu’on nous fait avec cette lamentable aspirine qui a pour nom « Candide« , un vrai bon élève de Voltaire – dans les milieux où « on sait » – doit, sans faire la moindre grimace, avaler ceci, par exemple, que le patriarche de Ferney affirme le 15 novembre 1768 auprès de Catherine II de Russie qu’il a enfin réussi à lancer dans la guerre contre les Turcs. C’est là le vrai bon vin du « grand » philosophe qui enivre la grande richesse de ce monde :
« Il est clair que des gens qui négligent tous les beaux arts et qui enferment les femmes méritent d’être exterminés. »
Peut-on alors lui en vouloir d’écrire, près de trois ans plus tard, à la même, et alors que la guerre continue à produire ses merveilleux ravages :
« Est-il bien vrai ? Suis-je assez heureux pour qu’on ne m’ait pas trompé ? Quinze mille Turcs tués ou faits prisonniers auprès du Danube, et cela dans le même temps que les troupes de Votre Majesté Impériale entrent dans Perekop ?«
C’est juste : il avait fallu être un vrai dur pour lancer en 1756, avec la marquise de Pompadour et quelques autres affidés de la finance, le Royaume de France dans ce qui allait devenir la guerre de Sept-Ans conclue, après un million de morts un peu partout en Europe et ailleurs dans le monde, sur ce bilan établi par l’historien Pierre Calmettes :
« Nous perdions le Canada, la Nouvelle-Ecosse, les îles du Saint-Laurent, le Sénégal, Minorque et une partie des petites Antilles ; nous devions évacuer l’Allemagne et raser les fortifications de Dunkerque ; il nous était interdit d’armer nos possessions de l’Inde ; enfin il nous fallait céder la Louisiane à l’Espagne, en dédommagement de Minorque prise sur les Anglais. »
Quand les financiers privés se saisissent de la puissance d’Etat
Puisque la France du début du XXIème siècle est décidée à faire la guerre, c’est-à-dire systématiquement toutes les guerres qui dépendront plus ou moins de la rémunération que les intérêts privés croiront pouvoir, et donc devoir y trouver, il va devenir de plus en plus intéressant de se pencher sur sa façon de perdre ce qu’elle a perdu dans les trois siècles précédents, par exemple…
À l’époque de Voltaire , voici ce qu’il en était, selon le marquis d’Argenson :
« Les courriers de M. de Puisieux arrivant à Paris chaque jour portent à Duverney tous les paquets des affaires étrangères ; il est vrai que le paquet est sous le nom de Montmartel, mais celui-ci l’envoie bientôt à son frère. Ainsi le sieur Duverney gouverne absolument trois départements du royaume : la finance, la guerre et les affaires étrangères . »
Qui sont les frères Pâris (Duverney ou Montmartel) d’aujourd’hui ? Qui tient donc, en France, les finances, la défense et les affaires étrangères ?
En tout cas, il y en a un qu’on ne peut plus manquer depuis la guerre en Libye : Bernard-Henri Lévy. Évidemment, il est très loin d’être seul. Des détenteurs de capitaux directement intéressés à voir la France faire la guerre, et de la façon la plus démesurée possible, il s’en trouve d’autres un peu partout dans le monde entier…

Et c’est, bien sûr, cela qui est le plus amusant eu égard au prétendu exercice de la souveraineté nationale (parler de souveraineté populaire dans ces domaines-là, ne pourrait, évidemment, être qu’une très grosse plaisanterie).
En attendant la prochaine catastrophe que nous promet l’évolution récente des grands agrégats économiques qui referment tout avenir véritablement vivable devant l’essentiel de la population française (ne le voit-on vraiment pas à cette grande misère répandue un peu partout dans l’hexagone ?), amusons-nous avec le Voltaire de juillet 1756 qui ne boude pas le plaisir que lui procure le vrai massacre (je l’ai écrit, ce sera environ un million de morts!…) qui s’annonce.
Voici la lettre de Voltaire à Joseph Pâris-Duverney, le 26 juillet 1756 (et non pas un courriel de B-H L à je ne sais quel puissant de ce monde de 2013) :
« Les événements présents fourniront probablement une ample matière aux historiens. L’union des maisons de France et d’Autriche après deux cent cinquante ans d’inimitiés, l’Angleterre qui croyait tenir la balance de l’Europe abaissée en six mois de temps, une marine formidable créée avec rapidité, la plus grande fermeté déployée avec la plus grande modération : tout cela forme un bien magnifique tableau. Les étrangers voient avec admiration une vigueur et un esprit de suite dans le ministère que leurs préjugés ne voulaient pas croire. Si cela continue, je regretterai bien de n’être plus historiographe de France. Mais la France, qui ne manquera jamais ni d’hommes d’Etat ni d’hommes de guerre, aura toujours aussi de bons écrivains dignes de célébrer leur patrie . »
D’écrivains ?… hommes d’État, de guerre et de finances ?… Mais B-H L , bien sûr.
Ainsi le Monde diplomatique faisait-il bien, lorsqu’il nous rappelait, le vendredi 26 avril 2013 :
« Les présidents français passaient (François Mitterrand, Jacques Chirac, Nicolas Sarkozy, François Hollande), et chacun recevait Bernard-Henri Lévy à l’Elysée, comme si une telle charge relevait de son office au même titre que la désignation du premier ministre et la possession des codes nucléaires. Parfois, des présidents lui confiaient même une mission officielle ou semi officielle (en Bosnie dans le cas de Mitterrand, en Afghanistan avec Chirac, en Libye avec Sarkozy). »
Eh oui, quoi qu’en pense l’électeur- électrice de base, c’est ainsi, avec la finance internationale.
Celle pour qui les Français risquent de devoir apprendre bientôt qu’il faut décidément vivre ou mourir… à petit feu, par étranglement économique, ou plus rapidement… et qui sait où.
Mais pour l’ignominie, tout est déjà chez Voltaire…
(Le document complet est ici.)
Michel J. Cuny